L’Encyclopédie/1re édition/ISIS

Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 913-915).
ISITÉRIES  ►

ISIS, s. f. (Mythol. & Litt.) nom propre d’une divinité des Egyptiens, & dont le culte a été adopté par presque tous les peuples de l’antiquité payenne. Il en est peu dont il nous reste autant de monumens, & sur laquelle les savans de tous les âges ayent plus exercé leur imagination. Plutarque a fait un livre d’Isis & d’Osiris ; mais on ne peut que s’étonner que la fureur des étymologies ne se soit pas étendue sur le nom d’une divinité célebre ; ces recherches souvent plus curieuses que d’autres sur lesquelles quelques savans se sont exercés, n’auroient cependant pas laissé de répandre un certain jour sur la nature de cette divinité, & par-là même sur le culte fastueux & presque universel qui lui étoit rendu.

Une ancienne racine arabe iscia, signifie exister invariablement, avoir une existence propre, fixe, & durable : de-là οὐσία des Grecs, essentia, ἐξουσία potestas, facultas ; & chez les Latins, ces anciens mots du siecle d’Ennius, incorporés par nos Grammairiens modernes dans le verbe auxiliaire sum, es, est, estis, esse ; on est bien convaincu aujourd’hui que les langues phéniciennes & égyptiennes étoient des dialectes de l’ancienne langue de l’Isiemen, d’où l’on peut conclure sans trop hasarder, que le mot Isis est un dérivé d’iscia, & marquoit dans son origine l’essence propre des choses, la nature, ce qui pour le dire en passant, justifieroit cet ancien culte dans son origine, & le rapprocheroit assez des idées des plus sages philosophes.

Je ne ferai qu’indiquer ici d’autres étymologies propres à répandre du jour sur cette matiere. Iza racine syriaque signifie se taire avec soin, garder un silence religieux, & l’on sait jusqu’à quel point il devoit s’observer dans les mysteres d’Isis ; isciaz, chaldaïque, le fondement, une base solide ; isch, en hébreu, un homme par excellence ; son féminin, ischa, une femme, & chez les Arabes & Phéniciens ischitz, Isis ; enfin celle qui seroit peut-être la plus vraisemblable, l’ancien mot esch, isch, le feu, le soleil, qui a dû être le premier objet de l’admiration religieuse des humains, & par-là même de leur culte.

Les Egyptiens ont toujours passé pour avoir poussé l’idolatrie beaucoup plus loin qu’aucun autre peuple, & avoir élevé des autels aux plantes & aux animaux qui en méritent le moins ; cependant leur mythologie paroît assez simple & naturelle dans son origine : ils admettoient deux principes, l’un bon, l’autre mauvais, du principe du bien venoit la génération ; de celui du mal, procédoit la corruption de toutes choses ; le bon principe excelloit par-dessus le mauvais, il étoit plus puissant que lui, mais non pas jusqu’à le détruire, & empêcher ses opérations. Ils reconnoissoient trois choses dans le bon principe, dont l’une avoit la qualité & faisoit l’office de pere, l’autre de mere, & la troisieme de fils ; le pere étoit Osiris, la mere Isis, & le fils Orus ; le mauvais principe s’appelloit Typhhon. Plus une doctrine s’éloigne de son principe, plus elle dégénere, chacun veut y mettre du sien ; des idées respectables dans leur origine deviennent enfin monstrueuses ; la multitude ne voit que l’erreur, & la condamne sans remonter à une source d’autant plus excusable, qu’elle sembloit plus naturelle.

Le culte d’Isis étoit plus célebre que celui d’Osiris ; on la trouve bien plus souvent sur les marbres ; elle étoit regardée comme la mere & la nature des choses, comme le prouve l’inscription de Capoue :

Te, tibi,
Una quæ est una,
Dea Isis,
Arrius Babinus.

V. C.

Chacun connoît la belle inscription que Plutarque rapporte, & qu’il dit avoir été sur le pavé du temple de Saïs : « je suis tout ce qui a été, ce qui est, & qui sera, & nul d’entre les mortels n’a encore levé mon voile ». Appulée au liv. II. des méthamorph. introduit Isis parlant d’elle-même & de ses attributs, dans des termes qui ne sont pas moins sublimes que ceux que Salomon employe pour faire les éloges de la souveraine sagesse.

On ne convient pas de l’origine d’Isis ; il est impossible de démêler aucune apparence de vérité dans des sujets où le principal mérite étoit de la voiler sous une multitude de fables & de rêveries poëtiques. C’est à la faveur de toutes ces idées si peu liées entr’elles, & souvent incompatibles, qu’on a cru trouver l’Isis des Egyptiens dans presque toutes les déesses du paganisme ; mais il paroît par le culte qu’on lui rendoit, & les divers symboles dont on ornoit ses statues, que les Egyptiens regardoient leur Isis sur le même pié que les Grecs leur Cerès. Isis fut particulierement honorée en Grece, comme il est aisé de le voir par le grand nombre de monumens qu’on lui érigeoit dans ce pays, & par les figures d’Isis qu’on voit sur les médailles grecques. Le culte d’Isis & des autres dieux égyptiens, eut d’abord beaucoup de peine à s’établir à Rome, quoique la tolérance fût extrême pour les opinions & les cultes étrangers que chacun pouvoit librement adopter & suivre dans le particulier. Le culte d’Isis ne fut incorporé qu’assez tard dans la religion des Romains par arrêt du sénat ; il paroît même qu’il fut rejetté plusieurs fois, sur-tout par la fermeté des consuls Pison & Gabinius qui au rapport de Tertulien s’opposerent fortement à la célébration des mysteres d’Isis. Le senat renouvella souvent les mêmes défenses ; mais l’empereur Commode (Lampridius) eut tant de passion pour ces mysteres, que pour les honorer davantage, il se fit raser, & porta lui-même le simulacre d’Anubis.

On voit par les médailles de l’empereur Julien, & quelques autres où elle paroît portant un navire sur sa main, que, comme le dit Apulée, elle présidoit à la mer, comme si elle eût été la premiere qui eût trouvé l’art de naviger, ou du moins de se servir de voile à cet effet.

Son culte a passé de l’Egypte dans les Gaules ; mais ce seroit peut-être trop donner aux conjectures, que de vouloir dériver le mot de Paris, de παρά Ἶσις, à cause que cette ville n’étoit pas éloignée du fameux temple de la déesse Isis, & d’établir que les Parisiens ont pris un navire pour armes de leur ville, parce que cette déesse y étoit venue dans un vaisseau ; mais on ne peut raisonnablement douter qu’il n’y eût en effet à Paris ou dans son voisinage, au village d’Issy, un fameux temple dédié à la grande déesse des Egyptiens. Les anciennes chartres des abbayes de sainte Genevieve & de saint Germain en font mention, & disent que Clovis & Childebert leurs fondateurs leur ont assigné les dépouilles d’Isis & de son temple ; & nous aurions une preuve sans réplique de ce fait, sans le zele un peu véhément du bon cardinal Brissonet, qui abbé de Saint-Germain-des-Prés, l’an 1514, fit réduire en poudre le grand idole d’Isis qu’on avoit par curiosité conservé dans un coin de ladite église de saint-Germain. Les Iconoclastes tant anciens que modernes ont détruit de belles choses ; le zele aveugle est presque toûjours destructeur.

Tacite dans son traité de moribus Germanorum, nous apprend que le culte d’Isis avoit pénétré jusques chez les Sueves, peuple distingué parmi les anciens Germains ; il avoue qu’il ne comprend pas comment il avoit passé dans un pays si éloigné ; mais si, comme l’établit solidement Dom Pezron, les Sueves étoient sortis d’Asie, il ne seroit pas étonnant qu’ils eussent apporté avec eux un culte qui de l’Egypte avoit passé dans presque tous les pays qui avoient quelque communication avec la Méditéranée ; il seroit aussi très-probable que le culte d’Isis eut été porté dans la Germanie par les Gaulois qui y envoyerent des colonies, & qui avoient reçû eux-mêmes le culte de cette déesse, ou par les Phéniciens qui allant jusqu’à Gades ou Cadix, s’étoient souvent arrêtés sur les côtes des Gaules, ou par les Carthaginois qui furent long-tems en commerce avec les Gaulois, & leur porterent, comme on le sait, le culte de Saturne & de quelques autres divinités greques.

Ce qui confirmeroit ce dernier sentiment, c’est qu’au rapport du même Tacite, les Sueves honoroient Isis sous la figure d’un vaisseau : or, comme l’assure cet illustre auteur, il n’étoit pas permis aux anciens Germains de peindre leurs dieux sous une figure humaine, pouvant d’ailleurs les honorer sous d’autres représentations ; ils prirent le vaisseau pour le symbole d’Isis, voulant marquer par là de quelle maniere le culte de cette déesse avoit passé dans l’occident chez les Gaules, & de ceux-ci chez eux par les colonies qu’ils y avoient envoyées.

Dom Bernard de Montfaucon dans son bel ouvrage de l’antiquité expliquée par les figures, a donné une belle collection de marbres anciens, de pierres gravées, de médailles, de tables, &c. où sont diverses figures d’Isis, avec ses attributs, & les hieroglyphes d’Egypte dont elles sont accompagnées ; il les a expliquées la plûpart fort heureusement ; on doit lui tenir compte de sa modestie, dans les cas où ne voyant rien il a cru devoir se taire & épargner à ses lecteurs les scolastiques rêveries dont sont remplis les commentaires & les remarques des critiques du moyen âge ; on ne peut, par exemple, que trouver ridicule l’explication que Leonard Augustini dans son ouvrage le banme antiche figurate, nous donne de la pêche & des feuilles de pêcher qui ornent assez souvent la tête d’Isis ; il les prend pour un titre de la vérité, parce que ce fruit a la figure du cœur, & les feuilles celle de la langue, qui réunies ensemble composent la vérité, ancienne divinité honorée des Egyptiens, dans le tems que ce fruit l’un des plus beaux, ne désigne sans doute que la part qu’Isis (la nature) a aux diverses productions de la terre ; si l’on veut ainsi donner essor à son imagination, les roquailles, les aîles de chauves-souris si fort à la mode aujourd’hui, tous les ouvrages admirables de Germain & des autres excellens maîtres de l’art,

Aux Saumaises futurs préparent des tortures.

Isis, fête du vaisseau d’ (Littér.) fête annuelle que les Egyptiens célébroient au mois de Mars en l’honneur du vaisseau d’Isis, depuis qu’ils eurent quitté l’aversion ridicule qu’ils avoient pour la mer.

Cette fameuse fête fut établie par les Egyptiens, comme un hommage qu’ils rendoient à Isis, ainsi qu’à la reine de la mer, pour l’heureux succès de la navigation, qui recommençoit à l’entrée du printems.

Voulez-vous en savoir quelques détails ? écoutez ce qu’Isis en apprit elle-même à Apulée, lorsqu’elle lui apparut dans toute sa majesté, comme le feint agréablement cet auteur. Mes prêtres, lui dit-elle, doivent m’offrir demain les prémices de la navigation, en me dédiant un navire tout neuf, & qui n’a pas encore servi : c’est aussi présentement le tems favorable, parce que les tempêtes qui regnent pendant l’hyver, ne sont plus à craindre, & que les flots qui sont devenus paisibles, permettent qu’on puisse se mettre en mer.

Apulée nous étale ensuite toute la grandeur de cette solemnité, & la pompe avec laquelle on se rendoit au bord de la mer, pour consacrer à la déesse un navire construit très-artistement, & sur lequel on voyoit de toutes parts des caracteres égyptiens. On purifioit ce bâtiment avec une torche ardente, des œufs & du soufre ; sur la voile qui étoit de couleur blanche, se lisoient en grosses lettres les vœux qu’on renouvelloit tous les ans pour recommencer une heureuse navigation.

Les prêtres & le peuple alloient ensuite porter avec zele dans ce vaisseau, des corbeilles remplies de parfums, & tout ce qui étoit propre aux sacrifices ; & après avoir jetté dans la mer une composition faite avec du lait & autres matieres, on levoit l’ancre pour abandonner en apparence le vaisseau à la merci des vents.

Cette fête passa chez les Romains qui la solemniserent sous les empereurs avec une magnificence singuliere. L’on sait qu’il y avoit un jour marqué dans les fastes pour sa célébration ; Ausone en parle en ces termes :

Adjiciam cultus, peregrinaque sacra,
Natalem herculeum, vel ratis isiacæ.

Le vaisseau d’Isis qu’on fêtoit pompeusement à Rome, s’appelloit navigium Isidis ; après qu’il avoit été lancé à l’eau, on revenoit dans le temple d’Isis, où l’on faisoit des vœux pour la prospérité de l’empereur, de l’empire, & du peuple romain, ainsi que pour la conservation des navigateurs pendant le cours de l’année ; le reste du jour se passoit en jeux, en processions, & en réjouissances.

Les Grecs si sensibles au retour du printems qui leur ouvroit la navigation, ne pouvoient pas manquer de mettre au nombre de leurs fêtes celle du vaisseau d’Isis, eux qui avoient consacré tant d’autels à cette divinité. Les Corinthiens étoient en particulier des adorateurs si dévoués à cette déesse, qu’au rapport de Pausanias, ils lui dédierent dans leur ville jusqu’à quatre temples, à l’un desquels ils donnerent le nom d’Isis pélasgienne, & à un autre le titre d’Isis égyptienne, pour faire connoître qu’ils ne la révéroient pas seulement comme la premiere divinité de l’Egypte, mais aussi comme la patrone de la navigation, & la reine de la mer. Voyez Isis.

Plusieurs autres peuples de la Grece célébrerent à l’exemple de Corinthe la fête du vaisseau d’Isis. Ce vaisseau nommé par les auteurs επσάδρα, est encore plus connu sous le nom de βάρις. Il est même assez vraisemblable que le vaisseau sacré de Minerve, qu’on faisoit paroître avec tant d’appareil aux grandes Panathénées, n’étoit qu’une représentation du navire sacré d’Isis. Voyez Navire sacré. (D. J.)