L’Encyclopédie/1re édition/LEANDRE, la tour de

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LEANDRE, la tour de, (Géog. Litter. Antiq. Médail.) tour d’Asie en Natolie, dans le Bosphore de Thrace, auprès du cap de Scutari. Les Turcs n’ont dans cette tour pour toute garnison qu’un concierge. M. de Tournefort dit que l’empereur Manuel la fit bâtir, & en éleva une autre semblable du côté de l’Europe, au monastere de S. George, pour y tendre une chaîne qui fermât le canal de la mer Noire.

Cette tour de Scutari est nommée par les Turcs tour de la Pucelle ; mais les Francs ne la connoissent que sous le nom de la tour de Léandre, quoique la vraie tour, la fameuse tour, qui porte indifferemment dans l’histoire, le nom de tour de Leandre, ou celui de tour de Hero, comme Strabon l’appelle τον τῆς Ηρούς πύργον, fût située sur les bords du canal des Dardanelles.

Cette tour du canal des Dardanelles a été immortalisée par les amours d’Héro & de Léandre. Héro étoit une jeune prêtresse de Vénus dans la ville de Sestos, & Léandre étoit un jeune homme d’Abydos. Ces deux villes, bâties dans le lieu le plus étroit de l’Hellespont, vis-à-vis l’une de l’autre, au bord des deux rivages opposés, ne se trouvoient séparées que par un espace de 7 à 800 pas. Une fête qui attiroit à Sestos les habitans du voisinage, fit voir à Léandre la belle Héro, dans le temple même, où elle s’acquittoit de ses fonctions : elle le vit aussi, & leurs cœurs furent d’intelligence.

Ils se donnerent de fréquens rendez-vous dans la tour du lieu, qui depuis mérita de porter leur nom, & où la prêtresse avoit son appartement. Pour mieux cacher leur intrigue, Léandre, à la faveur de la nuit, passoit le détroit à la nage ; mais leur commerce ne dura pas long-tems : la mauvaise saison étant venue, Léandre périt dans les flots, & Héro ne pouvant survivre à cette pette, se précipita du haut de sa tour, Heroâ lacrymoso littore turri ! C’étoit du sommet de cette tour, dit Stace, que la prêtresse de Sestos avoit continuellement ses yeux attachés sur les vagues de la mer : sedet anxia turre supremâ, Sestias in speculis.

On sait combien d’autres poëtes & d’anciens écrivains ont chanté cette avanture. Virgile y fait une belle allusion dans ses géorgiques, liv. III. v. 258 & suiv. Quid juvenis, &c. Dans Martial, Léandre prie les ondes de daigner l’épargner dans sa course vers Héro, & de ne le submerger qu’à son retour, parcite dùm propero, mergite dùm redeo. Antipater de Macédoine, parlant des naufrages arrivés sur l’Hellespont, s’écrie dans l’anthologie, l. I. c. lv. épig. 7. « malheureuse Héro, & vous infortuné Déimaque, vous perdîtes dans ce trajet de peu de stades, l’une un époux, & l’autre une épouse chérie ».

Tout le monde a lû dans les héroides attribuées à Ovide, les épîtres de Léandre & d’Héro, & personne n’ignore que l’histoire de ces deux amans est racontée avec toutes les graces de la Poësie dans un écrivain grec, qui porte le nom de Musée : c’est un ouvrage de goût & de sentiment, plein de tendresse & d’élégance. Nous en avons des traductions dans presque toutes les langues vivantes de l’Europe ; mais nous n’en avons point qui égale la noblesse & la pureté de l’original.

Enfin, les médailles ont rendu célebre la tour de Léandre : on en possede un grand nombre qui portent les noms des deux amans, & d’autres où l’on voit Léandre précédé de Cupidon le flambeau à la main, nager vers Héro, qui l’accueille du haut d’une tour.