L’Encyclopédie/1re édition/MESSIE

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MESSIE, Messias, s. m. (Théol. & Hist.) ce terme vient de l’hébreu, qui signifie unxit, unctus ; il est synonyme au mot grec christ : l’un & l’autre sont des termes consacrés dans la religion, & qui ne se donnent plus aujourd’hui qu’à l’oint par excellence, ce souverain libérateur que l’ancien peuple juif attendoit, après la venue duquel il soupire encore, & que nous avons en la personne de Jesus fils de Marie, qu’ils regardent comme l’oint du Seigneur, le Messie promis à l’humanité. Les Grecs employoient aussi le mot d’elcimmenos, qui signifie la même chose que christos.

Nous voyons dans l’ancien Testament que le mot de Messie, loin d’être particulier au libérateur, après la venue duquel le peuple d’Israël soupiroit, ne l’étoit pas seulement aux vrais fideles serviteurs de Dieu, mais que ce nom fut souvent donné aux rois & aux princes idolâtres, qui étoient dans la main de l’Eternel les ministres de ses vengeances, ou des instrumens pour l’exécution des conseils de sa sagesse. C’est ainsi que l’auteur de l’ecclésiastique, lxviij. v. 8. dit d’Elisée, quiungis reges ad pænitentiam, ou comme l’ont rendu les Septante, ad vindictam : vous oignez les rois pour exercer la vengeance du Seigneur, c’est pourquoi il envoya un prophete pour oindre Jéhu roi d’Israël ; il annonça l’onction sacrée à Hazaël, roi de Damas & de Syrie, ces deux princes étant les Messies du Très-Haut, pour venger les crimes & les abominations de la maison d’Achab. IV. Reg. viij. 12. 13. 14.

Mais au xlv. d’Isaïe, v. l. le nom de Messie est expressément donné à Cyrus : ainsi a dit l’Eternel à Cyrus son oint, son Messie, duquel j’ai pris la main droite, afin que je terrasse les nations devant lui, &c.

Ezéchiel au xxviij. de ses révélations, v. 14. donne le nom de Messie au roi de Tyr, il l’appelle aussi Chérubin. « Fils de l’homme, dit l’Eternel au prophete, prononce à haute voix une complainte sur le roi de Tyr, & lui dis : ainsi a dit le Seigneur l’Eternel, tu étois le sceau de la ressemblance de Dieu, plein de sagesse & parfait en beautés ; tu as été le jardin d’Heden du Seigneur (ou, suivant d’autres versions) tu étois toutes les délices du Seigneur ; ta couverture étoit de pierres précieuses de toutes sortes, de sardoine, de topase, de jaspe, de chrysolyte, d’onix, de béril, de saphir, d’escarboucle, d’éméraude & d’or ; ce que savoient faire tes tambours & tes flûtes a été chez toi, ils ont été tous prêts au jour que tu fus créé ; tu as été un chérubin, un Messie pour servir de protection ; je t’avois établi, tu as été dans la sainte montagne de Dieu ; tu as marché entre les pierres flamboyantes ; tu as été parfait en tes voies dès le jour que tu fus créé, jusqu’à ce que la perversité ait été trouvée en toi ».

Au reste, le nom de messiach, en grec christ, se donnoit aux rois, aux prophetes, aux grands prêtres des Hébreux. Nous lisons dans le I. des Rois, chap. xij. v. 3. Le Seigneur & son Messie sont témoins, c’est-à-dire, le Seigneur & le roi qu’il a établi ; & ailleurs, ne touche point mes oints, & ne faites aucun mal à mes prophetes.

David, animé de l’esprit de Dieu, donne dans plus d’un endroit à Saül son beau-pere, il donne dis-je, à ce roi reprouvé, & de dessus lequel l’esprit de l’Eternel s’étoit retiré, le nom & la qualité d’oint, de Messie du Seigneur : Dieu me garde, dit-il fréquemment, Dieu me garde de porter ma main sur l’oint du Seigneur, sur le Messie de Dieu.

Si le beau nom de Messie, d’oint de l’Eternel a été donné à des rois idolâtres, à des princes cruels & tyrans, il a été très-souvent employé dans nos anciens oracles pour désigner visiblement l’oint du Seigneur, ce Messie par excellence, objet du desir & de l’attente de tous les fideles d’Israël ; ainsi Anne, (I. Rois, ij. v. 10.) mere de Samuel, conclut son cantique par ces paroles remarquables, & qui ne peuvent s’appliquer à aucun roi, puisqu’on sait que pour lors les Hébreux n’en avoient point : « Le Seigneur Jugera les extrémités de la terre, il donnera l’empire à son roi, & relevera la corne de son Christ, de son Messie ». On trouve ce même mot dans les oracles suivans, ps. ij. v. 2. ps. xliv. 8. Jérém. iv. 20. Dan. ix. 16. Habac. iij. 13. nous ne parlons pas ici du fameux oracle de la Gen. xlix. 10. qui trouvera sa place à l’article Sylo.

Que si l’on rapproche tous ces divers oracles, & en général tous ceux qu’on applique pour l’ordinaire au Messie, il en résulte quelques difficultés dont les Juifs se sont prévalus pour justifier, s’ils le pouvoient, leur obstination.

On peut leur accorder que dans l’état d’oppression sous lequel gémissoit le peuple Juif, & après toutes les glorieuses promesses que l’Eternel lui avoit faites si souvent, il sembloit en droit de soupirer après la venue d’un Messie vainqueur, & de l’envisager comme l’époque de son heureuse délivrance ; & qu’ainsi il est en quelque sorte excusable de n’avoir pas voulu reconnoître ce libérateur dans la personne du Seigneur Jesus, d’autant plus qu’il est de l’homme de tenir plus au corps qu’à l’esprit, & d’être plus sensible aux besoins présens, que flatté des avantages à venir.

Il étoit dans le plan de la sagesse éternelle, que les idées spirituelles du Messie fussent inconnues à la multitude aveugle. Elles le furent au point, que lorsque le Sauveur parut dans la Judée, le peuple & ses docteurs, ses princes mêmes attendoient un monarque, un conquérant qui par la rapidité de ses conquêtes devoit s’assujettir tout le monde ; & comment concilier ces idées flatteuses avec l’etat abjet, en apparence, & misérable de Jesus-Christ ? Aussi scandalisés de l’entendre annoncer comme le Messie, ils le persécuterent, le rejetterent, & le firent mourir par le dernier supplice. Depuis ce tems-là ne voyant rien qui achemine à l’accomplissement de leurs oracles, & ne voulant point y renoncer, ils se livrent à toutes sortes d’idées chimériques.

Ainsi, lorsqu’ils ont vu les triomphes de la religion chrétienne, qu’ils ont senti qu’on pouvoit expliquer spirituellement, & appliquer à Jesus-Christ la plûpart de leurs anciens oracles, ils se sont avisés de nier que les passages que nous leur alléguons, doivent s’entendre du Messie, tordant ainsi nos saintes-Ecritures à leur propre perte ; quelques-uns soutiennent que leurs oracles ont été mal entendus, qu’en vain on soupire après la venue du Messie, puisqu’il est déja venu en la personne d’Ezéchias. C’étoit le sentiment du fameux Hillel : d’autres plus relâchés, ou cédant avec politique au tems & aux circonstances, prétendent que la croyance de la venue d’un Messie n’est point un article fondamental de foi, & qu’en niant ce dogme on ne pervertit point la loi, que ce dogme n’est ni dans le Décalogue, ni dans le Lévitique. C’est ainsi que le juif Albo disoit au pape, que nier la venue du Messie, c’étoit seulement couper une branche de l’arbre sans toucher à la racine.

Si on pousse un peu les rabbins des diverses synagogues qui subsistent aujourd’hui en Europe, sur un article aussi intéressant pour eux, qu’il est propre à les embarrasser, ils vous disent qu’ils ne doutent pas que, suivant les anciens oracles, le Messie ne soit venu dans les tems marqués par l’esprit de Dieu ; mais qu’il ne vieillit point, qu’il reste caché sur cette terre, & attend, pour se manifester & établir son peuple avec force, puissance & sagesse, qu’Israël ait célébré comme il faut le sabbat, ce qu’il n’a point encore fait, & que les Juifs ayent réparé les iniquités dont ils se sont souillés, & qui ont arrêté envers eux le cours des bénédictions de l’Eternel.

Le fameux rabbin Salomon Jarchy ou Raschy, qui vivoit au commencement du xij. siecle, dit dans ses Talmudiques, que les anciens Hébreux ont cru que le Messie étoit né le jour de la derniere destruction de Jérusalem par les armées romaines ; c’est placer la connoissance d’un libérateur dans une époque bien critique, &, comme on dit, appeller le médecin après la mort.

Le rabbin Kimchy, qui vivoit au xij. siecle, s’imaginoit que le Messie dont il croyoit la venue très prochaine, chasseroit de la Judée les Chrétiens qui la possédoient pour lors. Il est vrai que les Chrétiens perdirent la terre-sainte ; mais ce fut Saladin qui les vainquit, & les obligea de l’abandonner avant la fin du xij. siecle. Pour peu que ce conquérant eût protégé les Juifs, & se fût déclaré pour eux, il est vraissemblable que dans leur enthousiasme ils en auroient fait leur Messie.

Plusieurs rabbins veulent que le Messie soit actuellement dans le paradis terrestre ; c’est-à-dire, dans un lieu inconnu & inaccessible aux humains ; d’autres le placent dans la ville de Rome, & les Thalmudistes veulent que cet oint du Très-haut soit caché parmi les lépreux & les malades qui sont à la porte de cette métropole de la chrétienté, attendant qu’Elie, son précurseur, vienne pour le manifester aux hommes.

D’autres rabbins, & c’est le plus grand nombre, prétendent que le Messie n’est point encore venu ; mais leurs opinions ont toujours extrèmement varié, & sur le tems, & sur la maniere de son avénement. Un rabbin David, petit-fils de Maimonides, consulté sur la venue du Messie, dit de grandes choses impénétrables pour les étrangers. On sait aujourd’hui ces mysteres : il révéla qu’un nommé Pinéhas ou Phinées, qui vivoit 400 ans après la ruine du temple, avoit eu dans sa vieillesse un enfant qui parla en venant au monde ; que parvenu à l’âge de 12 ans, & sur le point de mourir, il révéla de grands secrets, mais énoncés en diverses langues étrangeres, & sous des expressions symboliques. Ses révélations sont très-obscures, & sont restées long-tems inconnues, jusqu’à ce qu’on les ait trouvées sur les masures d’une ville de Galilée, où l’on lisoit que le figuier poussoit ses figues ; c’est à-dire, en langage bien clair pour un enfant d’Abraham, que la venue du Messie étoit très prochaine. Mais les figues n’ont pas encore poussé pour ce peuple également malheureux & crédule.

Souvent attendu dans des époques marquées par des rabbins, le Messie n’a point paru dans ce tems-là ; il ne viendra sans doute point ni à la fin du vj. millénaire, ni dans les autres époques à venir qui ont été marquées avec aussi peu de fondement que les précédentes.

Aussi il paroît par la Gemarre (Gemarr. Sanhed. tit. cap. xj.) que les juifs rigides ont senti les conséquences de ces faux calculs propres à énerver la foi, & ont très-sagement prononcé anathème contre quiconque à l’avenir supputeroit les années du Messie : Que leurs os se brisent & se carient, disent-ils ; car quand on se fixe un tems & que la chose n’arrive pas, on dit avec une criminelle confiance qu’elle n’arrivera jamais.

D’anciens rabbins, pour se tirer d’embarras, & concilier les prophéties qui leur semblent en quelque sorte opposées entr’elles, ont imaginé deux Messies qui doivent se sûccéder l’un à l’autre ; le premier dans un état abjet, dans la pauvreté & les souffrances ; le second dans l’opulence, dans un état de gloire & de triomphe ; l’un & l’autre simple homme : car l’idée de l’unité de Dieu, caractere distinctif de l’Etre suprême, étoit si respectée des Hébreux, qu’ils n’y ont donné aucune atteinte pendant les dernieres années de leur malheureuse existance en corps de peuple : & c’est encore aujourd’hui le plus fort argument que les Mahométans pressent contre la doctrine des Chrétiens.

C’est sur cette idée particuliere de deux Messies, que le savant docteur en Médecine, Aaron-Isaac Lééman de Slenwich, dans la dissertation de oraculis Judoeorum, avoue qu’après avoir examiné avec soin toutes choses, il seroit assez porté à croire que le Christ des Nazaréens, dont ils font, dit-il, follement un Dieu, pourroît bien être le Messie en opprobre qu’annonçoient les anciens prophetes, & dont le bouc Hazozel, chargé des iniquités du peuple, & proscrit dans les déserts, étoit l’ancien type.

A la vérité, les divisions des rabbins sur cet article, ne s’accordent pas avec l’opinion du savant docteur juif, puisqu’il paroît par Abnezra, que le premier Messie, pauvre, misérable, homme de douleur, & sachant ce que c’est que langueur, sortira de la famille de Joseph, & de la tribu d’Eprahïm, qu’Haziel sera son pere, qu’il s’appellera Néhémie, & que malgré son peu d’apparence, fortifié par le bras de l’Eternel, il ira chercher, on ne sait pas trop où, les tribus d’Ephraïm, de Manassé & de Benjamin, une partie de celle de Gad ; & à la tête d’une armée formidable, il fera la guerre aux Iduméens, c’est-à-dire aux Romains & Chrétiens, remportera sur eux les victoires les plus signalées, renversera l’empire de Rome, & ramenera les Juifs en triomphe à Jerusalem.

Ils ajoutent que ses prospérités seront traversées par le fameux ante-christ, nommé Armillius ; que cet Armillius, après plusieurs combats contre Néhémie, sera vaincu & prisonnier ; qu’il trouvera le moyen de se sauver des mains de Néhémie ; qu’il remettra sur pié une nouvelle armée, & remportera une victoire complette ; le Messie Néhémie perdra la vie dans la bataille, non par la main des hommes ; les anges emporteront son corps pour le cacher avec ceux des anciens patriarches.

Néhémie, vaincu & ne paroissant plus, les Juifs, dans la plus grande consternation, iront se cacher dans les déserts pendant quarante-cinq jours ; mais cette affreuse désolation finira par le son éclatant de la trompette de l’archange Michel, au bruit de laquelle paroîtra tout-à-coup le Messie glorieux de la race de David, accompagné d’Elie, & sera reconnu pour roi & libérateur par toute l’innombrable postérité d’Abraham. Armillius voudra le combattre ; mais l’Eternel fera pleuvoir sur l’armée de cet ante-christ du soufre du feu du ciel, & l’exterminera entierement : alors le second & grand Messie rendra la vie au premier ; il rassemblera tous les Juifs, tant les vivans que les morts ; il relevera les murs de Sion, rétablira le temple de Jérusalem sur le plan qui fut présenté en vision à Ezechiel, & fera périr tous les adversaires & les ennemis de sa nation ; établira son empire sur toute la terre habitable ; fondera ainsi la monarchie universelle, cette pompeuse chimere des rois profanes ; il épousera une reine & un grand nombre d’autres femmes, dont il aura une nombreuse famille qui lui succédera ; car il ne sera point immortel, mais il mourra comme un autre homme.

Il faut sur toutes ces incompréhensibles rêveries, & sur les circonstances de la venue du Messie, lire avec attention ce qui se trouve à la fin du V. tome de la Bibliothêque rabbinique, écrite par le P. Charles-Joseph Imbonatus, ce que Batolong a compilé sur le même sujet dans le tome I. de la Bibliotheque des rabbins, ce qu’on lit dans l’histoire des Juifs de M. Basnage, & dans les dissertations de dom Calmet.

Mais quelque humiliant qu’il soit pour l’esprit humain de rappeller toutes les extravagances des prétendus sages sur une matiere qui plus que toute autre en devroit être exempte, on ne peut se dispenser de rapporter en peu de mots les rêveries des rabbins sur les circonstances de la venue du Messie. Ils établissent que son evénement sera précédé de dix grands miracles, signes non équivoques de sa venue. Vid. libel. Abkas Porhel.

Dans le premier de ces miracles, il suppose que Dieu suscitera les trois plus abominables tyrans qui ayent jamais existé, & qui persécuteront & affligeront les Juifs outre mesure. Ils font venir des extrémités du monde des hommes noirs qui auront deux têtes, sept yeux étincellans, & d’un regard si terrible, que les plus intrépides n’oseront paroître en leur présence ; mais ces tems durs & fâcheux seront abrégés, sans quoi personne au monde ne pourroit ni résister, ni survivre à leur extrème rigueur ; des pestes, des famines, des mortalités, le soleil changé en épaisses ténebres, la lune en sang, la chute des étoiles & des astres, des dominations insupportables, sont les miracles 2, 3, 4, 5 & 6 ; mais le 7e. est sur-tout remarquable : un marbre que Dieu a formé dès le commencement du monde, & qu’il a sculpté lui-même de ses propres mains, en figure d’une belle fille, sera l’objet de l’impudicité abominable des hommes impies & brutaux qui commettront toutes sortes d’abominations avec ce marbre ; & de ce commerce impur, disent les rabbins, naîtra l’ante christ Armillius, qui sera haut de dix aunes ; l’espace d’un de ses yeux à l’autre, sera d’une aune ; ses yeux extrèmement rouges & enflammés, seront enfoncés dans la tête ; ses cheveux seront roux comme de l’or, & ses piés verds ; il aura deux têtes ; les Romains le choisiront pour leur roi, il recevra les hommages des Chrétiens qui lui présenteront le livre de leur loi : il voudra que les Juifs en fassent de même ; mais le premier Messie Néhémie, fils dHuziel, avec une armée de 300 mille hommes d’Ephraïm, lui livrera bataille : Néhémie mourra, non par les mains des hommes : quant à Armillius, il s’avancera vers l’Egypte, la subjuguera, & voudra prendre & assujettir aussi Jérusalem, &c.

Les trois trompettes restaurantes de l’archange Michel, seront les trois derniers miracles. Au reste, ces idées fort anciennes ne sont pas toutes à mépriser, puisqu’on trouve quelques-unes de ces diverses notions dans nos saintes-Ecritures, & dans les descriptions que J. C. fait de l’avénement du regne du Messie.

Les auteurs sacrés, & le Seigneur Jesus lui-même, comparent souvent le regne du Messie & l’éternelle béatitude, qui en sera la suite pour les vrais élus, à des jours de noces, à des festins & des banquets, où l’on goûtera toutes les délices de la bonne chere, toute la joie & tous les plaisirs les plus exquis ; mais les Talmudistes ont étrangement abusé de ces paraboles.

Selon eux, le Messie donnera à son peuple rassemblé dans la terre de Canaan un repas dont le vin sera celui qu’Adam lui-même fit dans le paradis terrestre, & qui se conserve dans de vastes celliers creusés par les anges au centre de la terre.

On servira pour entrée, le fameux poisson appellé le grand léviathan, qui avala tout d’un coup un poisson moins grand que lui, & qui ne laisse pas d’avoir trois cent lieues de long ; toute la masse des eaux est portée sur le léviathan : Dieu au commencement en créa deux, l’un mâle & l’autre femelle ; mais de peur qu’ils ne renversent la terre, & qu’ils ne remplissent l’univers de leurs semblables, Dieu tua la femelle, & la sala pour le festin du Messie.

Les rabbins ajoutent qu’on tuera pour ce merveilleux repas le bœuf béhémoth, qui est si gros & si grand qu’il mange chaque jour le foin de mille montagnes très-vastes ; il ne quitte point le lieu qui lui a été assigné ; & l’herbe qu’il a mangée le jour recroît toutes les nuits, afin de fournir toujours à sa subsistance. La femelle de ce bœuf fut tuée au commencement du monde, afin qu’une espece si prodigieuse ne multipliât pas, ce qui n’auroit pu que nuire aux autres créatures. Mais ils assurent que l’Eternel ne la sala pas, parce que la vache salée n’est pas un met assez délicat pour un repas si magnifique. Les Juifs ajoutent encore si bien foi à toutes ces réveries rabbiniques, que souvent ils jurent sur leur part du bœuf behémoth, comme quelques chrétiens impies jurent sur leur part du paradis.

Enfin l’oiseau bar-juchne doit aussi servir pour le festin du Messie ; cet oiseau est si immense, que s’il étend les ailes il offusque l’air & le soleil. Un jour, disent-ils, un œuf pourri tombant de son nid, renversa & brisa trois cens cedres les plus hauts du Liban ; & l’œuf s’étant enfin cassé par le poids de sa chûte, renversa soixante gros villages, les inonda & les emporta comme par un déluge. On est humilié en détaillant des chimeres aussi absurdes que celles-là. Après des idées aussi grossieres & si mal digérées sur la venue du Messie & sur son origine, faut-il s’étonner si les Juifs, tant anciens que modernes, le général même des premiers chrétiens malheureusement imbus de toutes ces chimériques réveries de leurs docteurs, n’ont pu s’élever à l’idée de la nature divine de l’oint du Seigneur, & n’ont pas attribué la qualité de Dieu au Messie, après la venue duquel ils soupiroient ? Le système des Chrétiens sur un article aussi important, les révolte & les scandalise ; voyez comme ils s’expriment là-dessus dans un ouvrage intitulé : Judei lusitani questiones ad Christianos, quest. I. ij. 3. 23, &c. Reconnoître, disent-ils, un homme dieu, c’est s’abuser soi-même, c’est se forger un monstre, un centaure, le bisarre composé de deux natures qui ne sauroient s’allier. Ils ajoutent que les prophetes n’enseignent point que le Messie soit homme-dieu ; qu’ils distinguent expressément entre Dieu & David ; qu’ils déclarent le premier maître, & le second serviteur, &c. Mais ce ne sont-là que des mots vuides de sens qui ne prouvent rien, qui ne contrarient point la foi chrétienne, & qui ne sauroient jamais l’emporter sur les oracles clairs & exprès qui fondent notre croyance là-dessus, en donnant au Messie le nom de Dieu. Vide Isai. IX. vj. 45. 22. 35. 4. Jer. XXIII. vj. Eccl. I. 4.

Mais lorsque le Sauveur parut, ces prophéties, quelque claires & expresses qu’elles fussent par elles-mêmes, malheureusement obscurcies par les préjugés, sucés avec le lait, furent ou mal entendues ou mal expliquées ; en sorte que Jesus-Christ lui même, ou par ménagement, ou pour ne pas révolter les esprits, paroît extrèmement reservé sur l’article de sa divinité ; il vouloit, dit saint Chrysostome, accoutumer insensiblement ses auditeurs à croire un mystere si fort élevé au-dessus de la raison. S’il prend l’autorité d’un Dieu en pardonnant les péchés, cette action révolte & souleve tous ceux qui en sont les témoins ; ses miracles les plus évidens ne peuvent convaincre de sa divinité ceux même en faveur desquels il les opere. Lorsque devant le tribunal du souverain sacrificateur il avoue avec un modeste détour qu’il est fils de Dieu, le grand-prêtre déchire sa robe & crie au blasphème. Avant l’envoi du saint-Esprit, ses apôtres ne soupçonnent pas même la divinité de leur cher maître : il les interroge sur ce que le peuple pense de lui ; ils répondent que les uns le prennent pour Elie, les autres pour Jérémie ou pour quelqu’autre prophete. Saint Pierre, le zélé saint Pierre lui-même, a besoin d’une révélation particuliere pour connoître que Jesus est le Christ, le fils du Dieu vivant. Ainsi le moindre sujet du royaume des cieux, c’est-à-dire le plus petit chrétien, en sait plus à cet égard que les patriarches & les plus grand prophetes.

Les Juifs révoltés contre la divinité de Jesus-Christ, ont eu recours à toutes sortes de voies pour invalider & détruire ce grand mystere, dogme fondamental de la foi chrétienne ; ils détournent le sens de leurs propres oracles, ou ne les appliquent pas au Messie. Ils prétendent que le nom de Dieu n’est pas particulier à la divinité, & qu’il se donne même par les auteurs sacrés au juges, aux magistrats, en général à ceux qui sont élevés en autorité. Ils citent en effet un très-grand nombre de passages de nos saintes-Ecritures qui justifient cette observation, mais qui ne donnent aucune atteinte aux termes clairs & exprès des anciens oracles qui regardent le Messie.

Enfin ils prétendent que si le Sauveur & après lui les Evangélistes, les Apôtres & les premiers Chrétiens appellent Jesus fils de Dieu, ce terme auguste ne signifioit dans les tems évangéliques autre chose que l’opposé des fils de Belial, c’est-à-dire homme de bien, serviteur de Dieu par opposition à un méchant, un homme corrompu & pervers qui ne craint point Dieu. Tous ces sophismes, toutes ces réflexions critiques n’ont point empêché l’Eglise de croire la voix céleste & surnaturelle qui a présenté à l’humanité le Messie Jesus-Christ comme le fils de Dieu, l’objet particulier de la dilection du Très-Haut, & de croire qu’en lui habitoit corporellement toute plénitude de divinité.

Si les Juifs ont contesté à Jesus-Christ la qualité de Messie & sa divinité, ils n’ont rien négligé aussi pour le rendre méprisable, pour jetter sur sa naissance, sa vie & sa mort tout le ridicule & tout l’opprobre qu’a pu imaginer leur cruel acharnement contre ce divin Sauveur & sa céleste doctrine ; mais de tous les ouvrages qu’a produit l’aveuglement des Juifs, il n’en est sans doute point de plus odieux & de plus extravagant que le livre intitulé, Sepher toldos Jeschut, tiré de la poussiere par M. Vagenseil, dans le second tome de son ouvrage intitulé, Tóta ignea, &c.

C’est dans ce Sepher Toldos Jeschut, recueil des plus noires calomnies qu’on lit des histoires monstrueuses de la vie de notre Sauveur, forgées avec toute la passion & la mauvaise foi que peuvent avoir des ennemis acharnés. Airli, par exemple, ils ont osé écrire qu’un nommé Panther ou Pandera, habitant de Bethléem, étoit devenu amoureux d’une jeune coëffeuse qui avoit été mariée à Jochana, & qui sans doute dans ces tems-là & dans un aussi petit lieu que Bethléem, sentoit toute l’ingratitude de sa profession, & n’avoit rien mieux à faire que d’écouter ses amans : aussi, dit l’auteur de cet impertinent ouvrage, la jeune veuve se rendit aux sollicitations de l’ardent Panther qui la séduisit, & eut de ce commerce impur un fils qui fut nommé Jesua ou Jesus. Le pere de cet enfant fut obligé de s’enfuir, & se retira à Babylone : quant au jeune Jesu on l’envoya aux écoles ; mais, ajoute l’auteur, il eut l’insolence de lever la tête, & de se découvrir devant les sacrificateurs, au lieu de paroître devant eux la tête voilée & le visage couvert, comme c’étoit la coutume : hardiesse qui fut vivement tancée ; ce qui donna lieu d’examiner sa naissance, qui fut trouvée impure. & l’exposa bientôt à l’ignominie qui en est la suite…

Le jeune homme se retira à Jerusalem, où mettant le comble à son impiété & à sa hardiesse, il résolut d’enlever du lieu très-saint le nom de Jehovah. Il entra dans l’intérieur du temple ; & s’étant fait une ouverture à la peau, il y cacha ce nom mystérieux : ce fut par un art magique & à la faveur d’un tel artifice, qu’il fit quelques prodiges. Il vint d’abord montrer son pouvoir surnaturel à sa famille ; il se rendit pour cela à Bethléem, lieu de sa naissance, là il opéra en public divers prestiges qui firent tant de bruit qu’on le mit sur un âne, & il fut conduit à Jérusalem comme en triomphe. On peut voir dans les commentaires de dom Calmet une grande partie des réveries de ce détestable roman.

L’auteur, parmi ses impostures, fait regner à Jénisalem une reine Helene & son fils Mombaz, qui n’ont jamais existé en Judée, à moins que cet auteur n’ait quelques notions confuses d’Helene reine des Adiabeniens, & d’Izates ou Monbaze son fils, qui vint à Jérusalem quelque tems après la mort de notre Sauveur. Quoi qu’il en soit, ce ridicule auteur dit que Jesus accusé par les lévites, fut obligé de paroitre devant cette reine, mais qu’il sut la gagner par de nouveaux miracles ; que les sacrificateurs étonnés du pouvoir de Jesus, qui d’ailleurs ne paroissoit pas être dans leurs intérêts, s’assemblerent pour délibérer sur les moyens de le prendre ; & qu’un d’entr’eux nommé Judas s’offrit de s’en saisir, pourvu qu’on lui permit d’apprendre le sacré nom de Jehovah, & que le collége des sacrificateurs voulût se charger de ce qu’il y avoit de sacrilege & d’impie dans cette action, comme aussi de la terrible peine qu’elle méritoit. Le marché sut fait ; Judas apprit le nom inéfable, & vint ensuite attaquer Jesus, qu’il espéroit confondre sans peine. Les deux champions s’éleverent en l’air en prononçant le nom de Jehovah ; ils tomberent tous deux, parce qu’ils s’étoient souillés. Jesus courut se laver dans le Jourdain, & bien-tôt après il fit de nouveaux miracles. Judas voyant qu’il ne pouvoit pas le surmonter comme il s’en étoit flatté, prit le parti de se ranger parmi ses disciples, d’étudier sa façon de vivre & ses habitudes, qu’il révéla ensuite à ses confreres les sacrificateurs. Un jour comme Jesus devoit monter au temple, il fut épié & saisi avec plusieurs de ses disciples ; ses ennemis l’attacherent à la colonne de marbre qui étoit dans une des places publiques : il y fut fouetté, couronné d’épines, & abreuvé de vinaigre, parce qu’il avoit demandé à boire ; enfin le sanhedrin l’ayant condamné à mort, il fut lapidé.

Ce n’est point encore la fin du roman rabbinique, le sepher toldos Jeschut ajoute que Jesus etant lapidé, on voulut le pendre au bois, suivant la coutume, mais que le bois se rompit, parce que Jesus, qui prévoyoit le genre de son supplice, l’avoit enchanté par le nom de Jehovah ; mais Judas, plus fin que Jesus, rendit son maléfice inutile, en tirant de son jardin un grand chou, auquel son cadavre fut attaché.

Au reste, les contradictions qu’on trouve dans les ouvrages des Juifs sur cette matiere, sont sans nombre & inconcevables ; ils font naître Jesus sous Alexandre Jannæus, l’an du monde 3671, & la reine Helene qu’ils introduisent sans raison dans cette histoire fabuleuse, ne vint à Jérusalem que plus de cent cinquante ans après, sous l’empire de Claude.

Il y a un autre livre intitulé aussi Toldos Jesu, publié l’an 1705 par M. Huldric, qui suit de plus près l’évangile de l’enfance, mais qui commet à tout moment les anacronismes & les fautes les plus grossieres ; il fait naître & mourir Jesus-Christ sous le regne d’Herode le grand ; il veut que ce soit à ce prince qu’ont été faites les plaintes sur l’adultere de Panther & de Marie mere de Jesus ; qu’en conséquence Herode irrité de la fuite du coupable, se soit transporté à Bethléem & en ait massacré tous les enfans.

L’auteur qui prend le nom de Jonathan, qui se dit contemporain de Jesus-Christ & demeurant à Jérusalem, avance qu’Herode consulta, sur le fait de Jesus-Christ, les sénateurs d’une ville dans la terre de Césarée. Nous ne suivrons pas un auteur aussi absurde dans toutes ses ridicules contradictions.

Cependant c’est à la faveur de toutes ces odieuses calomnies que les Juifs s’entretiennent dans leur haine implacable contre les Chrétiens & contre l’Evangile ; ils n’ont rien négligé pour altérer la chronologie du vieux Testament, & répandre des doutes & des difficultés sur le tems de la venue de notre Sauveur ; tout annonce & leur entêtement & leur mauvaise foi.

Ahmed-ben-Cassam-al-Andacousy, more de Grenade, qui vivoit sur la fin du xvj. siecle, cite un manuscrit arabe de saint Cœcilius, archevêque de Grenade, qui fut trouvé avec seize lames de plomb gravées en caracteres arabes, dans une grotte près de la même ville. Dom Pedro y Quinones, archevêque aussi de Grenade, en a rendu lui même témoignage. Ces lames de plomb, qu’on appelle de Grenade, ont été depuis portées à Rome, où, après un examen qui a duré plusieurs années, elles ont enfin été condamnées, comme très-apocryphes, sous le pontificat d’Alexandre VII. Elles ne renferment que quelques histoires fabuleuses touchant la vie de la sainte-Vierge, l’enfance & l’éducation de Jesus-Christ son fils. On y lit entr’autres choses que Jesus-Christ encore enfant & apprenant à l’école l’alphabet arabique, interrogeoit son maître sur la signification de chaque lettre ; & qu’après en avoir appris le sens & la signification grammaticale, il lui enseignoit le sens mystique de chacun de ces caracteres, & lui révéloit ainsi d’admirables profondeurs. Cette histoire est sûrement moins ridicule que les prodiges rapportés dans l’évangile de l’enfance, & toutes les autres fables qu’ont imaginé en divers tems l’inimitié des uns, l’ignorance ou la fraude pieuse des autres.

Le nom de Messie, accompagné de l’épithete de faux, se donne encore à ces imposteurs, qui dans divers tems ont cherché à ces imposteurs, qui dans & ont pu tromper un grand nombre de personnes qui avoient la foiblesse de les regarder comme le vrai Christ, le messie promis. Ainsi il y a eu de ces faux Messies avant même la venue du véritable oint de Dieu. Act. apost. cap v. V. 34. 35. 36. Le sage Gamaliel parle d’un nommé Theudas dont l’histoire se lit dans les antiquités judaïques de Josephe, liv. XX. chap. ij. Il se vantoit de passer le Jourdain à pié sec, il attira beaucoup de gens à sa suite par ses discours & ses prestiges ; mais les Romains étant tombés sur sa petite troupe la disperserent, couperent la tête au malheureux chef, & l’exposerent à Jérusalem aux outrages de la multitude.

Gamaliel parle aussi de Judas le galiléen, qui est sans doute le même dont Josephe fait mention dans le 12 chap. du II. liv. de la guerre des Juifs : il dit que ce fameux prophete avoit ramassé près de 30 mille hommes, mais l’hyperbole est le caractere de l’historien juif : dès les tems appostoliques, act. apost. chap. viij. v. 9. l’on voit Simon le magicien qui avoit su séduire les habitans de Samarie au point qu’ils le considéroient comme la vertu de Dieu.

Dans le siecle suivant, l’an 178-179 de l’ere chrétienne, sous l’empire d’Adrien, parut le faux Messie Barchochebas à la tête d’une grosse armée ; il parcourut la Judée, il y commit les plus grands désordres : ennemi déclaré des chrétiens, il fit périr tous ceux qui tomberent entre ses mains qui ne voulurent pas se faire circoncire de nouveau & rentrer dans le judaïsme.

Tinnius Rufus voulut d’abord réprimer les cruautés de Barchochebas, & arrêter les dangereux progrès de ce faux messie ; l’empereur Adrien voyant que cette révolte pouvoit avoir des suites, y envoya Julius Severus, qui, après plusieurs rencontres, les enferma dans la ville de Bither, qui soutint un siége opiniâtre, & fut enfin emportée. Barchochebas y fut pris & mis à mort, au rapport de saint Jérome & de la chronique d’Alexandrie. Le nombre des juifs qui furent tués ou vendus pendant & après la guerre de Barchochebas, est innombrable. Adrien crut ne pouvoir mieux prévenir les continuelles révoltes des Juifs, qu’en leur défendant par un édit d’aller à Jérusalem ; il établit même des gardes aux portes de cette ville pour en défendre l’entrée au reste du peuple d’Israël.

Au rapport de quelques auteurs juifs, Coziba surnommé Barchochebas, fut mis à mort dans la ville de Byther par les gens de son propre parti, qui s’en défirent, parce, dirent-ils, qu’il n’avoit pas un caractere essentiel du Messie, qui est de connoître par le seul odorat si un homme étoit coupable. Les Juifs disent aussi que l’empereur ayant ordonné qu’on lui envoyât la tête de Barchochebas, eut aussi la curiosité de voir son corps ; mais que lorsqu’on voulut l’enlever, on trouva un énorme serpent autour de son col, ce qui effraya si fort ceux qui étoient venus pour prendre ce cadavre, qu’ils s’enfuirent ; & le fait rapporté à Adrien, il reconnut que Barchochebas ne pouvoit perdre la vie que par la main de Dieu seul. Des faits si puériles & si mal concertés, ne méritent pas qu’on s’arrête à les réfuter. Il paroit qu’Akiba s’étoit déclaré pour Barchochebas, & soutenoit hautement qu’il étoit le Messie. Aussi les disciples de ce fameux rabbin furent les premiers sectateurs de ce faux Christ ; c’est eux qui défendirent la ville de Byther, & furent par l’ordre du général romain, liés avec leurs livres & jettés dans le feu.

Les Juifs, toujours portés aux plus folles exagérations sur tout ce qui a rapport à leur histoire, disent qu’il périt plus de juifs dans la guerre de Byther qu’il n’en étoit sorti d’Egypte. Les crânes de 300 enfans trouvés sur une seule pierre, les ruisseaux de sang si gros qu’ils entraînoient dans la mer, éloignée de quatre milles, des pierres du poids de quatre livres ; les terres suffisamment engraissées par les cadavres pour plus de sept années, sont de ces traits qui caractérisent les historiens juifs, & font voir le peu de fonds qu’on doit faire sur leur narration. Ce qu’il y a de très-vrai, c’est que les Hébreux appellent Adrien un second Nabuchodonosor, & prient Dieu dans leurs jeûnes & dans les prieres d’imprécations (qui font aujourd’hui la majeure partie de leur culte) ; ils prient, dis-je, l’Eternel de se souvenir dans sa colere de ce prince cruel & tyran, qui a détruit 480 synagogues très-florissantes, tant ce peuple, que Tite avoit presque détruit 60 ans auparavant, trouvoit de ressources pour renaître de ses cendres, & redevenir plus nombreux & plus puissant qu’il ne l’avoit été avant ses revers.

On lit dans Socrate, historien ecclésiastique, Soc. hist. eccles. lib. II. cap. xxviij. que l’an 434 il parut dans l’ile de Candie un faux messie qui s’appelloit Moïse, se disant être l’ancien libérateur des Hébreux envoyé du ciel pour procurer à sa nation la plus glorieuse délivrance ; qu’à travers les flots de la mer il la reconduiroit triomphante dans la Palestine.

Les juifs candiots furent assez simples pour ajouter foi à ses promesses ; les plus zélés se jetterent dans la mer, espérant que la verge de Moïse leur ouvriroit dans la mer Méditerranée un passage miraculeux. Un grand nombre se noyerent ; on retira de la mer plusieurs de ces misérables fanatiques ; on chercha, mais inutilement, le séducteur, il avoit disparu, il fut impossible de le trouver ; & dans ce siecle d’ignorance les dupes se consolerent, dans l’idée qu’assurément un démon avoit pris la forme humaine pour séduire les Hébreux.

Un siecle après, savoir l’an 530, il y eut dans la Palestine un faux messie nommé Julien ; il s’annonçoit comme un grand conquérant qui à la tête de sa nation détruiroit par les armes tout le peuple chrétien. Séduits par ses promesses, les Juifs armés opprimerent cruellement les Chrétiens, dont plusieurs furent les malheureuses victimes de leur aveugle fureur. L’empereur Justinien envoya des troupes au secours des Chrétiens : on livra bataille au faux Christ ; il fut pris & condamné au dernier supplice, ce qui donna le coup de mort à son parti & le dissipa entierement.

Au commencement du viij. siecle, Serenus, juif espagnol, prit un tel ascendant sur ceux de son parti, qu’il sut leur persuader sa mission divine, pour être le Messie glorieux qui devoit établir dans la Palestine un empire florissant. Un grand nombre de crédules quitta patrie, biens, famille & établissemens pour suivre ce nouveau Messie : mais ils s’apperçurent trop tard de la fourberie, & ruinés de fond en comble, ils eurent tout le tems de se repentir de leur fatale crédulité.

Il s’éléva plusieurs faux messies dans le xij. siecle ; il en parut un en France duquel on ignore & le nom & la patrie. Louis le jeune sévit contre ses adhérens, il fut mis à mort par ceux qui se saisirent de sa personne.

L’an 1138 il y eut en Perse un faux messie qui sut assez bien lier sa partie, pour rassembler une armée considérable, au point de se hasarder de livrer bataille au roi de Perse. Ce prince voulut obliger les juifs de ses états de poser les armes, mais l’imposteur les en empêcha, se flattant des plus heureux succès. La cour négocia avec lui : il promit de désarmer si on lui remboursoit tout les frais qu’ils avoit faits. Le roi y consentit, & lui livra de grandes sommes ; mais dès que l’armée du faux christ fut dissipée, les Juifs furent contraints de rendre au roi tout ce qu’il avoit payé pour acheter la paix.

Le xiij. siecle fut fertile en faux Messies : on en compte sept ou huit qui parurent en Arabie, en Perse, dans l’Espagne, en Moravie. Un d’eux qui se nommoit David El-Ré, passe pour avoir été un très grand magicien ; il sut séduire les Juifs par ses prestiges, & se vit ainsi à la tête d’un parti considérable qui prit les armes en sa faveur ; mais ce messie fut assassiné par son propre gendre.

Jacques Zieglerne de Moravie, qui vivoit au milieu du xvj. siecle, annonçoit la prochaine venue du Messie, né, à ce qu’il disoit depuis quatorze ans, & l’avoit vu, disoit-il, à Strasbourg, & gardoit avec soin une épée & un sceptre pour le, lui mettre en main dès qu’il seroit en âge de combattre : il publioit que ce Messie, qui dans peu se manifesteroit à sa nation, détruiroit l’ante-christ, renverseroit l’empire des Turcs, fonderoit une monarchie universelle, & assembleroit enfin dans la ville de Constance un concile qui dureroit douze ans, & dans lequel seroient terminés tous les différends de la Religion.

L’an 1624 Philippe Zieglerne parut en Hollande, & promit que dans peu il viendroit un Messie, qu’il disoit avoir vu, & qu’il n’attendoit que la conversion du cœur des Juifs pour se manifester.

En l’an 1666 Zabathei Sevi, né dans Alep, se fit passer pour le Messie prédis par Zieglerne ; il ne négligea rien de ce qu’il falloit pour jouer un si grand rôle ; il étudia avec soin sous les livres hébreux, & s’en fit à lui-même l’application.

Il débuta par prêcher sur les grands chemins & carrefours, & au milieu des campagnes. Les Turcs se mocquoient de lui, le traitoient de fol & d’insensé, pendant que ses disciples l’admiroient & l’exaltoient jusques aux nues. Il eut aussi recours aux prodiges, la Philosophie n’en avoit pas encore désabusé dans ces tems-là : elle n’a pas même produit aujourd’hui cet heureux effet sur la multitude toujours portée au merveilleux. Il se vanta de s’élever en l’air, pour accomplir, disoit il, l’oracle d’lsaie, xiv. v. 14. qu’il appliquoit mal-à-propos au Messie. Il eut la hardiesse de demander à ses disciples s’ils ne l’avoient pas vu en l’air, & il blama l’aveuglement de ceux qui plus sinceres qu’enthousiastes oserent lui assurer que non. Il paroît qu’il ne mit pas d’abord dans ses intérêts le gros de la nation juive, puisqu’il eut des affaires fort sérieuses avec les chefs de la synagogue de Smyrne, qui prononcerent contre lui une sentence de mort ; mais personne n’osant l’exécuter, il en fut quitte pour la peur & le bannissement.

Il contracta trois mariages, & n’en consomma point ; je ne sais dans quelle tradition il avoit pris que cette bisarre continence étoit un des respectables caracteres du libérateur promis. Après plusieurs voyages en Grece & en Egypte, il vint à Gaza, où il s’associa un juif nommé Nathan Levi ou Benjamin. Il lui persuada de faire le personnage du prophete Elie, qui devoit précéder le Messie. Ils se rendirent à Jérusalem, où le faux précurseur annonça Zabathei Sevy comme le Messie attendu. Quelque grossiere que fût cette trame, elle trouva des disciples : la populace juive se déclara pour lui ; ceux qui avoient quelque chose à perdre déclamerent contre lui & l’anathématiserent.

Sevy, pour fuir l’orage, se retira à Constantinople, & de-là à Smyrne Natha-Levy lui envoya quatre ambassadeurs qui le reconnurent & le saluerent publiquement en qualité de Messie ; cette ambassade en imposa au peuple & même à quelques docteurs, qui donnant dans le piége, déclarerent Zabatuei-Sevi Messie & roi des Hébreux ; ils s’empresserent de lui porter des présens considérables, afin qu’il pût soutenir sa nouvelle dignité. Le petit nombre des Juifs sensés & prudens blamerent ces nouveautés, & prononcerent contre l’imposteur une seconde sentence de mort. Fier de ce nouveau triomphe, il ne se mit pas beaucoup en peine de ces sentences, très-assuré qu’elles resteroient sans effet, & que personne ne se hasarderoit à les exécuter. Il se mit sous la protection du cadi de Smyrne, & eut bientôt pour lui tout le peuple juif. Il fit dresser deux trônes, un pour lui, & l’autre pour son épouse favorite, il prit le nom de roi des rois d’Israêl, & donna à Joseph Sevy son frere, celui de roi des rois de Juda. Il parloit de la prochaine conquête de l’empire Ottoman comme d’une chose si assurée, que déja il en avoit distribué à ses favoris les emplois & les charges ; il poussa même l’insolence jusqu’à faire ôter de la liturgie ou prieres publiques le nom de l’empereur, & à y faire substituer le sien. Il partit pour Constantinople ; les plus sages d’entre les Juifs sentirent bien que les projets & l’entreprise de Sevy pourroient perdre leur nation à la cour ottomane : ils firent avertir sous main le grand-seigneur, qui donna ses ordres pour faire arrêter ce nouveau Messie. Il répondit à ceux qui lui demanderent pourquoi il avoit pris le nom & la qualité de roi, que c’étoit le peuple juif qui l’y avoit obligé.

On le fit mettre en prison aux Dardanelles ; les Juifs publierent qu’on ne l’épargnoit que par crainte ou par foiblesse. Le gouverneur des Dardanelles s’enrichit des présens que les juifs crédules lui prodiguerent pour visiter leur roi, leur Messie prisonnier, qui dans cet état humiliant conservoit tout son orgueil, & se faisoit rendre des honneurs extraordinaires.

Cependant le sultan, qui tenoit sa cour à Andrinople, voulut faire finir cette pieuse comédie, dont les suites pouvoient être funestes : il fit venir Sevy ; & sur ce qu’il se disoit invulnérable, le sultan ordonna qu’il fût percé d’un trait & d’une épée. De telles propositions d’ordinaire déconcertent les imposteurs ; Sevy préféra les coups des muphtis & derviches à ceux des icoglans. Fustigé par les ministres de la loi, il se fit mahométan, & il vécut également méprisé des Juifs & des Musulmans : ce qui a si fort décrédité la profession de faux messie, que c’est le dernier qui ait fait quelque figure & paru en public à la tête d’un parti.