L’Encyclopédie/1re édition/MARMOTTE

MARMOTTE, s. f. mus alpinus, (Hist. nat.) quadrupede qui a depuis le bout du museau jusqu’à l’origine de la queue environ treize pouces de longueur ; celle de la queue est de six pouces & demi. Comme le lievre & le lapin il a le museau court & gros, la tête allongée & un peu arquée à l’endroit du front ; les oreilles sont très-courtes, à peine paroissent-elles au-dessus du poil, qui a peu de longueur sur la tête, excepté à l’endroit des joues où il est beaucoup plus long. La levre du dessous est plus courte que celle du dessus ; le corps est gros & fort étoffé ; les jambes sont courtes & le paroissent encore davantage parce qu’elles ne sont jamais bien étendues. Le sommet de la tête, le dessus du cou, les épaules, le dos & les flancs sont noirs avec des teintes de gris & de cendré ; les côtés de la tête ont du gris & du noirâtre ; les oreilles sont grises ; le bout du museau, le dessous de la mâchoire inférieure & du cou, les jambes de devant, le dessous & les côtés de la poitrine, le ventre, la face intérieure de la cuisse & de la jambe, & les quatre piés ont une couleur rousse mélée de noir, de gris, & même de cendré ; la croupe & la face extérieure de la cuisse & de la jambe sont d’une couleur brune & roussâtre ; la queue est mêlée de cette derniere couleur & de noir.

La marmotte prise jeune s’apprivoise plus aisément qu’aucun autre animal sauvage ; on l’apprend à tenir un bâton, à gesticuler, à danser, &c. Elle mord lorsqu’elle est irritée ; elle attaque les chiens ; elle ronge les meubles, les étoffes, & même le bois. Elle se tient souvent assise, & elle marche sur les piés de derriere. Elle porte à sa gueule ce qu’elle saisit avec ceux de devant & mange debout comme l’écureuil. Elle court assez vîte en montant ; elle grimpe sur les arbres ; elle monte entre deux parois de rochers : c’est des marmottes, dit-on, que les Savoyards ont appris à grimper pour ramonner les cheminées. Elles mangent de la viande, du pain, des fruits, des racines, des herbes potageres, des choux, des hannetons, des sauterelles, &c. Elles aiment le lait, & le boivent en grande quantité en marmottant, c’est-à-dire en faisant comme le chat une espece de murmure de contentement : elles ne boivent que très rarement de l’eau & refusent le vin. La marmotte a la voix d’un petit chien ; mais lorsqu’elle est irritée ou effrayée, elle fait entendre un sifflement si perçant & si aigu qu’il blesse le tympan. Cet animal seroit assez bon à manger, s’il n’avoit, comme le rat, sur-tout en été, une odeur très-forte & désagréable que l’on ne peut masquer que par des assaisonnemens très-forts. Il se plaît dans la région de la neige & des glaces, que l’on ne trouve que sur les plus hautes montagnes ; cependant il est sujet plus qu’un autre, à s’engourdir par le froid ; il se retire en terre à la fin de Septembre, ou au commencement d’Octobre pour n’en sortir qu’au commencement d’Avril. Sa retraite est grande, moins large que longue, & très-profonde : c’est une espece de galerie faite en forme d’Y, dont les deux branches ont chacune une ouverture, & aboutissent toutes deux à un cul-de-sac qui est le lieu du séjour. Il est non-seulement jonché mais tapissé fort épais de mousse & de foin ; les marmottes en font ample provision pendant l’été. Elles demeurent plusieurs ensemble & travaillent en commun à leur habitation ; elles s’y retirent pendant l’orage, pendant la pluie, & dès qu’il y a quelque danger : elles n’en sortent même que dans les beaux jours. L’une fait le guet, & dès qu’elle apperçoit un homme, un chien, une aigle, &c. elle avertit les autres par un coup de sifflet, & ne rentre elle-même que la derniere. Lorsque ces animaux sentent les approches de la saison qui doit les engourdir, ils ferment les deux portes de leur domicile, ils sont alors très-gras ; quelques-uns pesent jusqu’à vingt livres ; ils le sont encore trois mois après ; mais ils deviennent maigres à la fin de l’hiver. Il n’est pas sûr qu’ils soient toujours engourdis pendant sept ou huit mois : aussi les chasseurs ne vont les chercher dans leur caveau que trois semaines ou un mois après que les issues sont murées, & ils n’ouvrent leur retraite que dans le tems des grands froids : alors ils les trouvent tellement assoupis, qu’ils les emportent aisément ; mais lorsqu’il fait un vent chaud, les marmottes se réveillent au premier bruit, & creusent plus loin en terre pour se cacher. Ces animaux ne produisent qu’une fois l’an, les portées ordinaires sont de trois ou quatre petits ; ils ne vivent que neuf ou dix ans. On trouve les marmottes sur les Alpes, les Apennins, les Pyrénées, & sur les plus hautes montagnes de l’Allemagne. On distingue plusieurs autres especes de marmottes ; savoir le bobak, ou marmotte de Pologne ; le mouax, ou marmotte de Canada, le cavia, ou marmotte de Bahama ; & le cuicet, ou marmotte de Strasbourg. Histoire nat. gen. & part. tom. VIII. Voyez Quadrupede.

On demande comment les marmottes, les loirs, qui sont plusieurs mois sans prendre de nourriture, ont cependant le ventre rempli de graisse : voici comme on explique ce phénomene. Dans les animaux qui font amas de graisse, il se trouve des membranes redoublées, & comme feuilletées : ces membranes diversement collées les unes aux autres par certains endroits, & séparées par d’autres, forment une infinité de petits sacs, où aboutissent des petites glandes, par lesquelles la partie huileuse du sang est filtrée. Il y a lieu de croire que les veines ont aussi de petites bouches ouvertes dans ces mêmes petits sacs, & qu’elles y reçoivent cette substance huileuse, pour la porter avec les restes du sang dans le ventricule droit du cœur, lorsqu’il se rencontre des besoins extraordinaires.

Les marmottes au-lieu d’un épiploon, qui est unique dans les autres animaux, en ont trois ou quatre les uns sur les autres ; ces épiploons ont leurs veines qui retournent dans la veine cave, comme pour reprendre dans les aquéducs, qui portent au cœur la matiere du sang, & pour lui envoyer dans l’indigence la matiere que les sacs membraneux qui contiennent la graisse ont en reserve, & qu’ils ont reçu des arteres, pendant que le corps de l’animal avoit plus de nourriture qu’il ne lui en falloit pour réparer les dissipations ordinaires.