L’Encyclopédie/1re édition/LIPPE

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LIPPE, (Géog.) comté & petit état d’Allemagne sur la riviere de même nom en Westphalie, entre les évêchés de Paderborn & de Munster, le duché de Westphalie, les comtés de Ravensperg & de Pirmont. Lippssadt en est la capitale.

Ludolphe Kuster, un des premiers Grammairiens de ce siecle, étoit du comté de la Lippe. Il fit ses seules délices de l’étude des mots grecs & latins, & n’eut jamais d’autre goût. On prétend qu’ayant un jour ouvert les pensées de Bayle sur les cometes : « Ce n’est-là, dit-il, en le jettant sur la table, qu’un livre de raisonnement, non sic itur ad astra ». Aussi ne courut-il la carriere de la célébrité que par les travaux pénibles des répertoires de la langue greque & latine.

Nous lui devons la meilleure & la plus belle édition de Suidas, qui parut à Cambridge en 1705, en 3 vol. in-fol. On sait que Suidas vivoit il y a cinq ou 600 ans ; son livre est une espece de dictionnaire universel, historique & grammatical, dont les articles sont, pour la plupart, des extraits ou des fragmens d’auteurs anciens qui ne se trouvent quelquefois que là ; mais Suidas ne cite pas toujours les auteurs qu’il copie ; plus souvent il les copie mal : quelquefois il confond les personnes & les événemens ; quelquefois il conte différemment le même fait, ou attribue à différentes personnes les actions d’une seule. Avant Kuster, ce lexique de Suidas étoit donc très-défectueux. Il y a peut-être laissé encore bien des erreurs ; mais enfin, il l’a mis au jour sur la collection des plus anciens manuscrits. Il a réformé la traduction de Portus ; il a corrigé ou rétabli huit à dix mille mots dans le texte ; il a rapporté à leurs sources quantité de passages, dont les auteurs originaux n’étoient pas indiqués. Il s’occupa jour & nuit de cette besogne pendant quatre ans, avec tant d’attache que s’étant une fois réveillé au bruit du tonnerre, il ne songea dans sa frayeur qu’à sauver son cher Suidas, avec tout l’empressement que peut avoir un pere pour sauver son fils unique.

M. Kuster donna l’Aristophane en 1710, en 3 vol. in-fol. & son édition supérieure à toutes, n’entre en comparaison avec aucune des précédentes. Sophocle, le plus ancien & le plus élevé des tragiques grecs qui nous restent, étoit avant l’édition de Kuster, l’un des plus défigurés, & qui demandoit le plus les soins d’un habile critique.

En 1712, il mit au jour une nouvelle édition du testament grec de Mill, ce célebre professeur d’Oxfort qui avoit employé plus de 30 ans à cet ouvrage, que tant de gens attaquerent de toutes parts.

M. Kuster mourut à Paris en 1717, âgé de 46 ans, étant alors occupé à préparer une nouvelle édition d’Hésychius, lexicographe plus difficile en un sens, & beaucoup plus utile à certains égards que Suidas, parce qu’Hésychius est plein de mots singuliers, qui ne se trouvent point ailleurs, & dont la signification n’est souvent expliquée que par un certain nombre de synonymes de la même langue, qui en supposent une connoissance parfaite. Le travail de Kuster sur Hésychius, ne s’est trouvé poussé au-moins à demeure que jusqu’à la lettre ΗΤΑ. Je supprime les autres ouvrages de cet habile humaniste, sans croire néanmoins m’être trop étendu sur ceux qu’il a mis au jour ; car tous nos lecteurs ne connoissent pas assez Suidas, Hésychius, Mill, Aristophane & Sophocle ; mais voyez l’éloge de Kuster par M. de Boze. (D. J.)

Lippe, (Géog. anc. & mod.) riviere d’Allemagne dans la Westphalie ; Tacite la nomme Luppia, Pomponius Méla Lupia, Dion & Strabon Λουπίας ; & dans les annales de France, on l’appelle Lippa & Lippia. Elle a sa source au pié du château & bourg de Lippspring, nom même qui l’indique, & à un mille de Paderborn dans l’évêché de ce nom. Strabon a cru qu’elle se perdoit dans la mer, avec l’Ems & le Wéser, ce qui est une grande erreur ; elle se perd dans le Rhin, au dessus & auprès de Wésel.

C’est aux bords de la Lippe que mourut Drusus, frere cadet de Tibere, après avoir reçu le consulat à la tête de ses troupes en 734, à l’âge de 30 ans, dans son camp appellé depuis, par la raison de sa perte, le camp détestable, castra scelerata.

On eut tort toutefois de s’en prendre au camp, puisque la mort du fils de Livie fut causée par une chute de cheval qui s’abattit sous lui, & lui rompit une jambe. Il avoit soumis les Sicambres, les Usipètes, les Frisiens, les Chérusques & les Cattes, & s’étoit avancé jusqu’à l’Elbe. Il joignit le Rhin & l’Yssel par un canal qui subsiste encore aujourd’hui. Enfin, ses expéditions germaniques lui mériterent le surnom de Germanicus, qui devint héréditaire à sa postérité. Ses belles qualités le firent extrèmement chérir d’Auguste, qui dans son testament l’appelloit avec Caïus & Lucius pour lui succéder. Rome lui dressa des statues, & on éleva en son honneur des arcs de triomphes & des mausolées jusques sur les bords du Rhin. (D. J.)