L’Encyclopédie/1re édition/LANGRES

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LANGRES, (Géog.) ancienne ville de France, en Champagne, capitale du Bassigny. Du tems de Jules César, elle étoit aussi la métropole du peuple, appellé Lingones, dont nous parlerons sous ce mot, & se nommoit Andematunum ou Audumatunum. Dans le même tems, cette ville appartenoit à la Celtique, mais elle devint une cité de la Belgique sous Auguste, & y demeura jointe jusqu’à ce que Dioclétien la rendit à la Lyonnoise.

Langres, comme tant d’autres villes de France, a été exposée à diverses révolutions. Elle fut prise & brûlée dans le passage d’Atila, se rétablit & éprouva le même sort, lors de l’irruption des Vandales, qui massacrerent S. Didier son évêque l’an de J. C. 407. Après que les Barbares eurent envahi l’empire romain, Langres tomba sous le pouvoir des Bourguignons, & continua de faire partie de ce royaume sous les Francs, vainqueurs des Bourguignons. Elle échut à Charles le chauve par le partage des enfans de Louis le débonnaire. Elle eut ensuite ses comtes particuliers jusqu’à ce qu’Hugues III. duc de Bourgogne, ayant acquis ce comté d’Henri duc de Bar, le donna, vers l’an 1179, à Gautier son oncle, évêque de Langres, en échange du domaine de Dijon ; & dans la suite, le roi Louis VII. érigea ce comté en duché, en annexant la ville à la couronne.

C’est de cette maniere que les évêques de Langres réunirent Langres au domaine de leur église, & devinrent très-puissans en qualité de seigneurs féodaux, dans toute l’étendue de leur diocese. Odon, comte de Nevers & de Champagne, leur fit hommage pour le comté de Tonnerre ; & cet hommage leur fut renouvellé par Marguerite, reine de Suede & femme du roi Charles. Les rois de Navarre, les ducs de Bourgogne pour leurs terres de la montagne, & les comtes de Champagne pour plusieurs villes & seigneuries se virent aussi leurs feudataires, de sorte qu’ils comptoient parmi leurs vassaux non seulement des ducs, mais encore des rois.

Il n’est donc pas étonnant que l’évêque de Langres ait obtenu de Charles le chauve le droit de battre monnoie, & que ce privilege lui ait été confirmé par Charles le gros. Enfin, quoique la face des affaires ait bien changé, ces prélats ont toujours eu l’honneur, depuis Philippes le bel, d’être ducs & pairs de France, jusqu’à nos jours. L’évêque de Langres est resté, comme autrefois, suffragant de l’archevêché de Lyon. Son diocese, qui comprend la ville de Tonnerre, est en tout composé de cent quarante-cinq cures sous six archidiacres.

Venons aux antiquités de la ville de Langres, qui nous intéressent plus que l’évêché. Lorsqu’on travailloit dans cette ville, en 1670, 1671 & 1672, à faire des chemins couverts sur la contrescarpe, on y trouva trente-six pieces curieuses, consistant en statues, pyramides, piédestaux, vases, tombeaux, urnes & autres antiquités romaines, qui passerent entre les mains de M. Colbert.

On a encore trouvé depuis, en fouillant les terres voisines, quantité de médailles antiques, d’or, d’argent, & de bronze ; plusieurs vases & instrumens qu’on employoit dans les sacrifices, comme un couteau de cuivre, servant à écorcher les victimes ; un autre couteau, appelle secespita, servant à les égorger ; un chauderon, pour en contenir les entrailles ; deux paterres, pour en recevoir le sang ; deux préféricules ; un manche d’aspersoir, pour jetter l’eau lustrale ; une boëte couverte pour l’encens ; trois petites cueilleres d’argent pour le prendre ; deux coins ; & un morceau de succin jaune, substance qui entroit, comme à présent, dans les parfums.

Enfin, on a trouvé à Langres ou dans son voisinage, pendant les deux derniers siecles, plusieurs inscriptions antiques, bas-reliefs, statues, fragmens de colonnes, ruines d’édifices, & autres monumens propres à illustrer l’histoire de cette ville. Dans le nombre de ceux qui y subsistent encore, les uns sont enchâssés d’espace en espace dans le corps des murs, qui lui tiennent lieu de remparts ; les autres se voient dans des jardins particuliers, & dans des villages circonvoisins. Il y en a même que certaines familles regardent comme le palladium de leurs maisons.

Mais comme le sort de la plûpart de ces morceaux antiques est d’être enlevés de leur pays natal, s’il est permis de se servir de ce terme, pour aller grossir le recueil qu’en font les curieux étrangers, les magistrats de la ville de Langres se sont depuis long-tems précautionnés contre ces pertes, en marquant dans les registres publics non seulement l’époque & les circonstances de toutes les décourvertes, mais encore en y ajoutant le dessein des bas-relief & des statues, & la copie des inscriptions qu’on a successivement déterrées. Un pareil plan devroit être suivi dans toutes les villes de l’Europe, qui se vantent de quelque antiquité, ou qui peuvent tirer quelque avantage de ces sortes de monumens.

Gruter, Reynesius, le P. Vignier jésuite, & Gautherot dans son histoire de la ville de Langres, qu’il a intitulé, l’Anastase de Langres, tirée du tombeau de son antiquité, ont, à la vérité, rassemblé plusieurs inscriptions de cette ville, mais ils ne les ont pas toujours lues ni rapportées avec exactitude ; & pour Gautherot en particulier, ses recherches sont aussi mal digérées que peu judicieuses.

L’academie royale des belles-lettres de Paris a expliqué quelques-unes des inscriptions, dont nous parlons, dans le tome V. de son histoire, & cela d’après des copies fideles qu’elle en a reçues de M. l’évêque de Langres. On desireroit seulement qu’elle eût étendu ses explications sur un plus grand nombre de monumens de cette cité.

En effet, une de ces inscriptions nous apprend qu’il y eut dans cette ville une colonie romaine ; une autre nous confirme ce que César dit de la vénération que les Gaulois avoient pour Pluton, & de leur usage de compter par nuits, au lieu de compter par jours ; une troisieme nous instruit qu’il y a eu pendant long-tems dans cette ville un théâtre public, & par conséquent des spectacles réglés ; une quatrieme nous fait connoître que la famille des Jules avoit de grande possessions à Langres, ou aux environs ; une cinquieme nous certifie qu’il partoit de cette capitale des peuples de la Gaule celtique, appellés Lingones, beaucoup de chemins pavés, & construits en forme de levées, qui conduisoient à Lyon, à Toul, à Besançon, pour aller de celle-ci aux Alpes. De tels monumens ne sont pas indignes d’être observés ; mais il faut dire un mot de la position de Langres.

Elle est située sur une haute montagne, près de la Marne, aux confins des deux Bourgognes, à 14 lieues N. O. de Dijon, 25 S. E. de Troyes, 40 S. E. de Reims, 63 N. E. de Paris. Long. suivant Cassini, 22d. 51′. 30″. lat. 47. 51.

Julius Sabinus, si connu par sa revolte contre Vespasien, & plus encore par la beauté, le courage, la tendresse, la fidélité & l’amour conjugal de sa femme Epponina, étoit natif de Langres. Il faut lire dans les Mémoires de l’acad. des insc. t. IX. les aventures également singulieres & attendrissantes de cette illustre dame & de son mari. M. Secousse en a tiré toute l’histoire de Tacite & de Plutarque ; c’est un des plus beaux morceaux de celle des Gaules, par les exemples de vertus qu’elle présente, & par la singularité des évenemens. Il a été écrit ce morceau peu de tems après la mort tragique de Sabinus & d’Epponina, par les deux anciens auteurs que nous venons de nommer, par Tacite, Hist. l. IV. n°. 55. & par Plutarque, In amator, p. 770. leur témoignage, dont on prise la fidélité, ne doit laisser aucun doute sur les circonstances mêmes qui paroissent les plus extraordinaires.

Langres moderne a produit plusieurs gens de lettres célebres, & tous heureusement ne sont pas morts ; mais je n’en nommerai qu’un seul du siecle passé, M. Barbier d’Aucourt, parce que c’est un des meilleurs sujets que l’academie francoise ait jamais eu.

Barbier d’Aucourt (Jean) étoit d’une famille pauvre, qui ne put lui donner aucun secours pour ses études ; mais son génie & son application y suppléerent. Il est connu par ses malheurs, par sa défense du nommé le Brun, accusé faussement d’avoir assasiné la dame Mazel, dont il étoit domestique, & par les sentimens de Cléanthe sur les entretiens d’Ariste & d’Eugene, critique vive, ingénieuse, délicate & solide ; le P. Bouhours tenta de la faire supprimer, & ses démarches en multiplierent les éditions. Barbier d’Aucourt fut ami de Mrs de Port royal, & composa plusieurs écrits contre les Jésuites qu’il haïssoit. Il mourut fort pauvre on 1694, dans sa 53e année. « Ma consolation, (dit-il aux députés de l’academie, qui vinrent le visiter dans sa derniere maladie, & qui lui parurent attendris de le trouver si mal logé,) « Ma consolation, répéta-t-il, & ma très-grande consolation, c’est que je ne laisse point d’héritiers de ma misere ».