L’Encyclopédie/1re édition/MÉRITE

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MÉRITE, s. m. (Droit nat.) Le mérite est une qualité qui donne droit de prétendre à l’approbation, à l’estime & à la bienveillance de nos supérieurs ou de nos égaux, & aux avantages qui en sont une suite.

Le démérite est une qualité opposée qui, nous rendant digne de la désapprobation & du blâme de ceux avec lesquels nous vivons, nous force pour ainsi dire de reconnoître que c’est avec raison qu’ils ont pour nous ces sentimens, & que nous sommes dans la triste obligation de souffrir les mauvais effets qui en sont les conséquences.

Ces notions de mérite & de démérite ont donc, comme on le voit, leur fondement dans la nature même des choses, & elles sont parfaitement conformes au sentiment commun & aux idées généralement reçues. La louange & le blâme, à en juger généralement, suivent toujours la qualité des actions, suivant qu’elles sont moralement bonnes ou mauvaises. Cela est clair à l’égard du législateur ; il se démentiroit lui même grossierement, s’il n’approuvoit pas ce qui est conforme à ses lois, & s’il ne condamnoit pas ce qui y est contraire ; & par rapport à ceux qui dépendent de lui, ils sont par cela même obligés de regler là-dessus leurs jugemens.

Comme il y a de meilleures actions les unes que les autres, & que les mauvaises peuvent aussi l’être plus ou moins, suivant les diverses circonstances qui les accompagnent & les dispositions de celui qui les fait, il en résulte que le mérite & le démérite ont leurs degrés. C’est pourquoi, quand il s’agit de déterminer précisément jusqu’à quel point on doit imputer une action à quelqu’un, il faut avoir égard à ces différences ; & la louange ou le blâme, la récompense ou la peine, doivent avoir aussi leurs degrés proportionnellement au mérite ou au démérite. Ainsi, selon que le bien ou le mal qui provient d’une action est plus ou moins considérable ; selon qu’il y avoit plus ou moins de facilité ou de difficulté à faire cette action ou à s’en abstenir ; selon qu’elle a été faite avec plus ou moins de réflexion & de liberté ; selon que les raisons qui devoient nous y déterminer ou nous en détourner étoient plus ou moins fortes, & que l’intention & les motifs en sont plus ou moins nobles, l’imputation s’en fait aussi d’une maniere plus ou moins efficace, & les effets en sont plus avantageux ou fâcheux.

Mais pour remonter jusqu’aux premiers principes de la théorie que nous venons d’établir, il faut remarquer que dès que l’on suppose que l’homme se trouve par sa nature & par son état assujetti à suivre certaines regles de conduite, l’observation de ces regles fait la perfection de la nature humaine, & leur violation produit au contraire la dégradation de l’un & de l’autre. Or nous sommes faits de telle maniere que la perfection & l’ordre nous plaisent par eux-mêmes, & que l’imperfection, le desordre & tout ce qui y a rapport nous déplait naturellement. En conséquence nous reconnoissons que ceux qui répondant à leur destination font ce qu’ils doivent & contribuent au bien du système de l’humanité, sont dignes de notre approbation, de notre estime, & de notre bienveillance ; qu’ils peuvent raisonnablement exiger de nous ces sentimens, & qu’ils ont quelque droit aux effets qui en sont les suites naturelles. Nous ne saurions au contraire nous empêcher de condamner ceux qui par un mauvais usage de leurs facultés dégradent leur propre nature ; nous reconnoissons qu’ils sont dignes de desapprobation & de blâme, & qu’il est conforme à la raison que les mauvais effets de leur conduite retombent sur eux. Tels sont les vrais fondemens du mérite & du démérite, qu’il suffit d’envisager ici d’une vûe générale.

Si deux hommes sembloient à nos yeux également vertueux, à qui donner la préférence de nos suffrages ? ne vaudroit-il pas mieux l’accorder à un homme d’une condition médiocre, qu’à l’homme déja distingué, soit par la naissance, soit par les richesses ? Cela paroît d’abord ainsi ; cependant, dit Bacon, la mérite est plus rare chez les grands que parmi les hommes d’une condition ordinaire, soit que la vertu ait plus de peine à s’allier avec la fortune, ou qu’elle ne soit guere l’héritage de la naissance : en sorte que celui qui la possede se trouvant placé dans un haut rang, est propre à dédommager la terre des indignités communes de ceux de sa condition. (D. J.)

Mérite, en Théologie, signifie la bonté morale des actions des hommes, & la récompense qui leur est dûe.

Les Scholastiques distinguent deux sortes de mérite par rapport à Dieu ; l’un de congruité, l’autre de condignité, ou, comme ils s’expriment, meritum de congruo, & meritum de condigno.

Meritum de congruo, le mérite de congruité est lorsqu’il n’y a pas une juste proportion entre l’action & la récompense : ensorte que celui qui récompense supplée par sa bonté ou par sa libéralité à ce qui manque à l’action ; tel est le mérite d’un fils par rapport à son pere, mais ce mérite n’est appellé mérite qu’improprement.

Meritum de condigno, le mérite de condignité est, quand il y a une juste estimation & une égalité absolue entre l’action & la récompense, comme entre le travail d’un ouvrier & son salaire.

Les prétendus Réformés n’admettent point de mérite de condignité ; c’est un des points entr’autres en quoi ils different d’avec les Catholiques.

Le mérite, soit de congruité, soit de condignité, exige diverses conditions, tant du côté de la personne qui mérite que du côté de l’acte méritoire & de la part de Dieu qui récompense.

Pour le mérite de condignité, ces conditions sont, de la part de la personne qui mérite, 1°. qu’elle soit juste, 2°. qu’elle soit encore sur la terre : de la part de l’acte méritoire, qu’il soit, 1°. libre & exempt de toute nécessité, même simple & relatif ; 2°. moralement bon & honnête ; 3°. surnaturel & rapporté à Dieu. Enfin, de la part de Dieu qui récompense, il faut qu’il y ait promesse ou obligation de couronner telle ou telle bonne œuvre.

Le mérite de congruité n’exige pas cette derniere condition, mais il suppose dans la personne qui mérite qu’elle est encore en cette vie, mais non pas qu’elle soit juste, puisque les actes de piété par lesquels un pécheur se dispose à obtenir la grace, peuvent la lui mériter de congruo ; 2°. de la part de l’acte, qu’il soit libre, bon & surnaturel dans son principe, c’est-à-dire fait avec le secours de la grace.

On ne peut pas mériter de congruo la premiere grace actuelle, mais bien la premiere grace sanctifiante & la persévérance ; mais on ne peut mériter celle-ci de condigno, non plus que la premiere grace sanctifiante, quoiqu’on puisse mériter la vie éternelle d’un mérite de condignité. Montagne, traité de la grace, quest. viij. article 2. paragr. 2.