L’Encyclopédie/1re édition/KARESMA

KARESMA, s. m. (Hist. des voyages.) sorte d’hôtellerie commune en Pologne. Le karesma est un vaste bâtiment de terre grasse & de bois, construit sur les grands chemins de Pologne pour héberger les passans.

Ces bâtimens sont composés d’une vaste & large écurie à deux rangs, avec un espace suffisant au milieu pour les chariots : au bout de l’écurie est une chambre qui mene dans un second réduit, nommé comori, où le maître du karesma tient ses provisions, & en particulier son avoine & sa biere. Cette chambre est tout ensemble grenier, cave, magasin & bouge, dit M. le chevalier de Beaujeu, qu’il faut laisser parler ici.

La grande chambre d’assemblée a un poële & une cheminée relevée à la mode du pays comme un four. Tout le monde se loge-là pêle mêle, hommes & femmes, qui se servent indifféremment du feu de l’hôte ainsi que de la chambre. Tout voyageur entre sans distinction dans ces sortes de maisons, s’y chauffe & s’y nourrit en payant à son hôte les fourrages.

Il y a dans l’intérieur des villes capitales des especes d’auberges où l’on peut loger & manger, & les karesma y sont seulement dans les fauxbourgs : mais tous les villages un peu considérables en ont, par l’utilité qu’ils en tirent pour la vente & la consommation des denrées du pays.

Chaque seigneur fait débiter par un paysan ou par un juif qu’il crée hôte de son karesma, le foin, l’avoine, la paille, la biere & l’eau-de-vie de ses domaines, & de ses brasseries, qui est à peu près tout ce qu’on trouve à acheter dans ces sortes d’hôtelleries.

Une de leurs plus grandes incommodités, c’est la puanteur des chambres, la malpropreté du lieu, le voisinage des chevaux, de la vache, du veau, des cochons, des poules, des petits enfans, qui sont pêle-mêle avec le voyageur, & dont chacun fait son ramage différent.

Outre cela, les jours de fêtes sont redoutables, parce que le village est assemblé dans le karesma, & occupé à boire, à danser, à fumer, & à faire un vacarme épouvantable.

Je conviens avec M. le chevalier de Beaujeu de tous ces désagrémens des karesma de Pologne ; mais n’est-on pas heureux dans un pays qui est à peine sorti de la barbarie, de trouver presque de mille en mille, à l’entrée, au milieu & à l’issue des forêts, dans les compagnes désertes, & dans les provinces les moins peuplées, des bâtimens quelconques d’hospitalité, ou à peu de frais vous pouvez, vous, vos gens, votre compagnie, vos voitures, & vos chevaux, vous mettre à couvert des injures de l’air, vous sécher, vous chauffer, vous délasser, vous reposer, & manger sans crainte de vol, de pillage & d’assassinat, les provisions que vous avez faites, ou qu’on vous procure bientôt dans le lieu même à un prix très-modique ? (D. J.)