L’Encyclopédie/1re édition/MARNE

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MARNE, s. f. (Hist. nat. Minéralogie & Economie rustique.) marga, c’est une terre calcaire, légere, peu compacte, qui perd sa liaison à l’air, qui fait effervescence avec les acides, en un mot qui ne differe de la craie, que parce qu’elle n’est point si dense ni si solide qu’elle. Voyez Craie.

Rien de plus confus que les descriptions que les Naturalistes nous donnent de la marne ; leurs définitions de cette substance ne s’accordent nullement ; ils lui assignent des propriétés qui lui sont entierement étrangeres, ou du-moins qu’elle n’a que par son mélange accidentel avec d’autres substances, & sur-tout avec des terres argilleuses ; c’est aussi ce mélange qui semble avoir induit en erreur la plûpart des Naturalistes ; il est cause que Wallerius & beaucoup d’autres ont placé la marne au rang des argilles, c’est-à-dire des terres qui se durcissent au feu, propriété qui ne convient point à la marne comme telle, mais qui ne peut lui être attribuée qu’en raison de la portion d’argille ou de glaise avec laquelle elle se trouve quelquefois mêlée. On sent aussi que c’est au mélange de la marne avec l’argille qu’est dûe la propriété de se vitrifier que quelques auteurs lui attribuent : en effet, nous savons que l’argille mêlée avec une terre calcaire devient vitrifiable, quoique séparées, la premiere de ces terres ne fasse que se durcir par l’action du feu, & la seconde se change en chaux. En un mot il est constant que la marne est une terre calcaire, qui fait effervescence avec les acides, qui ne differe de la craie que parce que la premiere est moins liée ou moins solide que la derniere ; c’est comme terre calcaire qu’elle a la propriété de fertiliser les terres, & M. Pott, dans sa Lithogéognosie, a fait remarquer avec beaucoup de raison qu’il falloit bien distinguer dans la marne, sa partie constituante, par laquelle elle est propre à diviser les terres & à contribuer à la croissance des végétaux, des parties accidentelles, telles que la glaise, le sable, &c.

Si l’on fait attention à la distinction qui vient d’être faite, on sentira que c’est avec très-peu de raison que la marne a été placée par plusieurs auteurs au rang des terres argilleuses, on verra que rien n’est moins exact que de donner le nom de marne à des terres à pipes, à des terres dont on fait de la porcelaine, à des terres propres à fouler les étoffes, à des terres qui se durcissent dans le feu, &c. toutes ces terres ont des propriétés qui ne conviennent qu’aux vraies argilles.

C’est aussi, faute d’avoir eu égard à ces distinctions, que les auteurs anglois sur-tout nous parlent de la marne d’une maniere si confuse & si contradictoire ; en effet, les uns nous disent que rien n’est plus avantageux que la marne pour rendre fertiles les terreins sablonneux ; d’autres au contraire prétendent que cette terre est propre à fertiliser les terres glaises trop denses & trop compactes : il est aisé de voir qu’une même terre n’est point propre à remplir des vûes si opposées. Nous allons tâcher de faire disparoître ces contradictions, qui ne viennent que de ce qu’on n’a point assez connu la nature de la substance dont on parloit, & nous remarquerons en passant que cela prouve combien on peut être trompé quand on ne consulte que le coup-d’œil extérieur des substances du regne minéral.

Si la terre que l’on trouve est seche, en poussiere, peu liée, & soluble dans les acides, c’est-à-dire calcaire, ce sera de la vraie marne proprement dite, alors elle sera propre à fertiliser les terreins trop gras & trop pesans, parce qu’elle les divisera, elle écartera les unes des autres les parties tenaces de la glaise, par-là elle la rendra plus perméable aux eaux, dont la libre circulation contribue essentiellement à la croissance des végétaux. D’un autre côté si ce qu’on appelle marne est une terre purement glaiseuse & argilleuse, ou du-moins une pierre calcaire mêlée d’une grande partie d’argille ou de glaise ; alors elle sera propre à fertiliser les terreins maigres & sablonneux, elle leur donnera plus de liaison, propriété qui sera dûe à la partie argilleuse.

Une vraie marne, c’est-à-dire celle qui est calcaire & précisément de la nature de la craie, sera très propre à bonifier un terrein humide & bas, qui suivant l’expression assez juste du laboureur, est aigre & froid ; cette aigreur ou cette acidité vient du séjour des eaux & des plantes qu’elles ont fait pourrir dans ces sortes d’endroits : alors la vraie marne étant une terre calcaire, c’est-à-dire absorbante & alkaline, sera propre à se combiner avec les parties acides qui dominoient dans un tel terrein, & qui nuisoient à sa fertilité. Par la combinaison de cet acide avec la marne, il se formera, suivant le langage de la Chimie, des sels neutres qui peuvent contribuer beaucoup à favoriser la végétation.

Il est donc important de savoir avant toute chose ce que c’est que l’on appelle marne, de s’assurer si celle que l’on trouve dans un pays est pure & calcaire, ou si c’est à de l’argille ou de la terre mêlée d’argille que l’on donne le nom de marne. Pour s’éclaircir là-dessus, on n’aura qu’à l’essayer avec de l’eau-forte, ou simplement avec du vinaigre : si la terre s’y dissout totalement, ce sera une marque que c’est de la marne pure, véritable & calcaire ; s’il ne s’en dissout qu’une portion, & qu’en mettant une quantité suffisante de dissolvant il reste toujours une partie de cette terre qui ne se dissolve point, ce sera un signe que la marne étoit mêlée d’argille ou de glaise. S’il ne se dissout rien du tout, ce sera une preuve que la terre que l’on a trouvée est une vraie argille ou glaise, à qui l’on ne doit par conséquent point donner le nom de marne.

Il faudra aussi consulter la nature des terreins que l’on voudra marner ou mêler avec de la marne ; il y en a qui étant déja calcaires, spongieux par eux-mêmes, ne demandent point à être divisés davantage : dans ce cas la vraie marne calcaire ne doit pas leur convenir ; on réussira mieux à fertiliser de pareils terreins, en leur joignant de la glaise ou de l’argille. Voyez Glaise.

En général on peut dire que la marne fertilise entant qu’elle est calcaire, c’est à-dire entant qu’elle est composée de particules faciles à dissoudre dans les eaux, & propres à être portées par ces mêmes eaux en molécules déliées à la racine des plantes dans lesquelles ces molécules passent pour contribuer à leur accroissement.

La marne varie pour la couleur ; il y en a de blanche, de grise, de rougeâtre, de jaune, de brune, de noire, &c. ces couleurs sont purement accidentelles & ne viennent que des substances minérales étrangéres avec lesquelles cette terre est mêlée. (—)