L’Encyclopédie/1re édition/MANOEUVRE

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MANŒUVRE, s. m. (Architect.) dans un bâtiment, est un homme qui sert au compagnon mâçon, pour lui gâcher le plâtre, nettoyer les régles & calibres, à apporter sur son échaffaut les moëllons & autres choses nécessaires pour bâtir.

Manœuvre, terme dont on se-sert dans l’art de bâtir pour signifier le mouvement libre & aisé des ouvriers, des machines, dans un endroit serré ou étroit pour y pouvoir travailler.

Manœuvre, (Peinture) se dit d’un tableau qui est bien empâté, où les couleurs sont bien fondues, hardiment & facilement touché ; on dit la manœuvre de ce tableau est belle.

Manœuvre se dit encore, lorsqu’on reconnoît dans un tableau que le peintre a préparé les choses dans son tableau différemment de ce qu’elles sont restées ; c’est-à-dire, qu’il a mis du verd, du rouge, du bleu en certaines places, & qu’on n’apperçoit plus qu’un reste de chacune de ces couleurs, au travers de celles qu’il a mise ou frottée dessus. On dit, le peintre a une singuliere manœuvre.

Manœuvre & Manœuvres, (Marine) ces termes ont dans la marine des significations très-étendues, & fort différentes.

1°. On entend par la manœuvre, l’art de conduire un vaisseau, de régler ses mouvemens, & de lui faire faire toutes les évolutions nécessaires, soit pour la route, soit pour le combat.

2°. On donne le nom général de manœuvres à tous les cordages qui servent à gouverner & faire agir les vergues & les voiles d’un vaisseau, à tenir les mâts, &c.

Manœuvre ; art de soumettre le mouvement des vaisseaux à des lois, pour les diriger le plus avantageusement qu’il est possible ; toute la théorie de cet art, consiste dans la solution des six problèmes suivans. 1°. Trouver l’angle de la voile & de la quille ; 2°. déterminer la derive du vaisseau, quelque grand que soit l’angle de la voile avec la quille ; 3°. mesurer avec facilité cet angle de la derive ; 4°. trouver l’angle le plus avantageux de la voile avec le vent, l’angle de la voile & de la quille étant donné ; 5o . l’angle de la voile & de la quille donné, trouver l’angle de la voile avec la quille, le plus avantageux pour gagner au vent ; 6o . déterminer la vitesse du vaisseau, selon les angles d’incidence du vent sur les voiles, selon les différentes vitesses du vent, selon les differentes voilures ; & enfin, suivant les différentes dérives.

La maniere de résoudre ces six problèmes seroit d’un trop grand détail ; il suffit d’indiquer où l’on peut les trouver, & d’ajouter un mot sur les discussions que la théorie de la manœuvre a excitées entre les savans. Les anciens ne connoissoient point cet art. André Doria génois, qui commandoit les galeres de France sous François I, fixa la naissance de la manœuvre par une pratique toute nouvelle : il connut le premier qu’on pouvoit aller sur mer par un vent presque opposé à la route. En dirigeant la proue de son vaisseau vers un air de vent, voisin de celui qui lui étoit contraire, il dépassoit plusieurs navires, qui bien loin d’avancer ne pouvoient que rétrograder, ce qui étonna tellement les navigateurs de ce tems, qu’ils crurent qu’il y avoit quelque chose de surnaturel. Mrs. les chevaliers de Tourville, du Guay-Trouin, Bart, du Quesne pousserent la pratique de la manœuvre à un point de perfection, dont on ne l’auroit pas cru susceptible. Leur capacité dans cette partie de l’art de naviger, n’étoit cependant fondée que sur beaucoup de pratique & une grande connoissance de la mer. À force de tâtonnement, ces habiles marins s’étoient fait une routine, une pratique de manœuvrer d’autant plus surprenante, qu’ils ne la devoient qu’à leur génie. Nulle regle, nul principe proprement dit ne les dirigeoit, & la manœuvre n’étoit rien moins qu’un art.

Le pere Pardies jésuite, est le premier qui ait essayé de la soumettre à des lois : cet essai fut adopté par le chevalier Renau, qui, aidé d’une longue pratique à la mer, établit une théorie très-belle sur ces principes ; elle fut imprimée par ordre de Louis XIV. & reçûe du public avec un applaudissement géneral.

M. Huyghens attaqua ces principes & forma des objections, qui furent repoussées avec force par le chevalier Renau ; mais ce dernier s’étant trompé dans les principes, on reconnut l’erreur, & les marins savans virent avec douleur tomber par ce moyen une théorie qu’ils se préparoient de réduire en pratique.

M. Bernouilli prit part à la dispute, reconnut quelques méprises dans M. Huyghens, sçut les éviter, & publia en 1714. un livre intitulé, essai d’une nouvelle théorie de la manœuvre des vaisseaux. Les savans accueillirent cet ouvrage, les marins le trouverent trop profond, & les calculs analytiques dont il étoit chargé le rendoit d’un accès trop difficile aux pilotes.

M. Pitot de l’académie des sciences, travaillant sur les principes de M. Bernouilli, calcula des tables d’une grande utilité pour la pratique, y ajouta plusieurs choses neuves, & publia son ouvrage en 1731, sous le titre de la théorie des vaisseaux réduite en pratique. Enfin, M. Saverien connu par plusieurs ouvrages, a publié en 1745 une nouvelle théorie à la portée des pilotes. MM. Bouguer & de Gensane l’ont critiquée, & si a répondu ; c’est dans tous ces ouvrages qu’on peut puiser la théorie de la manœuvre, que les marins auront toujours beaucoup de peine à allier avec la pratique.

Manouvres, (Marine) On appelle ainsi en général toutes les cordes qui servent à faire mouvoir les vergues & les voiles, & à tenir les mâts.

On distingue les manœuvres en manœuvres coulantes ou courantes, & manœuvres dormantes.

Mamœuvres courantes, sont celles qui passent sur des poulies, comme les bras, les bousines, &c. & qui servent à manœuvrer le vaisseau à tout moment.

Manœuvres dormantes, sont les cordages fixes, comme l’itaque, les haubans, les galoubans, les étais, &c. qui ne passent pas par des poulies, ou qui ne se manœuvrent que rarement.

Manœuvres à queue de rat qui vont en diminuant, & qui par conséquent sont moins garnies de cordon vers le bout, que dans toute leur longueur.

Manœuvres en bande, manœuvres qui n’étant ni tenues, ni amarées, ne travaillent pas.

Manœuvres majors, ce sont les gros cordages, tels que les cables, les haussieres, les étais, les grelins, &c.

Manœuvres passées à contre, manœuvres qui sont passées de l’arriere du vaisseau à l’avant, comme celle du mat d’artimon.

Manœuvres passées à tour, manœuvres passées de l’avant du vaisseau à l’arriere, comme les cordages du grand mât & ceux des mâts de beaupré & de misaine. Voyez Pl. I. de la Marine, le dessein d’un vaisseau du premier rang avec ses mâts, vergues & cordages, &c.

Manœuvre, (Marine.) c’est le service des matelots, & l’usage que l’on fait de tous les cordages pour faire mouvoir le vaisseau.

Manœuvre basse, manœuvre qu’on peut faire de dessus le pont.

Manœuvre haute, qui se fait de dessus les hunes, les vergues & les cordages.

Manœuvre grosse, c’est le travail qu’on fait pour embarquer les cables & les canons, & pour mettre les ancres à leur place.

Manœuvre hardie, manœuvre périlleuse & difficile.

Manœuvre fine, c’est une manœuvre prompte & délicate.

Manœuvre tortue, c’est une mauvaise manœuvre.