L’Encyclopédie/1re édition/LACONISME

LACONISME, s. m. (Littérat.) c’est à-dire en françois, langage bref, animé & sententieux ; mais ce mot désigne proprement l’expression énergique des anciens Lacédémoniens, qui avoient une maniere de s’énoncer succincte, serrée, animée & touchante.

Le style des modernes, qui habitent la Zaconie, ne s’en éloigne guere encore aujourd’hui ; mais ce style vigoureux & hardi ne sied plus à de misérables esclaves, & répond mal au caractere de l’ancien laconisme.

En effet, les Spartiates conservoient un air de grandeur & d’autorité dans leurs manieres de dire beaucoup en peu de paroles. Le partage de celui qui commande est de trancher en deux mots. Les Turcs ont assez humilié les Grecs de Misitra, pour avoir droit de leur tenir le propos qu’Epaminondas tint autrefois aux gens du pays : « En vous ôtant l’empire, nous vous avons ôté le style d’autorité. »

Ce talent de s’énoncer en peu de mots, étoit particulier aux anciens Lacédémoniens, & rien n’est si rare que les deux lettres qu’ils écrivirent à Philippe, pere d’Aléxandre. Après que ce prince les eut vaincus, & réduits leur état à une grande extrémité, il leur envoya demander en termes impérieux, s’ils ne vouloient pas le recevoir dans leur ville, ils lui écriviront tout uniment, non ; en leur langue, la réponse étoit encore plus courte, οὐκ.

Comme ce roi de Macédoine insultoit à leurs malheurs, dans le tems que Denys venoit d’être dépouillé du pouvoir souverain, & réduit à être maître d’école dans Corinthe, ils attaquerent indirectement la conduite de Philippe par une lettre de trois paroles, qui le menaçoient de la destinée du tyran de Syracuse : Διονύσιος ἐν Κορίνθῳ, Denys est à Corinthe.

Je sai que notre politesse trouvera ces deux lettres si laconiques des Lacédémoniens extrêmement grossieres ; eh bien, voici d’autres exemples de laconisme de la part du même peuple, que nous proposerons pour modele ? Les Lacédémoniens, après la journée de Platée, dont le récit pouvoit souffrir quelque éloge de la valeur de leurs troupes, puisqu’il s’agissoit de la plus glorieuse de leurs victoires, se contenterent d’écrire à Sparte, les Persans viennent d’être humiliés ; & lorsqu’après de si sanglantes guerres, ils se furent rendus maîtres d’Athènes, ils manderent simplement à Lacédémone, la ville d’Athènes est prise.

Leur priere publique & particuliere tenoit d’un laconisme plein de sens. Ils prioient seulement les dieux de leur accorder les choses belles & bonnes, τὰ καλὰ ἐπὶ τοῖς ἀγαθοῖς διδόναι. Voilà toute la teneur de leurs oraisons.

N’espérons pas de pouvoir transporter dans le françois l’énergie de la langue greque ; Eschine, dans son plaidoyer contre Ctésiphon, dit aux Athéniens : « Nous sommes nés pour la paradoxologie » ; tout le monde savoit que ce seul mot signifioit « pour transmettre par notre conduite aux races futures une histoire incroyable de paradoxes » ; mais il n’y a que le grec qui ait trouvé l’art d’atteindre à une briéveté si nerveuse & si forte. (D. J.)