L’Encyclopédie/1re édition/MICROSCOPIQUE, objet

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MICROSCOPIQUE, objet, (Optiq.) Les objets microscopiques sont ceux qui sont propres à être examinés par les microscopes ; tels sont tous les corps, tous les pores, ou tous les mouvemens extrèmement petits.

Les corps extrèmement petits sont, ou les parties des plus grands corps, ou des corps entiers fort déliés ; comme les petites semences, les insectes, les sables, les sels, &c.

Les pores extrèmement petits sont les interstices entre les parties solides des corps ; comme dans les os, dans les minéraux, dans les écailles, &c. ou comme les ouvertures des petits vaisseaux ; tels que les vaisseaux qui reçoivent l’air dans les végétaux, les pores de la peau, des os, &c. des animaux.

Les mouvemens extrèmement petits sont ceux des différentes parties ou membres des petits animaux, ou ceux des fluides renfermés dans les corps des animaux ou des végétaux.

Sous l’un ou l’autre de ces trois chefs, tout ce qui nous environne peut nous fournir un sujet d’examen, d’amusement & d’instruction ; cependant plusieurs personnes savent si peu combien l’usage des microscopes est étendu, & sont tellement embarrassées à trouver des objets à examiner, qu’après en avoir considéré quelques-uns des plus communs, soit seuls, soit avec des amis, ils abandonnent leurs microscopes, comme n’étant pas d’un grand usage. Nous tâcherons de les détromper par quantité de faits que nous mettrons, dans l’occasion, sous les yeux du lecteur ; & peut-être que par ce moyen nous engagerons des curieux à employer agréablement & utilement leurs heures de loisir dans la contemplation des merveilles de la nature, au lieu de les passer dans une oisiveté pleine d’ennui, ou dans la poursuite de quelque passion ruineuse ; mais avant que de discuter l’examen des objets microscopiques, il faut parler de l’instrument qui les grossit à nos yeux.

On sait que les microscopes sont de deux sortes ; les uns simples, les autres doubles : le microscope simple n’a qu’une lentille ; le double en a au moins deux combinées ensemble. Chacune de ces especes a son utilité particuliere ; car un verre simple fait voir l’objet de plus près & plus distinct ; & la combinaison des verres présente un plus grand champ, ou, pour le dire en d’autres termes, elle découvre tout à-coup une plus grande partie de l’objet qu’elle grossit également. Il est difficile de décider lequel des deux microscopes on doit préférer, parce qu’ils donnent chacun une différente sorte de plaisir. On peut alléguer de grandes autorités en faveur de l’un & de l’autre ; Leeuwenhock ne s’est jamais servi que du microscope simple ; & M. de Hook a fait toutes ses observations avec le microscope double. Les fameux microscopes du premier consistoient dans une simple lentille placée entre deux plaques d’argent, qui étoient percées d’un petit trou, & il y avoit au-devant une épingle mobile pour y mettre l’objet, & l’appliquer à l’œil du spectateur. C’est avec ces microscopes simples qu’il a fait ces découvertes merveilleuses qui ont surpris l’univers.

Aujourd’hui le microscope de poche de M. Wilson, passe pour le meilleur ; & le microscope double de réflexion le plus estimé, est un diminutif perfectionné du grand microscope double de MM. Culpéper, Scarlet & Marshal. Nous avons donné la description relative à nos figures, de ces machines. Mais il importe beaucoup, avant que de passer à la méthode d’examen des objets microscopiques, de connoître la force des lentilles d’un microscope, & de découvrir la grandeur réelle des objets qu’on y présente.

De la surface des verres d’un microscope simple. La vue est incapable de distinguer un objet qu’on approche trop des yeux ; mais si on le considere au-travers d’une lentille convexe, quelque près que soit le foyer de cette lentille, on y verra l’objet très-distinctement, & le foyer de la lentille sera d’autant plus proche qu’elle sera plus petite ; de sorte que la force de cette lentille, pour grossir un objet, en sera plus grande dans la même proportion.

On voit par ces principes pourquoi la premiere & plus forte lentille est si petite, & l’on peut aisément calculer la force de chaque lentille convexe du microscope simple ; car la force de la lentille, pour grossir, est en même proportion que l’est son foyer par rapport à la vue simple. Si le foyer d’une lentille convexe est, par exemple, d’un pouce, & que la vue simple soit claire à huit pouces, comme le sont les vues ordinaires, on pourra voir par cette lentille un objet qui sera à un pouce de distance de l’œil, & le diametre de cet objet paroîtra huit fois plus grand qu’à la vue simple. Mais comme l’objet est grossi également, tant en longueur qu’en largeur, il nous faut quarrer ce diametre pour savoir combien il est agrandi, & nous trouverons que ce verre grossit la surface de l’objet soixante-quatre fois.

De plus, supposons une lentille convexe dont le foyer est fort éloigné du centre de la lentille, de la dixieme partie d’un pouce : il y a dans huit pouces quatre-vingt dixiemes d’un pouce ; par conséquent l’objet paroîtra à-travers cette lentille, quatre-vingt fois plus près qu’à la vue simple ; on le verra par conséquent quatre-vingt fois plus long, & quatre-vingt fois plus large qu’il ne paroît aux vues ordinaires ; & comme quatre-vingt multiplié par quatre-vingt, produit six mille & quatre cent, l’objet paroîtra réellement aussi grand.

Faisons encore un pas. Si une lentille convexe est si petite que son foyer n’en soit éloigné que de la vingtieme partie d’un pouce, nous trouverons que huit pouces, distance commune de la vue simple, contient cent soixante de ces vingtiemes, & que par conséquent la longueur & la largeur d’un objet que l’on voit à travers cette lentille, seront l’une & l’autre grossies cent soixante fois ; ce qui étant multiplié par cent soixante, donne le quarré qui monte à vingt-cinq mille six cent. Il résulte que cette lentille fera paroître l’objet vingt-cinq mille six cent fois aussi grand en surface, qu’il paroît à la vue simple à la distance de huit pouces.

Pour savoir donc quelle est la force d’une lentille dans le microscope simple, il ne faut que l’approcher de son vrai foyer ; ce qui se connoît aisément, parce que la lentille est à cette distance lorsque l’objet paroît parfaitement distinct & bien terminé. Alors avec un petit compas on aura soin de mesurer exactement la distance entre le centre du verre & l’objet qu’on examine ; & appliquant le compas sur une échelle où le pouce est divise en dixiemes & centiemes par des diagonales, on trouvera aisément combien cette distance contient de parties d’un pouce : ce point étant connu, vous chercherez combien de fois ces parties sont contenues dans huit pouces, qui sont la distance ordinaire de la vue simple, & vous saurez combien de fois le diametre est grossi : quarrez ce diametre, & vous aurez la surface ; & si vous voulez connoître l’épaisseur ou la solidité de votre objet, vous multiplierez la surface par le diametre, pour en avoir le cube ou la masse. La table suivante vous donnera le calcul tout fait.

Table de la force des verres convexes, dont on fait usage dans les microscopes simples, selon la distance de leurs foyers calculée sur une échelle d’un pouce divisé en cent parties ; où l’on voit combien de fois le diametre, la surface & le cube sont grossis au-travers de ces verres, par rapport aux yeux dont la vûe simple est de huit pouces, ou de huit cent centiemes d’un pouce.
Le foyer d’un verre étant grossit le
diametre
grossit la
surface
grossit le cube
d’un objet
 
ou 50 Centiemes
d’un
pouce.
16 256 4,096 fois.
ou 40 20 400 8,000
ou 30 26 676 17,576
ou 20 40 1,600 64,000
15 53 2,809 148,877
14 57 3,249 185,193
13 61 3,721 185,193
12 66 4,356 226,981
11 72 5,184 287,496
ou 10 80 6,400 512,000
9 88 7,744 681,472
8 100 10,000 1,000,000
7 114 12,996 1,481,544
6 133 17,689 2,352,637
ou 5 160 25,600 4,096,000
4 200 40,000 8,000,000
3 266 70,756 18,821,096
ou 2 400 160,000 64,000,000
1 800 640,000 512,000,000

La plus forte lentille du cabinet des microscopes de M. Leeuwenhoeck, présenté à la société royale, a son foyer à la distance de la vingtieme partie d’un pouce ; par conséquent il grossit le diametre d’un objet cent soixante fois, & la surface vingt-cinq mille six cent fois. Mais la plus forte lentille du microscope simple de M. Wilson, tel qu’on le fait aujourd’hui, a ordinairement son foyer à la distance seulement d’environ la cinquantieme partie d’un pouce ; par conséquent il grossit le diametre d’un objet quatre cent fois, & sa surface cent soixante mille fois.

Comme cette table a été calculée en nombres ronds, elle est si facile, que quiconque sait diviser & multiplier un petit nombre de figures, pourra la comprendre aisément.

Cette même table peut servir à calculer la force des verres du microscope double ; d’autant qu’ils ne grossissent guere plus que ceux du microscope simple de M. Wilson ; le principal avantage que l’on tire de la combinaison des verres, est de voir un plus grand champ, ou une plus grande partie de l’objet grossi au même degré.

De la grandeur réelle des objets vus par les microscopes. Ce n’est pas assez de connoître la force des lentilles des microscopes, il faut encore trouver quelle est la grandeur réelle des objets que l’on examine lorsqu’ils sont excessivement petits ; car quoique nous sachions qu’ils sont grossis tant de mille fois, nous ne pouvons parvenir par cette connoissance qu’à un calcul imparfait de leur véritable grandeur ; pour en conclure quelque chose de certain, nous avons besoin de quelque objet plus grand, dont les dimensions nous soient réellement connues : en effet, la grandeur n’étant elle-même qu’une comparaison, l’unique voie que nous ayons pour juger de la grandeur d’une chose, est de la comparer avec une autre, & de trouver combien de fois le moindre corps est contenu dans le plus grand Pour faire cette comparaison dans les objets microscopiques, les savans d’Angleterre ont imaginé plusieurs méthodes ingénieuses. Il est bon d’en mettre quelques-unes de faciles & de pratiquables sous les yeux du lecteur.

La méthode de M. Leeuwenhoeck de calculer la grandeur des sels dans les fluides, des petits animaux in semine masculino, dans l’eau de poivre, &c. étoit de les comparer avec la grosseur d’un grain de sable, & il faisoit ces calculs de la maniere suivante.

Il observoit avec son microscope un grain de sable de mer, tel que cent de ces grains placés bout-à-bout, forment la longueur d’un pouce ; ensuite observant un petit animal qui en étoit proche, & le mesurant attentivement des yeux, il concluoit que le diametre de ce petit animal étoit, par exemple, moindre que la douzieme partie du diametre du grain de sable ; que par conséquent, selon les regles communes, la surface du grain de sable étoit 144 fois, & toute la solidité 1728 fois plus grande que celle de ce petit animal. Il faisoit le même calcul proportionnel, suivant la petitesse des animaux qu’il exposoit au microscope.

Voici la méthode dont se servoit M. Hook pour connoître combien un objet est grossi par le microscope. « Ayant, dit-il, rectifié le microscope pour voir très distinctement l’objet requis : dans le même moment que je regarde cet objet à travers le verre d’un œil, je regarde avec l’autre œil nud d’autres objets à la même distance ; par-là je suis en état, au moyen d’une regle divisée en pouces & en petites parties, & placée au pié du microscope, de voir combien l’apparence de l’objet contient de parties de cette regle, & de mesurer exactement le diametre de cette apparence, lequel étant comparé avec le diametre qu’il paroît avoir à la vue simple, me donne aisément la quantité de son agrandissement. »

L’ingénieux docteur Jurin nous donne une autre méthode fort curieuse pour parvenir au même but dans ses dissertations physicomathématiques : la voici. Faites plusieurs tours avec un fil d’argent très-subtil sur une aiguille, ou sur quelqu’autre corps semblable, en sorte que les révolutions du fil se touchent exactement, & ne laissent aucun vuide ; pour en être certain, vous l’examinerez avec un microscope très attentivement. Mesurez ensuite avec un compas très exactement l’intervalle entre les deux révolutions extrèmes du fil d’argent, pour savoir quelle est la longueur de l’aiguille qui est couverte par ce fil ; & appliquant cette ouverture de compas à une échelle de pouces divisée en 10es & en 100es par les diagonales, vous saurez combien elle contient de parties d’un pouce : vous compterez ensuite le nombre des tours du fil d’argent compris dans cette longueur, & vous connoîtrez aisément par la division, l’épaisseur réelle du fil en plusieurs petits morceaux ; si l’objet que vous voulez examiner est opaque, vous jetterez au-dessus de l’objet quelques-uns de ces petits brins, & s’il est transparent, vous les placez au-dessous, ensuite vous comparerez à l’œil les parties de l’objet avec l’épaisseur connue de ces brins de fil.

Par cette méthode le docteur Jurin observa que quatre globules du sang humain couvroient ordinairement la largeur d’un brin, qu’il avoit trouvé d’un pouce, & que par conséquent le diametre de chaque globule étoit partie d’un pouce. Ce qui a été aussi confirmé par les observations de Leeuwenhoeck sur le sang humain, qu’il fit avec un morceau du même fil que lui envoya le docteur Jurin. Voyez les Trans. philosop. n°. 377.

Je passe sous silence d’autres méthodes plus composées ; mais je ne dois pas oublier de remarquer que l’aire visible, le champ de la vue, ou la portion d’un objet vû par le microscope, est en proportion du diametre, & de l’aire de la lentille dont on fait usage, & de sa force ; car si la lentille est extrèmement petite, elle grossit considérablement, & par conséquent on ne peut distinguer par son moyen qu’une très-petite portion de l’objet ; ainsi l’on doit user de la plus forte lentille pour les plus petits objets, & toujours proportionnellement. Sans donner ici des regles embarrassantes sur le champ des objets vûs par chaque lentille, c’est assez de dire que cette aire differe peu de la grandeur de la lentille dont on se sert, & que si le total d’un objet est beaucoup au-dessus de ce volume, on ne peut pas le bien voir à travers cette lentille.

Après avoir combiné la force des microscopes, & donné les méthodes de connoître la grandeur réelle des objets microscopiques, il nous reste à décrire la maniere de les examiner, de les préparer, & de les appliquer au microscope.

De l’examen des objets microscopiques. Quelqu’objet qu’on ait à examiner, il en faut considérer attentivement la grandeur, le tissu & la nature, pour pouvoir y appliquer les verres convenables, & d’une maniere à les connoître parfaitement. Le premier pas à faire doit être constamment d’examiner cet objet à-travers d’une lentille qui le représente tout entier ; car en observant de quelle maniere les parties sont placées les unes à l’égard des autres, on verra qu’il sera plus aisé d’examiner ensuite chacune en particulier, & d’en juger séparément si l’on en a occasion. Lorsqu’on se sera formé une idée claire du tout, on pourra le diviser autant que l’on voudra ; & plus les parties de cette division seront petites, plus la lentille doit être forte pour les bien voir.

On doit avoir beaucoup d’égard à la transparence ou à l’opacité d’un objet, & de-là dépend le choix des verres dont on doit se servir ; car un objet transparent peut supporter une lentille beaucoup plus forte qu’un objet opaque, puisque la proximité du verre qui grossit beaucoup, doit nécessairement obscurcir un objet opaque & empêcher qu’on ne le voie, à moins qu’on ne se serve du microscope pour les objets opaques. Plusieurs objets cependant deviennent transparens, lorsqu’on les divise en parties extrèmement minces ou petites.

Il faut aussi faire attention à la nature de l’objet, s’il est vivant ou non, solide ou fluide ; si c’est un animal, un végetal, une substance minerale, & prendre garde à toutes les circonstances qui en dépendent, pour l’appliquer de la maniere qui convient le mieux. Si c’est un animal vivant, il faut prendre garde de ne le serrer, heurter, ou décomposer que le moins qu’il sera possible, afin de mieux découvrir sa véritable figure, situation & caractere. Si c’est un fluide & qu’il soit trop épais, il faut le détremper avec l’eau ; s’il est trop coulant, il faut en faire évaporer quelques parties aqueuses. Il y a des substances qui sont plus propres aux observations lorsqu’elles sont seches, & d’autres au contraire lorsqu’elles sont mouillées ; quelques-unes lorsqu’elles sont fraîches, & d’autres lorsqu’on les a gardées quelque tems.

Il faut ensuite avoir grand soin de se procurer la lumiere nécessaire, car de-là dépend la vérité de tous nos examens ; un peu d’expérience fera voir combien les objets paroissent différens dans une position & dans un genre de lumiere, de ce qu’ils sont dans une autre position ; de sorte qu’il est à-propos de les tourner de tous les côtés, & de les faire passer par tous les degrés de lumiere, jusqu’à ce que l’on soit assuré de leur vraie figure ; car, comme dit M. Hooke, il est très-difficile dans un grand nombre d’objets, de distinguer une élévation d’un enfoncement, une ombre d’une tache noire, & la couleur blanche d’avec la simple réflexion. L’œil d’une mouche, par exemple, dans une espece de lumiere, paroît comme un treillis percé d’un grand nombre de trous ; avec les rayons du soleil, il paroît comme une surface couverte de clous dorés ; dans une certaine position, il paroît comme une surface couverte de pyramides ; dans une autre il est couvert de cones, & dans d’autres situations, il paroît couvert de figures toutes différentes.

Le degré de lumiere doit être proportionné à l’objet ; s’il est noir, on le verra mieux dans une lumiere forte ; mais s’il est transparent, la lumiere doit être à proportion plus foible : c’est pour cela qu’il y a une invention dans le microscope simple & dans le microscope double, pour écarter la trop grande quantité de rayons, lorsqu’on examine ces sortes d’objets transparens avec les plus fortes lentilles.

La lumiere d’une chandelle, pour la plûpart des objets, & sur-tout pour ceux qui sont extrèmement petits & transparens, est préférable à celle du jour, & pour les autres celle du jour vaut mieux ; j’entends la lumiere d’un jour serein. Pour ce qui est des rayons du soleil, ils sont réfléchis par l’objet avec tant d’éclat, & ils donnent des couleurs si extraordinaires, qu’on ne peut rien déterminer avec certitude par leur moyen ; par conséquent cette lumiere doit être regardée comme la plus mauvaise.

Ce que je dis des rayons du soleil, ne doit pas s’étendre néanmoins au microscope solaire ; au contraire, on ne peut s’en servir avec avantage sans la lumiere du soleil la plus brillante ; en effet, par ce microscope on ne voit pas l’objet en lui-même dans l’endroit où il est frappé des rayons du soleil : on voit seulement son image ou son ombre représentée sur un écran, & par conséquent il ne peut résulter aucune confusion de la réfléxion brillante des rayons du soleil, qui ne viennent pas de l’objet à l’œil comme dans les autres microscopes. Mais aussi dans le microscope solaire, nous devons nous borner à connoître la vraie figure & grandeur d’un objet, sans nous attendre à en découvrir les couleurs, parce qu’il n’est pas possible qu’une ombre porte les couleurs du corps qu’elle représente.

De la préparation & application des objets microscopiques. Il y a plusieurs objets qui demandent beaucoup de précautions pour les bien placer devant les lentilles. S’ils sont plats & transparens, en sorte qu’en les pressant, on ne puisse pas les endommager ; la meilleur méthode est de les renfermer dans les glissoirs entre deux pieces de talc. Par ce moyen les aîles des papillons, les écailles des poissons, la poussiere des fleurs, &c. les différentes parties, & même les corps entiers des petits insectes & mille autres choses semblables peuvent se conserver. Il faut donc avoir un certain nombre de ces glissoirs toujours prêts pour cet usage.

Lorsqu’on fait une collection d’objets microscopiques, on ne doit pas remplir au hasard les glissoirs, mais on doit avoir soin d’assortir les objets, selon leur grandeur & leur transparence ; de maniere qu’on ne doit mettre dans le même glissoir, que ceux qu’on peut observer avec la même lentille, & alors on marquera sur le glissoir le nombre qui désigne la lentille convenable aux objets qu’il renferme. Les nombres marqués sur les glissoirs, préviennent l’embarras où l’on peut être pour savoir quelle est la lentille qu’on doit leur appliquer.

En plaçant vos objets dans les glissoirs, il est bon d’avoir un verre convexe d’environ un pouce de foyer, & de le tenir à la main pour les ajuster proprement entre les talcs, avant que de les enfermer avec les anneaux de cuivre.

Les petits objets vivans, comme les poux, puces, cousins, petites punaises, petites araignées, mites, &c. pourront être placées entre les talcs, sans qu’on les tue ou qu’on les blesse, si l’on prend soin de ne pas presser les anneaux de cuivre qui arrêtent les talcs, & par ce moyen ils resteront vivans des semaines entieres ; mais s’ils sont trop gros pour être placés de cette maniere, il faudra les placer dans un glissoir avec des verres concaves destinés à cet usage, ou bien on les percera d’une pointe pour les observer, ou bien encore on les tiendra avec des pincettes.

Si vous avez des fluides à examiner pour y découvrir les petits animaux qu’ils peuvent contenir ; prenez avec une plume ou avec un pinçeau une petite goutte du fluide, & faites-la couler sur un morceau de talc ou sur un des petits verres concaves, & appliquez-la de cette façon à la lentille. Mais au cas qu’en faisant votre observation, vous trouviez, comme il arrive souvent, que ces petits animaux nageant ensemble, soient en nombre si prodigieux, que roulant continuellement les uns sur les autres, on ne puisse pas bien connoître leur figure & leur espece, il faut enlever du verre une partie de la goutte, & y substituer un peu d’eau claire, qui les fera paroître séparés & bien distincts. C’est tout le contraire, lorsqu’on veut examiner un fluide pour y découvrir les sels qu’il contient, car il faut alors le faire évaporer, afin que ces sels qui restent sur le verre puissent être observés avec plus de facilité.

Pour disséquer les petits insectes, comme les puces, poux, cousins, mites, &c. il faut avoir beaucoup de patience & de dextérité ; cependant on peut le faire par le moyen d’une fine lancette & d’une aiguille, si l’on met ces animaux dans une goutte d’eau ; car alors on pourra séparer aisément leurs parties & les placer devant le microscope, pour observer leur estomac & leurs entrailles.

Les corps opaques, tels que les semences, les sables, les bois, &c. demandent d’autres précautions : voici le meilleur moyen de les considérer. Coupez des cartes en petits morceaux d’environ un demi-pouce de longueur, & de la dixieme partie d’un pouce de largeur ; mouillez-les dans la moitié de leur longueur avec de l’eau gommée bien forte, mais bien transparente, & avec cette eau vous y attacherez votre objet. Comme les figures des cartes sont rouges & noires, si vous coupez vos morceaux de cartes sur ces figures, vous aurez pour vos objets un contraste de presque toutes les couleurs ; & fixant les objets noirs sur le blanc, les blancs sur le noir, les bleus ou verds sur le rouge ou le blanc, & les autres objets colorés sur les morceaux qui leur sont le plus opposés en couleurs, vous les observerez avec plus d’avantage. Ces morceaux sont principalement destinés au microscope nouvellement inventé pour les objets opaques, & on doit les appliquer entre les pincettes ; mais ils sont aussi utiles aux autres microscopes qui peuvent découvrir les objets opaques.

Il faut avoir une petite boîte quarrée destinée à conserver ces morceaux de cartes, avec un nombre de petits trous fort peu profonds, & l’on colera un papier sur un côté de chaque carte pour servir de fond.

Précautions dans l’examen des objets microscopiques. En examinant les objets dans tous les degrés de lumiere, il ne faut rien assurer qu’après des expériences réitérées & des observations exactes. Ne formez donc aucun jugement sur les objets qui sont étendus avec trop de force, ou resserrés par la sécheresse, ou qui sont hors de leur état naturel en quelque maniere que ce soit, sans y avoir les égards convenables.

Il est fort douteux si l’on peut juger des vraies couleurs des objets que l’on voit par la plus forte lentille ; car comme les pores ou interstices d’un objet sont agrandis à proportion de la force du verre dont on se sert, & que les particules qui en composent la matiere, doivent par le même principe, paroître séparées plusieurs mille fois plus qu’a la vûe simple, la réflexion des rayons de lumiere qui viennent à nos yeux, doit être fort différente & produire différentes couleurs ; & certainement la varieté des couleurs de certains objets qu’on y observe, justifie cette remarque.

On ne doit pas non plus déterminer sans beaucoup de réfléxion, tous les mouvemens des créatures vivantes ou des fluides qui les renferment, lorsqu’on les voit par le microscope ; car comme le corps qui se meut, & l’espace où il se meut est agrandi, le mouvement le doit être aussi, & par consequent on doit juger sur ces principes, de la rapidité avec laquelle le sang paroît couler dans les vaisseaux des petits animaux. Supposons, par exemple, qu’un cheval & un rat fassent mouvoir leurs membres exactement dans le même moment de tems ; si le cheval fait un mille, pendant que le rat parcourt cinquante perches (quoique le nombre des pas soit le même de part & d’autre) on conviendra aisément, ce me semble, que le mouvement du cheval est le plus rapide. Le mouvement d’une mite vû par le microscope, ou apperçû à la vûe simple, n’est pas peut-être moins différent. (Le chevalier de Jaucourt.)