L’Encyclopédie/1re édition/MALACHBELUS

MALACHBELUS, (Myth.) nom d’une fausse Divinité qu’on trouve parmi les dieux des Palmyréniens, sujets de la fameuse Zénobie. Il paroît que cette partie de la Syrie adoroit entre ses dieux, Aglibelus & Malachbelus ; c’est du-moins ce qu’on peut conclure d’une grande table qui fut enlevée du temple du Soleil, lorsqu’Aurelien prit la ville de Palmyre, & sur laquelle se lisoient ces deux noms. Il y avoit autrefois à Rome, dans les jardins qu’on appelloit Horti carpenses, & qui sont aujourd’hui ceux des princes Justiniani, près de S. Jean-de-Latran, un beau monument, qui avoit été apporté de Palmyre à Rome. M. Spon a publié en 1685 ce bas-relief, avec l’inscription qui l’accompagne. Elle est en langue palmyrénienne, qui n’est plus connue, & en grec, qui contient apparemment la même chose. On trouvoit déja dans le trésor des antiquités de Gruterus l’inscription toute entiere, mais sans les figures. Le R. P. dom Bernard de Montfaucon s’en est procuré une copie beaucoup plus exacte, & mieux dessinée, que celle qui avoit paru dans d’autres recueils d’antiquités ; c’est celle que nous avons sous les yeux ; elle differe un peu de celle de Spon : en voici une traduction très-fidelle. « Titus Aurelius Heliodorus Adrianus, palmyrénien, fils d’Antiochus, a offert & consacré, à ses dépens, à Aglibelus & à Malachbelus, dieux de la patrie, ce marbre, & un signe ou petite statue d’argent, pour sa conservation, & pour celle de sa femme & de ses enfans, en l’année cinq cent quarante-sept, au mois Peritius ».

Le bas-relief est ce qu’on appelle un ex voto. Il représente le frontispice d’un temple, soutenu de deux colonnes. On y voit deux figures de jeunes personnes, au milieu desquelles est un arbre que quelques antiquaires ont pris mal-à-propos pour un pin, mais qui est sûrement un palmier, ce qui caracterise la ville de Palmyre, qui s’appelloit aussi Tadmor, ou Tamor, ce qui est la même chose ; car thamar en hébreu signifie palme. Au côté droit de cet arbre, est le dieu Aglibelus, sous la figure d’un jeune homme, vêtu d’une tunique relevée par la ceinture, en sorte qu’elle ne descend que jusques au-dessus du genou, & qui a par-dessus une espece de manteau ; tenant, de la main gauche, un petit bâton fait en forme de rouleau ; le bras droit, dont peut-être il tenoit quelque chose, est cassé. A l’autre côté est le dieu Malachbelus, qui représente aussi un jeune homme, vêtu d’un habillement militaire, avec le manteau sur les épaules, une couronne radiale à la tête, & ayant derriere lui un croissant, dont les deux cornes débordent des deux côtés.

Le savant & judicieux M. l’Abbé Bannier, dans son excellent ouvrage de la Mythologie & des fables expliquées par l’histoire, tom. III. chap. vij p. 107. n’est pas satisfaisant sur cet article ; il s’en rapporte à l’idée de M. Spon, dont l’opinion, dit-il, n’a point été contredite : mais assurément il ne s’en suit pas de-là qu’elle ne puisse l’être. Quelques auteurs, dit M. Spon, prétendent que ces deux figures représentent le soleil d’hiver & d’été ; mais comme l’un des deux a derriere lui un croissant, il vaut mieux croire que c’est le soleil & la lune. Chacun sait, comme le remarque Spartien, & d’autres auteurs, que les Payens avoient leur dieu Lunus ; & parmi les médailles de Seguin, il y en a une qui représente ce dieu Lunus avec un bonnet arménien.

Pour Aglibelus, ajoute M. Bannier, il n’est pas douteux que ce ne soit le Soleil, ou Bélus ; car les Syriens peuvent fort bien avoir prononcé ainsi ce nom, que d’autres appelloient Baal, Belenus, Bel ou Belus. Le changement de l’e en o est peu de chose dans les différens dialectes d’une langue, mais le mot agli sera inintelligible, à moins qu’on n’admette la conjecture du savant Malaval, qui prétend que ce nom signifie la lumiere qu’envoie le soleil, fondé sur l’autorité d’Hesichius, qui met parmi les épithetes du soleil, celle d’αἰγλήτης ; or il n’est pas étonnant que les Grecs ayent prononcé Aglibolus, au lieu d’Egletes Belos. Il appuie ce sentiment sur le culte particulier qu’on sait que les Palmyréniens rendoient au soleil.

Pour ce qui est de Malachbelus, ce mot est composé de deux autres ; savoir, malach, qui veut dire roi, & baal, seigneur. Ce dieu étant représenté avec un croissant & une couronne, il est certain, prétend M. Spon, que c’est la Lune, ou le dieu Lunus, l’Ecriture-sainte désignant souvent la lune par l’épithete de reine du ciel ; ainsi le prophete Jérémie, condamnant l’usage d’offrir des gâteaux à cette déesse, s’exprime ainsi : Placentas offert reginæ cæli.

M. Jurieu pense que Aglibolus signifie l’oracle de Bel, dérivant agli du mot hébreu revelavit. Une attention plus particuliere au mot Aglibelus & aux divers attributs des deux figures du monument, auroit donné à ces savans une idée plus juste, & les eût conduit à trouver dans ces deux figures les deux points du jour, le matin & le midi ; l’une signifie gutta, ou uligo, humor quæ fit ex rore liquefacto ; ce mot se trouve dans ce beau passage du livre de Job, chap. xxxviij. v. 28. La pluie n’a-t-elle point de pere ? ou qui produit les gouttes de la rosée ? Aglibolus est donc le dominateur des gouttes, le seigneur de la rosée, qui est dans la nature un des plus grands principes de végétation & de fécondité ; le rouleau qu’il tient à la main, sont les cieux de nuit, éclairés & embellis par une multitude d’astres, que le point du jour fait disparoître, & qu’il roule, suivant l’expression du psalmiste, figure très-belle, empruntée dans l’énergie du style oriental ; & si le bras droit d’Aglibelus ne manquoit pas, on verroit, sans doute, qu’il tenoit une coupe, ou qu’il exprimoit une espece d’éponge, ou de nue, dont il faisoit distiller la rosée ; peut-être même avoit-il dans la main droite l’étoile du matin, conjectures que justifient un grand nombre d’autres figures analogues, qu’on trouve dans des recueils d’antiquités. La tunique relevée par la ceinture, & qui ne descend que jusqu’au genou, sert encore à confirmer notre explication, puisque c’est la précaution que prenoient sans doute les anciens, habillés de longues robes, & que prennent encore nos femmes de la campagne, lorsqu’elles vont à l’ouvrage, avant que la rosée soit dissipée.

Quant à Malachbelus, l’on ne peut assez s’étonner que M. Spon, M. l’Abbé Bannier, après lui, ayent pu, malgré son nom, qui semble l’élever au-dessus de toutes les autres divinités, & les divers attributs qui lui sont donnés dans le monument de Palmyre, & qui soutiennent ses prérogatives ; que ces MM. dis-je, ayent pu le postposer en quelque sorte à Aglibelus ; faire de celui-ci le soleil, & de Malachbelus la lune. Malachbelus est composé de deux mots : malac, moloch ou molech, suivant les divers dialectes, signifie roi, belus, ou bahal vient de dominer, être maître : ainsi Malachbelus est un roi dominateur & maître ; ce qui nous donne l’idée d’un être suprême, du plus grand des dieux : aussi il paroît dans le monument palmyrénien, avec un éclat & une distinction particuliere, vêtu d’un habillement militaire, le manteau royal sur les épaules, la tête couronnée ; cette couronne radiale marque l’éclat du soleil dans son midi ; & s’il a derriere lui un croissant, dont les deux cornes débordent des deux côtés, c’est pour marquer l’empire que le soleil a sur la lune, qu’il fait disparoître par sa présence.

Au reste, Aglibolus occupant la droite dans ce monument, nommé avant Malachbelus dans l’inscription, justifie encore notre opinion, parce que le point du jour précede le midi. Le pin, ou plutôt le palmier qui est entre les deux figures, nous fait connoître que le dévot palmyrénien vivoit à la campagne, ou du moins s’intéressoit à l’agriculture, & qu’implorant le secours des dieux pour sa conservation, & celle de sa famille, il s’adressoit à ceux qui influoient le plus sur la fertilité de la terre.

C’est à ces divinités syriennes que nous devons rapporter le surnom du dernier empereur romain de la famille des Antonins ; il s’appelloit Marc-Aurele Antoninus Varius, surnommé Elagabale, parce qu’il avoit été sacrificateur de ce dieu, dont les divers auteurs écrivent le nom avec quelques petites différences ; les uns, comme Herodianus, Alagabalus ; d’autres, comme Capitolinus, Elagabalus ; quelques-uns, comme Lampridius, Helæogabalus ; mais les Grecs & les Latins, pour l’ordinaire, Heliogabalus.

Le mot de Bahal paroissant dans ces divers noms, c’est de l’intelligence de ce mot que dépend la connoissance de ces divinités, & de Malachbelus en particulier. Il n’y a pas de faux dieu plus célebre dans l’Ecriture-sainte que Bahal ; c’est qu’il étoit, sans doute, l’un des principaux objets de la religion des peuples qu’avoient dépossédés les Hébreux, ou des Hordes qui avoisinoient la Palestine. C’est sur-tout dans l’histoire de Gédéon qu’il est extrêmement parlé de Bahal. Juges, 5. v. 25. Gedéon démolit son autel, & coupa le boccage qui étoit auprès ; les gens du lieu s’en mirent fort en colere, & voulurent le faire mourir ; mais Joas, pere de Gédéon, le défendit ; & plus philosophe qu’on ne l’étoit dans ce tems-là, & qu’on ne l’a été depuis, il dit fort judicieusement : Si Baal est un dieu, qu’il prenne la cause pour lui-même, de ce qu’on a démoli son autel. Et il l’appella du nom de son fils, Jetabbahal, qui signifie, que Bahal prenne querelle, ou qu’il plaide & dispute : & c’est sans doute là le Jerombahal duquel le fameux Sanchoniaton dit avoir emprunté une partie des choses qu’il rapporte, παρὰ τοῦ ἱερομϐάλου ἱερέως Θεοῦ τοῦ ἰευώ, ou selon Porphire. ἰαὼ, Jézabel, femme de l’impie Achab, roi d’Israël, & fille d’Ethbahal, roi des Sydoniens, apporta avec elle à Samarie, le culte de Bahal, & sut persuader à son époux de le préférer à celui de l’Eternel, I. liv. des Rois, chap. xviij. v. 4. dont tous les prophetes furent exterminés, à la réserve d’Elie, & de cent autres, qu’à l’insçu même de ce grand prophete, qui se croyoit seul en Israël, le pieux Abdias (v. 22.) avoit cachés dans deux cavernes, & qui échapperent ainsi à la fureur d’Achab & de Jézabel. Au reste, ce couple impie détruisoit d’un côté pour édifier de l’autre ; car ils consacrerent plus de 450 prophetes au service du nouveau Dieu, & 400 à celui de ces boccages & hauts lieux qu’avoit fait planter Jézabel. Dans un état aussi petit que Samarie, & dans un tems où l’esprit humain emporté à tous vents de doctrine, se livroit à toute sorte de culte, c’est sans doute consacrer beaucoup trop de ministres aux solemnités & aux mysteres du culte d’un seul Dieu ; mais il faut croire qu’alors ceux qui servoient aux autels, n’étoient pas, comme parmi nous, en pure perte pour la société civile, & que du moins on pouvoit être prophete, & donner des sujets à l’état. Quoi qu’il en soit, ce peuple de prophetes, & la cruelle Jézabel, leur protectrice, furent étrangement humiliés dans le fameux procès qu’ils eurent à soutenir avec Elie, pour savoir qui étoit le vrai Dieu, l’Eternel ou Bahal. Elie demande qu’on assemble (I. liv. des Rois, chap. xviij. v. 19.) les 850 prophetes de Bahal & des boccages, qui mangeoient à la table de Jézabel ; il leur propose de sacrifier des victimes sans feu, (v. 23.) lui, sur un autel qu’il bâtiroit à son Dieu ; eux, sur l’autel de Bahal ; & que celui qui feroit brûler ses victimes, en faisant tomber le feu du ciel pour les consumer, seroit estimé le véritable Dieu. La proposition fut acceptée ; l’enthousiasme s’en mêloit sans doute ; il est rare que le don de prophétie en soit exempt.

I. Rois, xviij. v. 26. Ils prirent donc une jeune génisse qu’on leur donna, & l’apprêterent, & invoquerent le nom de Bahal, depuis le matin jusqu’à midi, disant : Bahal, exauce-nous ; mais il n’y avoit ni voix, ni réponse, & ils sautoient d’outre en outre par-dessus l’autel qu’on avoit fait, &c. &c. Ils crioient donc à haute voix, & se faisoient des incisions avec des couteaux & des lancettes, selon leur coutume, tant que le sang couloit. v. 27. Elie, de son côté, se mocquoit d’eux, & disoit : Criez à haute voix, car il est dieu ; mais il pense à quelque chose, ou il est occupé à quelque affaire, ou il est en voyage ; peut-être qu’il dort, & il se réveillera.

v. 30 & seq. L’Eternel soutint sa cause, & fit glorieusement triompher son prophete, qui avoit imploré avec ardeur son puissant secours. A peine Elie eut-il élevé son autel, qu’après plusieurs ablutions & aspersions réiterées, tant sur la victime, que sur le bois qui devoit lui servir de bûcher, au point que les eaux alloient à l’entour de l’autel, & qu’Elie remplit même le conduit d’eau, le feu de l’Eternel, un feu miraculeux descendit, consuma l’holocauste, le bois, les pierres & la poudre, réduisit tout en cendres, & huma toute l’eau qui étoit au conduit.

Dans une sécheresse des plus extraordinaires, & telle, que, (O tempora ! O mores !) le roi Achab, pour ne pas laisser dépeupler son pays de bêtes, I. Reg. xviij. v. 3. 5. 6. parcouroit ses états à la tête de ses chevaux, ânes & mulets, pour chercher vers les fontaines d’eaux & torrens, de l’herbe pour leur sauver la vie ; son favori, son premier ministre Abdias faisant la même chose de son côté ; dans de telles circonstances, dis-je, l’eau qu’Elie prodiguoit dans ce sacrifice extraordinaire, ne fut sans doute pas ce que les spectateurs regretterent le moins. Il est vrai que le peuple s’étant prosterné, & ayant reconnu, après le sacrifice, l’Eternel pour le seul vrai Dieu, les prophetes de Bahal tous égorgés par l’ordre d’Elie, ce grand prophete obtint de la bonté du Très-Haut une pluie abondante.

II. Reg. cap. xj. v. 17. 18. La malheureuse Athalie, mere de Joas, avoit établi dans Jérusalem le culte du même dieu Bahal ; mais Joas, sous la conduite & par l’ordre du souverain sacrificateur Jehojada, détruisit cette idole, & tout le peuple du pays entra dans la maison de Bahal, & la démolirent, ensemble ses autels, & briserent entierement les images ; ils tuerent aussi Mathan, sacrificateur de Bahal, devant ses autels.

Au reste, Bal, Baal, Bahal, Behel, Bel, Belus, sont une seule & même divinité, dont le nom est varié par les divers dialectes dans lesquels il est employé. Connu des Carthaginois, le nom de ce faux dieu, suivant l’usage des anciens, se remarque dans les noms de leurs princes, ou généraux ; ainsi, en langue punique, Annibal signifie exaucé ou favorisé par Bahal ; Asdrubal, recherché par Bal, Adherbal, aidé par le Dieu Bahal.

J’observe que l’Ecriture-sainte parle souvent de ce faux dieu au pluriel, les Bahals ou Bahalins, je serois donc assez porté à croire que cela est dans le génie des langues orientales ; car quelque soin que prenne l’Etre suprême de rappeller sans cesse les hommes à l’unité de son essence adorable, très-souvent les auteurs sacrés le nomment au pluriel ; peut-être aussi qu’il est parlé des Bahals ou Bahalins, suivant les diverses statues ou idoles qui avoient accrédité sa dévotion ; c’est ainsi que Jupiter reçoit les différens noms de Olympien, Dodonéen, Hammon, Feretrien, &c. Et sans aller plus loin, n’avons-nous pas la même Notre-Dame qui s’appelle en un lieu de Montferrat, ici de Liesse, là de Lorette, ailleurs des Ardilleres, d’Einselden, &c. suivant les images miraculeuses qui lui ont fait élever des autels, ou consacrer des dévotions particulieres. Mais ce qui est digne de remarque, c’est que très-souvent les 70 Interpretes désignent ce dieu Bahal, comme une déesse, aussi bien que comme un dieu, & construisent ce mot avec des articles féminins, comme S. Jean, vij. 4. περιεῖλον τὰς βααλαίν, ils détruisirent les Bahalines. Jer. ij. 18. xj. 13. xix. 5. xxxij. 33.

Au reste pour peu qu’on soit au fait de la Mythologie, on sait que les Payens croyoient honorer leurs dieux, en leur attribuant les deux sexes, & les faisant hermaphrodites, pour exprimer la vertu générative & féconde de la divinité. Aussi Arnobe remarque que dans leurs invocations, ils avoient accoutumé de dire, soit que tu sois dieu, soit que tu sois déesse ; nam consuetis in precibus dicere, sive tu deus, sive tu dea, quæ dubitationis exceptio dare vos diis sexum, disjunctione ex ipsa declarat. Arnob. contra Gent. lib. III.

Vid. Aul. Gel. lib. II. 23. Dans les hymnes attribuées à Orphée, parlant à Minerve, il dit : ἄρσην μὲν καὶ θῆλυς ἔφυς, tu es mâle & femelle. Chacun sait la Pensée de Plutarque dans son traité d’Isis & d’Osiris : ὁ δὲ νοῦς ὁ θεός ἀῤῥενόθηλυς ὤν ζωὴ καὶ φῶς ἀπεκύησε λόγον ἕτερον νοῦν δημιουργόν, or Dieu qui est une intelligence mâle & femelle, étant la vie & la lumiere, a enfanté un autre verbe qui est l’intelligence créatrice du monde.

Vénus même, la belle Vénus a été faite mâle & femelle. Macrobe, saturn. III. dit qu’un poëte nommé Cœlius, l’avoit appellée pollentemque deum Venerem, non deam, & que dans l’île de Chypre, on la peignoit avec de la barbe : sic poësis ut pictura, &c.

Comme les Peintres & les Poëtes donnent toujours à leurs héroïnes les traits & la ressemblance de leurs maîtresses, sans doute que le premier peintre Cypriot, qui s’avisa de peindre Vénus barbue, aimoit une belle au menton cotonné & velu, telles qu’on en voit qui ne laissent pas d’être appétissantes & très-aimables. Nous connoîtrons plus particulierement ce que les Orientaux adoroient sous le nom de Bahals, si nous nous rappellons que Moyse, dans l’histoire de la création, dit que Dieu fit les deux grandes lumieres, le soleil & la lune, pour dominer sur le jour & la nuit ; & c’est pour cela sans doute, que ces deux astres ont été appellés Bahalins, les dominateurs ; que Malachbelus soit le soleil, c’est ce dont on conviendra sans peine, si considérant que les luminaires, les astres en général, les planetes en particulier ayant été les premiers objets de l’idolâtrie des anciens peuples, le soleil a dû être regardé comme le roi de ces prétendues divinités ; & certes, tant de raisons parlent en sa faveur, que l’on conçoit sans peine, j’ai presque dit, que l’on excuse le culte qu’ont pu lui rendre les peuples privés de la révélation.

Unique & brillant soleil, s’écrie Zaphy) manuscript. Lugd. in Batavis, Zaphy), poëte arabe, unique & brillant soleil, source de vie, de chaleur & de lumiere, je n’adorerois que toi dans l’univers, si je ne te considérois comme l’esclave d’un maître plus grand que toi, qui a su t’assujettir à une route de laquelle tu n’oses t’écarter ; mais tu es & seras toujours le miroir dans lequel je vois & connois ce maître invisible & incompréhensible. Nous trouvons dans Sanchoniaton, le théologien des anciens Phéniciens, une preuve sans réplique que Malachbelus étoit le soleil. Les Phéniciens, dit-il, c’est-à dire ceux de Tyr, de Sidon & de la côte, regardoient le soleil comme l’unique modérateur du ciel ; ils l’appelloient Beelsamein ou Baal-samen, qui signifie, seigneur des cieux. Sur quoi j’observe que l’Ecriture ne parle presque jamais de l’idole Bahal, qu’elle n’y joigne Astoreth, & toute l’armée des cieux ; c’est ainsi qu’il est dit de Josias, II. Rois, xxiij. 5. qu’il abolit aussi ceux qui faisoient des encensemens à Bahal, à la lune, aux astres, & à toute l’armée des cieux, c’est-à-dire au soleil, à la lune & aux étoiles.

Servius, sur le premier livre de l’Enéide, dit que le Bahal des Assyriens est le soleil : Linguâ punicâ deus dicitur Bal, apud Assyrios autem Bel dicitur, quadam sacrorum ratione & saturnus & sol.

La ville de Tyr étoit consacrée à Hercule, c’étoit la grande divinité de cette ville célebre dans l’antiquité. Or, si on consulte Hérodote, & si l’on doit & peut l’en croire, on ne peut raisonnablement douter que cet Hercule tyrien ne soit le Bahal des Orientaux, c’est-à-dire le soleil même. Hérod. liv. II. pag. 120. Hérodote dit s’être transporté à Tyr tout exprès pour connoître cet Hercule ; qu’il y avoit trouvé son temple d’une grande magnificence, & rempli des plus riches dons, entr’autres une colonne d’émeraudes qui brilloit de nuit, & jettoit une grande lumiere. Si le fait est vrai, ne seroit-ce point parce que les sacrificateurs avoient ménagé dans le milieu de la colonne, un vuide pour y placer un flambeau ? Quoi qu’il en soit, cela étoit visiblement destiné à représenter la lumiere du soleil, qui brille en tout tems. Hérodote ajoute que par les entretiens qu’il eut avec les sacrificateurs, il fut persuadé que cet Hercule tyrien étoit infiniment plus ancien que l’Hercule des Grecs ; que le premier étoit un des grands dieux, que l’Hercule grec n’étoit qu’un héros, ou demi-dieu.

Le nom même d’Hercule prouveroit que c’est le soleil ; ce mot est pur Phénicien. Heir-coul signifie, dans cette langue, illuminat omnia. Je ne voudrois cependant pas décider que jamais le soleil ait porté à Tyr ou Carthage, le nom d’Hercule ; je pense même que non, & qu’on l’appelloit Baal ou Moloch, ou, à l’imitation de ceux de Tadmor, Malachbelus ; mais je ne doute point que parmi les éloges ou attributs de Bahal, on ait mis celui de Heir-coul, c’est-à-dire, illuminant toutes choses.

Les Romains, fort portés à adopter tous les dieux étrangers, avec lesquels ils faisoient connoissance, voyant que les Carthaginois donnoient à leur Baal le titre & l’éloge de Heir-coul, en ont fait leur exclamation, me Hercle ! & me Hercule ! & même leur Hercule ; & de-là est venu que celui que les Tyriens, & leurs enfans les Carthaginois, appelloient Bahal, les Latins l’ont appellé Hercules.

Saturn. lib. I. cap. xx. Macrobe paroît être dans l’idée qu’Hercule étoit le soleil, lorsque faisant uniquement attention à l’étymologie grecque, il dit : & revera Herculem solem esse, vel res nomine claret ; Hercules enim quid aliud est nisi heras, id est, aeris cleos, id est gloria. Il ajoute plusieurs raisons très-fortes pour prouver la même these, c’est qu’Hercule est le soleil. Les douze travaux d’Hercule n’auroient-ils point été inventés sur les douze constellations du zodiaque, que le soleil parcourt tous les ans ? Le célebre Vossius a mis dans le plus grand jour ce système, qu’Hercule est le soleil, vraissemblablement adoré à Palmyre sous le nom de Malachbelus ; le soleil y avoit un temple très-fameux. Guillaume Hallifax, gentilhomme anglois, a examiné avec soin les ruines superbes de ce somptueux édifice : on peut voir la description magnifique qu’il en a faite dans les Transactions philosophiques en l’année 1695. Deux gentilshommes de la même nation, ayant avec eux un peintre fort habile, ont entrepris le voyage de Palmyre, & ont donné au public, depuis quelques années, les planches gravées de ce qui reste du superbe temple du soleil ; ce qui annonce un bâtiment plus grand, plus magnifique, qu’on n’auroit dû l’attendre du siecle dans lequel il fut élevé, & mieux entendu qu’on ne pouvoit l’espérer des mains barbares qui y travaillerent.