L’Encyclopédie/1re édition/METIER

◄  METIOSEDUM
MÉTIS  ►

METIER, s. m. (Gram.) on donne ce nom à toute profession qui exige l’emploi des bras, & qui se borne à un certain nombre d’opérations méchaniques, qui ont pour but un même ouvrage, que l’ouvrier repéte sans cesse. Je ne sais pourquoi on a attaché une idée vile à ce mot ; c’est des metiers que nous tenons toutes les choses nécessaires à la vie. Celui qui se donnera la peine de parcourir les atteliers, y verra par-tout l’utilité jointe aux plus grandes preuves de la sagacité. L’antiquité fit des dieux de ceux qui inventerent des metiers ; les siecles suivans ont jetté dans la fange ceux qui les ont perfectionnés. Je laisse à ceux qui ont quelque principe d’équité, à juger si c’est raison ou préjugé qui nous fait regarder d’un œil si dédaigneux des hommes si essentiels. Le poëte, le philosophe, l’orateur, le ministre, le guerrier, le héros, seroient tout nuds, & manqueroient de pain sans cet artisan l’objet de son mépris cruel.

On donne encore le nom de metier à la machine dont l’artisan se sert pour la fabrication de son ouvrage ; c’est en ce sens qu’on dit le metier à bas, le metier à draps, le metier à tisserand.

Si nous expliquions ici toutes les machines qui portent ce nom, cet article renfermeroit l’explication de presque toutes nos Planches ; mais nous en avons renvoyé la plûpart au nom des ouvriers ou des ouvrages. Ainsi à bas, on a le metier à bas ; à manufacture en laine, le metier à draps ; à soierie, les metiers en soie ; à gaze, le metier à gaze, & ainsi des autres.

Metier, terme & outil de Brodeur, qui sert pour tenir l’ouvrage en état d’être travaillé. Cette machine est composée de deux gros bâtons quarrés, de la longueur de 3 à 4 piés, & de deux lattes, de la longueur de 2 piés & demi.

Les bâtons sont garnis tout du long en-dedans, d’un gros canevas, attaché avec des clous pour y coudre l’ouvrage que l’on veut broder. Les deux bouts de chaque bâton sont creusés & traversés par 4 mortaises, pour y faire passer les lattes, ce qui forme un espece de quarré long.

Les lattes sont de petites bandes de bois plat, percées de beaucoup de petits trous pour arrêter les bâtons & les assujettir au point qu’il faut. Voyez la fig.

Metier, en terme d’Epinglier, est un instrument qui leur sert à frapper la tête de leurs épingles. Il est composé d’une planche assez large & épaisse, qui en fait la base, de 2 montans de bois, liés ensemble par une traverse. Dans l’un de ces montans, qui est plus haut que l’autre d’environ un demi pié, passe une bascule, qui vient répondre par une de ses extrémités au milieu de la traverse des montans, & s’y attache à la corde d’un contre-poids assez pesant ; elle répond de l’autre bout à une planche qu’on abaisse avec le pié. Dans cette premiere cage sont 2 autres broches de fer, plantées sur la base du metier, & retenues dans la traverse d’en-haut. Au bas du contre-poids est une autre traverse de fer, qui coule le long de ces broches, & empêche que le contre-poids ne s’écarte du point sur lequel il doit tomber, qui est le trou du poinçon. Il y a dans ce contre-poids un têtoir pareil à celui de dessous, pour former la partie supérieure de la tête, pendant que celui-ci fait l’autre moitié, & par ce moyen la tête est achevée d’un seul coup. Voyez dans les fig. Pl. de l’Epinglier, les deux montans, la traverse, les deux broches, la traverse du contre poids, le contre-poids, le têtoir supérieur, l’enclavure au têtoir inférieur : la bascule, son articulation avec le montant, la corde qui joint la bascule avec la marche, sur laquelle l’ouvrier appuye le pié pour faire lever le contre-poids, les épingles dont la tête n’est point achevée, les épingles dont la tête est entierement achevée. Les figures de ces Planches de l’Epinglier, représentent un metier à une place, & un metier à quatre ; & d’autres figures représentent le plan d’un metier à quatre places : les places, le contre-poids, l’enclume, la bascule.

Metiers, est un terme de Brasserie ; il signifie la liqueur qu’on tire après qu’on a fait tremper ou bouillir avec la farine ou houblon ; les premieres opérations se nomment premiers metiers, & les secondes seconds metiers ; car on ne leur donne le nom de biere, que lorsqu’ils sont entonnés dans les pieces. Voyez Brasserie.

Metier du Drapier, voyez l’article Manufacture en laine.

Metier à Perruquier, est une machine dont les Perruquiers se servent pour tresser les cheveux. Il est composé d’une piece de bois d’environ un pié & demi ou 2 piés de longueur, sur 4 pouces de largeur & 2 d’épaisseur ; cette piece de bois se nomme la barre, & sert de base au metier. Aux deux extrémités de la barre sont deux trous circulaires, destinés à recevoir deux cylindres de bois d’un pouce & demi de diametre, & d’un pié & demi de hauteur, qui se placent dans une situation verticale & perpendiculaire à la barre. Ces 2 cylindres appellés les montans, servent à soutenir 3 brins de soie roulés sur eux par les extrémités, dans lesquels on entrelace les cheveux pour en former une tresse. Voyez nos Planches.

Metier de Rubanier, est un chassis sur lequel ces ouvriers fabriquent les rubans, &c. Le metier du Rubanier est plus ou moins composé, suivant les ouvrages qu’on veut y fabriquer. Les rubans unis ne demandent pas tant de parties que les rubans façonnés ; & ceux-ci beaucoup moins que les galons & tissus d’or & d’argent. Cependant comme les pieces principales & les plus essentielles de ces différens metiers sont à-peu-près les mêmes, on se contente de décrire ici un metier à travailler les gallons & tissus d’or & d’argent, & les rubans façonnés de plusieurs couleurs ; en faisant remarquer cependant les différences des uns & des autres, suivant que l’occasion s’en présentera. Le metier contient les parties suivantes.

1°. Le chassis, ou comme on dit en terme plus propre le bati, est composé de 4 pilliers ou montans de bois, placés sur un plan parallélograme, ou carré long. Quatre traverses aussi de bois, joignent ces pilliers par en haut, & 4 autres traverses, dont celle de devant qui est un peu plus élevée s’appelle la poitriniere, les unissent à-peu-près au milieu de leur hauteur : enfin il y a une 9e. traverse au bas du bâti pour mettre les piés de l’ouvrier, où sont attachées les marches qui font lever ou baisser les fils de la chaîne. Les pilliers ont 6 ou 7 piés de hauteur, & sont éloignés l’un de l’autre de presqu’autant dans sa partie la plus longue du parallélogramme, & seulement de 3 ou 4 piés dans la plus étroite.

2°. Le chatelet, c’est un chassis de forme à-peu-près triangulaire, placé au haut du métier, & posé sur les 2 plus longues traverses.

3°. Dans le chatelet sont renfermées 24 poulies de chaque côté, autant qu’il y a de marches sous les piés du fabriquant. Les poulies servent à élever les lisserons par le racourcissement des cordons.

4°. Les tirans, ce sont des ficelles qui étant tirées par les marches font monter les lisserons. Il y a 24 tirans, un tirant pour 2 poulies.

5°. Le harnois, qui est une suite de petites barres qui soutiennent les lisserons, & qui sont suspendues chacune à 2 cordons enroulés autour des poulies.

6°. Les lisserons, c’est un nombre de petits filets, bandés vers le bas par un poids, & qui ont vers leur milieu des bouclettes pour recevoir des ficelles transversales appellées rames.

7°. Les platines, ce sont des plaques de plomb ou d’ardoises qu’on suspend sous chaque baguette qui termine chaque ligne des lisserons. Quand le pié de l’ouvrier abandonne une marche, la platine fait retomber les lisserons que le tirant avoit haussés.

8°. Les rames, sont des ficelles qui traversent les lisserons, & dont le jeu est le principal artifice de tout le travail de la Rubanerie ; comme la tire ou l’ordre des cordons qu’on tire pour fleuronner une étoffe, y produit l’exécution du dessein. Ici il ne faut point de second ouvrier pour tirer les cordons ; les marches operent tout sous les piés du tissutier, parce qu’il a pris soin, par avance, de n’étendre au travers des lisserons que le nombre de rames qu’il faut pour prendre certains fils de la chaîne, & en laisser d’autres. Ces rames sont attachées à l’extrémité du metier ; elles montent sur des roulettes qu’on appelle le porterames de derriere, traversent les bouclettes de certains lisserons, & passent entre les autres lisserons sans tenir aux bouclettes ; de-là elles arrivent au porterame de devant, qui est pareillement composé de petites roulettes pour faciliter le mouvement des rames. Celles-ci enfin sont attachées en-devant à d’autres ficelles qui tombent perpendiculairement à l’aide d’un fuseau de plomb au bas, & qu’on nomme lisses ou remises. Les rames ou ficelles transversales ne peuvent être haussées ou baissées par l’un ou l’autre des lisserons, qu’elles ne tirent & ne fassent monter quelques lisses de devant : or celles-ci ont aussi leurs bouclettes vers la main de l’ouvrier. Certains fils de la chaîne passent dans une bouclette, d’autres passent à côté. Il y a des lisses qui saisissent tour-à-tour les fils dont la couleur est uniforme ; on les nomme lisses de fond, par ce qu’elles produisent le fond de l’étoffe & la couleur qui soutient tous les ornemens : les autres lisses élevent par leurs bouclettes des fils de différentes couleurs, ce qui par l’alternative des points pris ou laissés, des points qui couvrent la trame, ou qui sont cachés dessous, rendent le dessein ou l’ornement qu’on s’est proposé.

9°. Le battant, c’est le chassis qui porte le rot, pour frapper la trame. Dans ce metier ce n’est point l’ouvrier qui frappe, il ne fait que repousser avec la main le battant qui, tenant à un ressort, est ramené de lui-même, ce qui soulage le rubanier.

11°. Le ton ou bandoir du battant, c’est une grosse noix, percée de plusieurs trous dans sa rondeur, & traversée de 2 cordes qui tiennent de part & d’autre au metier ; cette noix sert à bander ces 2 cordes par une cheville qu’on enfonce dans un de ces trous, & qui mene la noix à discrétion. Deux cordons sont attachés d’un bout à cette cheville, & de l’autre aux 2 barres du battant qui, par ce moyen, est toujours amené contre la trame.

12°. Les remises ou lisses, ce sont les lisses de devant qui par leurs bouclettes, saisissent certains fils de la chaîne, & laissent tous les autres selon l’arrangement que l’ouvrier a conformé aux points de son dessein.

13°. Les fuseaux qui roidissent les remises ; ils sont de fer, ont environ un pié de longueur & un quarteron de pesanteur. Les fuseaux en roidissant les remises, font ouvrir la chaîne & la referment.

14°. Les bretelles, ce sont deux lisieres de drap qu’on passe entre ses bras pour les soutenir, parce qu’en travaillant on est obligé de se tenir dans une posture gênante, & qu’on n’est presque pas assis.

15°. Le siege ou banc sur lequel l’ouvrier est assis, c’est un planche ou banc de 3 piés de haut, & à demi panché vers le metier, de sorte que l’ouvrier est presque debout.

16°. Le marchepié.

17°. La poitriniere, est une traverse qui passe d’un montant à l’autre à l’endroit de la poitrine de l’ouvrier. A cette poitriniere est attaché un rouleau sur lequel passe le ruban pour aller gagner l’ensouple un peu plus bas.

18°. La broche ou boulon qui enfile les vingt-quatre marches.

19°. Les marches, dans les rubans unis il ne faut que 2, 3 ou 4 marches. 20°. Les las ou attaches qui unissent les marches aux lames.

21°. Les lames, qui sont de petites barres de bois qui haussent ou baissent comme les marches, & qui étant arrêtées sur une même ligne d’un côté & de l’autre, tiennent les lisserons dans un niveau parfait aux momens de repos.

22 & 23°. L’ensouple de devant, & celles de derriere ; celles-ci sont des rouleaux sur lesquels sont roulés les fils de la chaîne : il y a autant d’ensouples de derriere qu’il y a de fils de couleurs différentes. L’ensouple de devant sert à rouler l’ouvrage à mesure qu’il se fabrique.

24°. Les potenceaux qui soutiennent les ensouples.

25°. Les bâtons de retour.

26°. La planchette.

27°. L’echelette ou les roulettes des retours.

28°. Les boutons des retours.

Ce qu’on appelle les retours est encore un moyen de menager plus de variété dans l’ouvrage, & de faire revenir les mêmes variétés, outre celles qu’on menage par le jeu alternatif des lisserons, & par le changement de trame en prenant une autre navette.

Il y a communément trois bâtons de retour ; mais on peut en employer davantage. Ils sont attachés sur un boulon en forme de bascules, & ayant un poids pendu à un de leurs bouts, ils enlevent l’autre dès qu’ils sont libres ; l’ouvrier a auprès de lui plusieurs boutons arrêtés, par le moyen desquels il peut tirer des cordes, qui en passant par les tournans de l’échelette, vont gagner le bout supérieur des bâtons de retour. Un de ces bâtons tire par le bouton s’abaisse, & en passant rencontre la planchette qui est mobile sur deux charnieres, & qui cede pour le laisser descendre. Quand la tête du bâton est arrivée plus bas que la planchette, celle-ci rendue à elle-même, reprend toujours sa premiere place ; & elle assujettit alors la tête du bâton qui demeure arrêtée. Si on en tire un autre qui déplace la planchette, le premier se trouve libre & s’échappe. Le second tiré par la corde, demeurant un instant plus bas que la planchette, se trouve pris & arrêté par le retour de la planchette dans sa position naturelle : tel est le jeu des boutons & des batons de retour ; en voici l’effet. Au-dessus précisement, au milieu de ces bâtons ou bascules, est un anneau de métal ou de fil, auquel on fait tenir tant de rames ou de ficelles transversales qu’on juge à propos ; quand un bâton de retour est tiré & abaissé, les rames qui tiennent à sa boucle sont roidies : c’est donc une nécessité que les lisserons, dans les bouclettes desquels ces rames ont été enfilées, les élevent avec eux ; ce qui fait monter certaines lisses ou remises, auxquelles ces rames sont attachées, & conséquemment certains fils de la chaîne, par préférence à d’autres. Quand l’ouvrier tire un autre retour, il laisse échapper & remonter le premier. Les rames qui tiennent à l’anneau du bâton remonté deviennent lâches, & les lisserons vont & viennent sans les bander, sans les hausser. Ces rames désœuvrées ne produisent donc point d’effet ; celles d’un autre bâton ayant produit le leur, c’est à un troisieme qui dormoit à s’éveiller. Tous ces effets forment une suite de différentes portions de fleurs ou autres figures, qui revenant toujours les mêmes, produisent des figures complettes, toujours les mêmes, & justement appellées des retours.

Lorsqu’après que le metier est monté, l’ouvrier veut travailler, il se place au-devant sur le siege, panché de maniere qu’il est presque debout. Il appuie sa poitrine sur la traverse du metier, appellée la poitriniere ; & pour ne point retomber en-devant, il se passe par-dessous les bras deux bretelles pour le soutenir : ces bretelles sont attachées par un bout à la traverse d’en-haut, & de l’autre à la poitriniere.

Métiers, (Soierie.) Voyez l’article Manufacture en Soie.

Métier de Tisserand, machine à l’usage du tisserand, & qui lui sert à tisser plusieurs brins de fil pour en faire une piece de toile. Les Tisserands ont des métiers plus ou moins composés, suivant les différentes especes qu’ils ont à fabriquer. Les toiles ouvrées, damassées, &c. demandent des métiers plus garnis que les toiles unies. Voici la maniere dont le métier simple de tisserand est construit. Le chassis est composé de quatre montans de 5 piés de haut, qui forme un quarré de 7 piés en tous sens. Ces quatre montans sont joints les uns aux autres par quatre traverses en haut, & quatre autres en bas qui sont à la hauteur de 2 piés. Au bout du métier, à la hauteur d’environ 3 piés, est un rouleau de bois porté sur deux mantonets ; ce rouleau s’appelle l’ensouple de derriere, sur laquelle sont roulés les fils de la chaîne que l’on veut tisser. Sur le devant, à la même hauteur, est un autre rouleau appellé la poitriniere, parce que le tisserand, en travaillant, appuie sa poitrine dessus. Ce rouleau sert à recevoir la toile à mesure qu’elle se fabrique. Au-dessous de la poitriniere est un autre rouleau de bois appellé le déchargeoir, sur lequel on roule la toile fabriquée pour en décharger la poitriniere. Au milieu du métier, dans une position perpendiculaire, est la chasse ou battant, qui est suspendu au porte-chasse, & dans laquelle, par en bas, est insinué le peigne ou rot ; derriere la chasse sont les lames soutenues par en-haut par le porte-lame & par les pouliots ; au bas du métier, immédiatement sous les piés du tisserand, sont les marches ; enfin derriere les lames sont placés les verges & le cartron. Voyez l’explication de tous ces termes, chacun à leur article. Voyez aussi l’article Tisserand en toile.