L’Encyclopédie/1re édition/INNOCENCE

Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 754).
◄  INNERNESS
INNOCENT  ►

* INNOCENCE, s. f. (Gram.) il n’y a que les ames pures qui puissent bien entendre la valeur de ce mot. Si l’homme méchant concevoit une fois les charmes qu’il exprime, dans le moment il deviendroit homme juste. L’innocence est l’assemblage de toutes les vertus, l’exclusion de tous les vices. Qui est-ce qui parvenu à l’âge de quarante ans avec l’innocence qu’il apporta en naissant, n’aimeroit pas mieux mourir, que de l’altérer par la faute la plus légere ? Malheureux que nous sommes, il ne nous reste pas assez d’innocence pour en sentir le prix ! Méchans, rassemblez-vous, conjurez tous contre elle, & il est une douceur secrette que vous ne lui ravirez jamais. Vous en arracherez des larmes, mais vous ne ferez point entrer le desespoir dans son cœur. Vous la noircirez par des calomnies ; vous la bannirez de la société des hommes ; mais elle s’en ira avec le témoignage qu’elle se rendra à elle-même, & c’est vous qu’elle plaindra dans la solitude où vous l’aurez contrainte de se cacher. Le crime résiste à l’aspect du juge ; il brave la terreur des tourmens ; le charme de l’innocence le trouble, le desarme, & le confond ; c’est le moment de sa confrontation avec elle qu’il redoute ; il ne peut supporter son regard ; il ne peut entendre sa voix ; plusieurs fois il s’est perdu lui-même pour la sauver. O innocence ! qu’êtes-vous devenue ? Qu’on m’enseigne l’endroit de la terre que vous habitez, afin que j’aille vous y chercher : sitis arida postulat undam, & vocat unda sitim. Je n’attendrai point au dernier moment pour vous regretter.