L’Encyclopédie/1re édition/LAVE

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LAVE, s. f. (Hist. nat.) en italien lava, nom générique que l’on donne aux matieres liquides & vitrifiées que le Vésuve, l’Etna & les autres volcans vomissent dans le tems de leurs éruptions. Ce sont des torrens embrasés qui sortent alors, soit par le sommet, soit par des ouvertures latérales qui se forment dans les flancs de ces montagnes. Ces matieres devenues liquides par la violence du feu, coulent comme des ruisseaux le long de la pente du volcan ; elles consument & entraînent les arbres, les roches, le sable & tout ce qui se trouve sur leur passage, & vont quelquefois s’étendre jusqu’à la distance de plus d’une lieue de l’endroit d’où elles sont sorties ; elles couvrent des campagnes fertiles d’une croûte souvent fort épaisse, & produisent les ravages les plus grands.

Ces matieres fondues sont très-long-tems à se refroidir ; & quelquefois plusieurs mois après leur éruption, on voit encore qu’il en part de la fumée, ce qui vient de la chaleur excessive dont les laves ont été pénétrées, & de la grandeur énorme de leur masse, qui fait que la chaleur s’y est conservée. Plus d’un mois après la grande éruption du Vésuve, arrivée en 1737, on voulut dégager le grand chemin que la lave sortie de ce volcan avoit embarrassé ; mais les ouvriers furent bientôt forcés d’abandonner leur entreprise, parce qu’ils trouverent l’intérieur de la lave encore si embrasée, qu’elle rougissoit & amolissoit les outils de fer dont ils se servoient pour ce travail.

Quant à la masse des laves, elle est quelquefois d’une grandeur énorme. Dans l’éruption du mont Etna, de 1669, qui détruisit entierement la ville de Catane en Sicile, le torrent liquide alla si avant dans la mer, qu’il y forma un mole ou une jettée assez grande pour servir d’abri à un grand nombre de vaisseaux Voyez l’histoire du mont Vésuve. Suivant ce même ouvrage, qui est dû aux académiciens de Naples, la longueur du torrent principal de lave qui sortit du Vésuve en 1737, étoit de 3550 cannes napolitaines, dont chacune porte 8 palmes, c’est-à-dire 80 pouces de Paris. Ce même torrent dans l’espace occupé par les 750 premieres cannes, à compter depuis sa source, avoit aussi 750 cannes de largeur, & 8 palmes ou 80 pouces d’épaisseur. A l’égard des 2800 cannes restantes, elles avoient valeur commune 168 cannes de largeur, & environ 30 palmes d’épaisseur. De ce torrent énorme, il en partoit des rameaux, ou comme des ruisseaux plus petits, qui se répandirent dans la campagne. On calcula alors toutes les laves que le Vésuve vomit dans cette occasion, & l’on trouva que la somme totale de la matiere fondue alloit à 595948000 palmes cubiques, sans compter les cendres & les pierres détachées, vomies par ce volcan dans la même éruption. Cet exemple peut suffire pour donner une idée de la grandeur & de l’étendue des laves. Voyez l’hist. du Vésuve, pag. 135 & suiv.

La lave ne peut être regardée que comme un mélange de pierres, de sable, de terres, de substances métalliques, de sels, &c. que l’action du feu des volcans a calcinées, mises en fusion & changées en verre : mais comme toutes les matieres qui éprouvent l’action du feu ne sont point également propres à se vitrifier, les combinaisons qui résultent de cette action du feu ne sont point les mêmes ; voilà pourquoi la lave, après avoir été refroidie, se montre sous tant de formes différentes, & présente une infinité de nuances de couleurs & de variétés. La lave la plus pure ressemble parfaitement à du verre noir, tel que celui des bouteilles ; de cette espece est la pierre que l’on trouve en plusieurs endroits du Pérou, & que les Espagnols nomment pedra di Callinaço. C’est un verre dur, noir, homogène & compact ; on ne peut être embarrassé de deviner l’origine de cette pierre, quand on sait que le Pérou est exposé à de fréquentes éruptions des volcans, dont il n’est point surprenant de rencontrer par-tout des traces.

Une autre espece de lave est dure, pesante, compacte comme du marbre, & susceptible comme lui de prendre un très-beau poli. Telle est la lave décrite par M. de la Condamine, dans la relation curieuse de son voyage d’Italie, que cet illustre académicien a lûe en 1757 à l’académie des Sciences de Paris. Cette lave est d’un gris sale, parsemée de taches noires comme quelques especes de serpentine ; on y remarque quelques particules talqueuses & brillantes. On en fait à Naples des tables, des chambranles. & même des tabatieres, &c. Ce curieux voyageur dit en avoir vû des tables d’un pouce d’épaisseur, qui s’étoient voilées & déjettées comme feroit une planche ; ce qui vient, suivant les apparences, des sels contenus dans cette lave, sur lesquels l’air est venu à agir.

Il y a de la lave qui, sans être aussi compacte que la précédente, & sans être susceptible de prendre le poli comme elle, ne laisse point d’avoir beaucoup de consistence & de solidité ; celle-là ressemble à une pierre grossiere, elle est communément d’un gris de cendre, quelquefois elle est rougeâtre. Elle est très-bonne pour bâtir ; c’est d’une lave de cette espece que la ville de Naples est pavée.

Enfin, il y a une espece de lave encore plus grossiere, qui se trouve ordinairement à la surface des torrens liquides d’une lave plus dense ; elle est inégale, raboteuse, spongieuse, & semblable aux scories qui se forment à la surface des métaux qu’on traite dans les fourneaux des fonderies. Cette espece de lave prend toutes sortes de formes bisarres & de couleurs différentes ; les inégalités qu’elle forme font que les endroits couverts de cette lave présentent le coup-d’œil d’une mer agitée, ou d’un champ profondément sillonné. Souvent cette lave contient du soufre, de l’alun, du sel ammoniac, &c.

Entre les différentes especes de laves qui viennent d’être décrites, il y a encore un grand nombre de nuances & d’états sous lesquels cette matiere se présente ; & l’on y remarque des différences presque infinies pour la couleur, la consistence, la forme & les accidens qui les accompagnent.

La ville d’Herculaneum, ensevelie depuis environ dix-sept siecles sous les cendres & les laves du Vésuve, est un monument effrayant des ravages que peuvent causer ces inondations embrasées. Mais une observation remarquable est celle qu’a fait M. de la Condamine, qui assurent que les fondemens de plusieurs maisons de cette ville infortunée ont eux-mêmes été bâtis avec de la lave, ce qui prouve l’antiquité des éruptions du Vésuve. A ce fait on en peut joindre un autre, c’est que M. le marquis de Curtis, seigneur napolitain, qui avoit une maison de campagne à quelque distance du Vésuve, voulant faire creuser un puits, fut plusieurs années avant que de réussir, & on rencontra jusqu’à trois couches très-épaisses de lave, séparées par des lits de terre & de sable intermédiaires qu’il fallut percer avant que de trouver de l’eau.

Il n’est point surprenant que les endroits voisins du Vésuve soient remplis de laves ; mais l’Italie presque entiere, suivant la remarque de M. de la Condamine, en renferme dans son sein, dans les endroits même les plus éloignés de ce volcan ; ce qui semble prouver que dans des tems de l’antiquité la plus reculée, l’Apennin a été une chaîne de volcans dont les éruptions ont cessé. Suivant ce savant voyageur, la pierre qu’on tire des carrieres du voisinage de Rome est une véritable lave, que l’on prend communément pour une pierre ordinaire. La fameuse voie appienne, à en juger par ce qui en reste, paroît avoir été faite de lave. La prison tullienne, que l’on regarde comme le plus ancien édifice de Rome, est bâtie d’une pierre qui, ainsi que le tevertino ou la pierre de Tivoli, semble être une vraie lave ou pierre formée par les volcans. De toutes ces observations, M. de la Condamine conclut que « ces plaines aujourd’hui riantes & fertiles, couvertes d’oliviers, de mûriers & de vignobles, ont été comme les côteaux du Vésuve, inondées de flots brûlans, & portent comme eux dans leur sein, non seulement les traces de ces torrens de feu, mais leurs flots mêmes refroidis & condensés, témoins irrécusables de vastes embrasemens antérieurs à tous les monumens historiques. »

Ce n’est point seulement pour l’Italie que ces réflexions doivent avoir lieu, plusieurs autres pays sont dans le même cas, & l’on y bâtit avec de la lave, sans se douter de la cause qui a produit les pierres que l’on employe à cet usage, & sans savoir qu’il y ait eu anciennement des volcans dans le pays ou ces pierres se trouvent. En effet, il y a bien des pierres à qui la lave ressemble ; & il est aisé, suivant ce qu’on a dit, de la prendre quelquefois pour du marbre, ou pour de la serpentine, ou pour quelques pierres poreuses assez communes. M. Guétard, de l’académie des Sciences, a reconnu que des pierres trouvées en Auvergne sur le Puits de Dome & sur le Mont-d’or, étoit de la vraie lave, semblable à celle du Vésuve & de l’Etna. M. de la Condamine présume que la pierre dont on bâtit à Clermont en Auvergne est de la même nature que celle de Tivoli dont on a parlé. Voyez le Mercure du mois de Septembre 1757, & les mémoires de l’académie royale des Sciences, ann. 1752 & 1757. (—)

Ces découvertes doivent exciter l’attention des Naturalistes, & les engager à considérer plus soigneusement certaines pierres qu’ils ne soupçonnent point d’être de la lave ou des produits des volcans, parce que l’histoire ne nous a quelquefois point appris qu’il y ait eu jamais de volcans dans les cantons où on les trouve. Voyez Volcans.