L’Encyclopédie/1re édition/IRLANDE

Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 904-905).
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IRLANDE, (Géogr.) Hibernia, c’est son nom latin le plus commun ; Aristote, Strabon, & d’autres la nomment Jerna ; Pomponius Méla, Juvenal & Selin, Juverna ; les naturels du pays l’appellent Eryn ; son nom Irlande ou Ireland, vient vraissemblablement d’Erynland, qui signifie en Irlandois, une terre occidentale, un pays situé à l’ouest.

L’Irlande est la plus considérable des îles britanniques, après celle de la grande Bretagne, à laquelle elle est aujourd’hui sujette, & au couchant de laquelle elle est située.

Elle est bornée E. par une mer dangereuse, appellée la mer d’Irlande ou plutôt le Canal de Saint-Georges, qui la sépare de l’Angleterre par une distance de 45 milles, depuis Holy-Head jusqu’à Dublin ; mais elle n’est qu’à 15 milles de l’Ecosse.

Sa figure est oblongue, approchante de celle d’un œuf, en en retranchant l’irrégularité des angles ; sa grandeur est à-peu-près moitié de celle de l’Angleterre ; sa longueur est d’environ 285 milles, sa largeur de 160 milles, & son circuit de 14 cent milles.

Les Bretons ont été, suivant les apparences, les premiers habitans de cette île ; car il étoit aisé de s’y rendre de la Bretagne, comme de la terre la plus voisine ; aussi les anciens écrivains l’appellent une île bretonne ; & Tacite en parlant d’elle dans la vie d’Agricola, nous dit que son terroir, le climat, le naturel & l’ajustement de ses habitans différoient peu de ceux de la Grande-Bretagne : Solum cælumque, & ingenia, cultusque hominum, haud multùm à Britanniâ differunt. Ils vivoient d’ailleurs sous le gouvernement de divers petits princes ; des Danois & des Normands se mêlerent depuis avec les naturels du pays en différentes occasions ; mais on n’y connoît aujourd’hui de naturels que les habitans des trois îles britanniques.

Leur langue étoit anciennement la bretonne, ou pour mieux dire, une dialecte de cette langue ; les noms des rivieres, des îles, des montagnes, des bourgs, sont encore presque tous bretons, si nous en croyons un savant moderne.

C’est une chose remarquable, qu’avant l’année 800 de Jesus-Christ, on se servît déjà de monnoies d’argent battues dans le pays, comme le prouve assez bien le chevalier Jacques Warœus dans ses Antiquités d’Irlande ; consultez aussi un livre de Keder, imprimé en 1 08 in-4°. sous le titre de Recherches des médailles frappées en Irlande avant le xij. siecle.

L’air y est doux, tempéré, & en même tems fort humide ; on y voit quelques loups dont l’Angleterre & l’Ecosse sont délivrées depuis bien des siecles, des renards, des liévres, des lapins, & toute sorte de gibier ; le poisson, sur-tout le saumon & le hareng, y sont en abondance : on y voit de bons chevaux, & tant d’abeilles qu’elles font leur essains jusque dans des trous sous terre.

Le sol y est très-fertile & abondant en excellens pâturages ; les bêtes à cornes sont la grande richesse du pays ; ses denrées consistent principalement en gros & menu bétail, en cuirs, en suifs, en beure & fromage, en sel, bois, miel, cire, chanvre, toiles, douves & laines ; on y trouve du plomb, de l’étain & du fer, du marbre supérieur à celui de l’Angleterre, quantité de fontaines, de lacs, de rivieres, de montagnes ; son lac Longh-Neaugh est fameux pour ses vertus pétrifiantes ; mais il faut lire sur toute l’histoire naturelle du pays, un bon ouvrage, intitulé : A natural history of Ireland, Dublin 1727. in-4°. Il vaut beaucoup mieux que le livre de Gérard Boate traduit en François, & imprimé à Paris en 1666, in-12.

Les plus considérables bayes d’Irlande, sont la baye de Gallway qui est fort vaste & sûre, la baye de Dingle, & la baye de Dublin ; ses havres sont en grand nombre & fort commodes ; les meilleurs sont celui de Waterford, celui de Cork, celui de Yonghall, & sur-tout celui de Kingsale, depuis le nouveau fort bâti sous la direction du lord Roger, comte d’Orrery, du tems de Charles II. En un mot, peut-être n’y a-t-il aucun pays où l’on trouve de si bons ports à tous égards ; cette île, écrivoit autrefois Tacite, placée entre la Bretagne & l’Espagne, & très à portée de la Gaule, serviroit utilement d’entrepôt & de centre de commerce, à ces trois riches Puissances.

Les plus importantes des rivieres d’Irlande, est le Shannon ; les autres moindres, sont la Piffe, la Boyne, & la Lée ; Spencer les a toutes célébrées dans son poëme intulée la Reine des Fées, où il s’agit du mariage de la Tamise avec le Medway.

Les montagnes les plus remarquables, sont Knock-Patrick dans le comté de Limerick à l’O. celle de Sliew-Bloemy, d’Evagh, de Mourne, de Sliew-Gallen, de Cirtew, & de Gualty.

Tout le pays est divisé en quatre provinces, la Province d’Ulster, ou l’Ultonie, la province de Connaught ou la Connacie, la province de Leinster ou Lagénie, & la province de Munster ou la Mommonie.

Un viceroi qu’on appelle aujourd’hui lord-lieutenant, dont l’autorité est d’une grande étendue, gouverne l’Irlande ; c’est toujours un des premiers seigneurs de la Grande-Bretagne ; il y a pour le civil les mêmes cours de justice qu’en Angleterre, chancellerie, banc du roi, cout des plaidoyers communs, & celle de l’échiquier. Le lord-lieutenant ou son député, convoque le parlement, & le dissout suivant le bon plaisir du Roi. Le gouvernement ecclésiastique est sous quatre archevêques ; Armagh primat, Dublin, Cashel & Tuam, qui ont pour suffragans dix-neuf évêques.

L’Irlande fut réunie à la couronne d’Angleterre sous Henri II. en 1172 ; mais Henri VIII. fut déclaré le premier roi d’Irlande dans la trente-troisieme année de son regne, & pour lors cette île fut traitée de royaume ; car avant lui, les rois d’Angleterre se disoient seulement seigneurs d’Irlande.

Je ne parcourerai pas ses diverses révolutions, c’est assez de remarquer qu’elles paroissent assoupies pour long-tems ; Dublin la capitale, ne respire que l’attache & l’affection au gouvernement établi.

La long. de l’Irlande, suivant M. de Lisle, est depuis 7d. 10′. jusqu’à 12d. 5′. Sa lat. mérid. est par les 51d. 20′. Sa lat. sept. est par les 55d. 20′.

J’ai indiqué ci-dessus un bon livre sur l’histoire naturelle d’Irlande, ceux qui voudront connoître ses antiquités sacrées & prophanes, les liront dans Ussérius, un des plus savans hommes du xvij. siecle, & qui a le plus fait d’honneur à sa patrie ; ses écrits, en particulier ses annales, ont immortalisé son nom. Il mourut comblé d’honneur & de gloire, le 21 Mars 1655, à 75 ans ; Cromwell le fit enterrer solemnellement dans l’abbaye de Westmunster.

Warœus a publié un ouvrage qui n’est pas exempt de préjugés sur les écrivains qui ont illustré l’Irlande depuis le iv. siecle jusqu’au xvij. Il paroît assez vrai que les Saxons d’Angleterre, ont reçu des Irlandois leurs caracteres ou lettres, & conséquemment les sources de cette érudition profonde qui caractérise la nation Britannique, tandis que leurs maîtres vinrent à tomber dans une extrême décadence ; je juge cette décadence, parce que la vie de Gothescalque, moine de l’abbaye d’Orbais, faite par Ussérius en 1631, est le premier livre latin qu’on ait imprimé en Irlande ; mais aussi depuis lors le goût des Arts & des Sciences a repris faveur dans cette île, & y a jetté de belles & profondes racines. (D. J.)