L’Encyclopédie/1re édition/LUPERCALES

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LUPERCALES, s. f. pl. lupercalia, (Littér. rom.) fête instituée à Rome en l’honneur de Pan. Elle se célébroit, selon Ovide, le troisieme jour après les ides de Février.

Romulus n’a pas été l’inventeur de cette fête, quoi qu’en dise Valere-Maxime ; ce fut Evandre qui l’établit en Italie, où il se retira soixante ans après la guerre de Troie. Comme Pan étoit la grande divinité de l’Arcadie, Evandre, natif d’Arcadie, fonda la fête des lupercales en l’honneur de cette divinité, dans l’endroit où il bâtit des maisons pour la colonie qu’il avoit menée, c’est-à-dire sur le mont Palatin. Voilà le lieu qu’il choisit pour élever un temple au dieu Pan, ensuite il ordonna une fête solemnelle qui se célébroit par des sacrifices offerts à ce dieu, & par des courses de gens nuds portant des fouets à la main dont ils frappoient par amusement ceux qu’ils rencontroient sur leur route. Nous apprenons ces détails d’un passage curieux de Justin, lib. XLIII. cap j. In hujus (montis Palatini) radicibus templum Lycoeo, quem Græci Pana, Romani Lupercum appellant, constituit Evander. Ipsum dei simulachrum nudum, caprinâ pelle amictum est, quo habitu, nunc Romæ lupercalibus decurritur.

Tout cela se passoit avant que Romulus & Rémus ayent pu songer à la fondation de Rome ; mais comme l’on prétendoit qu’une louve les avoit nourris dans l’endroit même qu’Evandre avoit consacré au dieu Pan, il ne faut pas douter que ce hasard n’ait engagé Romulus à continuer la fête des lupercales, & à la rendre plus célebre.

Evandre avoit tiré cette fête de la Grece avec son indécence grossiere, puisque des bergers nuds couroient lascivement de côté & d’autre, en frappant les spectateurs de leurs fouets. Romulus institua des luperques exprès pour les préposer au culte particulier de Pan ; il les érigea en colléges ; il habilla ces prêtres, & les peaux des victimes immolées leur formoient des ceintures, cincti pellibus immolatarum hostiarum jocantes obviam petiverunt, dit Denys d’Halicarnasse, lib. I. Les luperques devoient donc être vêtus & ceints de peaux de brebis, pour être autorisés, en courant dans les rues, à pouvoir insulter les curieux sur leur passage, ce qui faisoit ce jour là l’amusement du petit peuple.

Cependant la cérémonie des lupercales tombant de mode sur la fin de la république, quoique les deux colléges des luperques subsistassent avec tous leurs biens, & que Jules-César eût crée un troisieme college des mêmes prêtres, Auguste ordonna que les lupercales fussent remises en vigueur, & défendit seulement aux jeunes gens qui n’avoient point encore de barbe, de courir les rues avec les luperques un fouet à la main.

On ne devine point la raison qui put déterminer Auguste à rétablir une fête ridicule, puisqu’elle s’abolissoit d’elle même ; mais il est encore plus étrange de voir que cette fête vint à reprendre une telle vogue, qu’elle ait été continuée sous les empereurs chrétiens ; & que lorsqu’enfin le pape Gélase ne voulut plus la tolérer, l’an 496 de J. C. il se trouva des chrétiens parmi les sénateurs mêmes qui tâcherent de la maintenir, comme il paroît par l’apologie que ce pape écrivit contr’eux, & que Baronius nous a conservée toute entiere au tome VI. de ses œuvres, ad annum 496, n°. 28 & seq.

Je finis par remarquer avec Plutarque, que plusieurs femmes ne se sauvoient point devant les luperques, & que loin de craindre les coups de fouet de leurs courroies, elles s’y exposoient au contraire volontairement, dans l’espérance de devenir fécondes si elles étoient stériles, ou d’accoucher plus heureusement si elles étoient grosses.

Le mot lupercale vient peut être de lupus, un loup, parce qu’on sacrifioit au dieu Pan un chien, ennemi du loup, pour prier ce dieu de garantir les troupeaux contre les loups.

L’usage de quelques jeunes gens qui couroient dans cette fête presque nuds, s’établit, dit-on, en mémoire de ce qu’un jour qu’on célebroit les lupercales, on vint avertir le peuple que quelques voleurs s’étoient jettés sur les troupeaux de la campagne ; à ce récit plusieurs spectateurs se deshabillerent pour courir plus vîte après ces voleurs, eurent le bonheur de les atteindre & de sauver leur bétail.

On peut ici consulter Denys d’Halicarnasse, l. I. Tite-Live, lib. I. cap. v. Plutarque, dans la vie de Romulus, d’Antoine, & dans les questions romaines ; Ovide, fastes, liv. II. Justin, lib. XLIII. Varron, lib. V. Valere-Maxime, Servius sur l’Enéide, lib. VIII. v. 342 & 663. Scaliger, Meursius, Rosinus, Vossius & plusieurs autres. (D. J.)