L’Encyclopédie/1re édition/IMMENSITÉ

Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 574-575).
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IMMENSITÉ, s. f. (Métaphysiq.) ce terme est relatif à l’étendue, comme celui d’éternité à la durée. L’éternité est un tems sans limites ; l’immensité est un espace sans bornes.

On entend par l’immensité de Dieu, la présence de Dieu par-tout. Or on connoît que Dieu peut être présent par-tout de trois manieres : 1°. par la connoissance, parce que rien ne lui est caché ; 2°. par son opération ou par sa puissance, parce qu’il produit & conserve tout en tout lieu ; 3°. par son essence ou par sa substance, entant qu’il pénetre tout, & qu’il se trouve par-tout substantiellement.

Parmi les anciens hérétiques qui ont erré sur l’immensité de Dieu, les Valentiniens, les Gnostiques, les Manichéens admettant deux principes de toutes choses, l’un bon, & l’autre mauvais, plaçoient le premier dans la région de la lumiere, & le second dans celle des ténebres, par conséquent ils nioient l’immensité de Dieu quant à sa substance.

Wortius, les Calvinistes & les Sociniens ont renfermé Dieu dans le ciel, & ne veulent point qu’il soit présent ailleurs, autrement que par sa puissance.

Descartes & ses sectateurs ont nié, suivant leurs principes, que Dieu fût présent quelque part par sa substance ; ainsi, selon eux, Dieu n’est immense que par sa connoissance & par sa puissance. Il faut mettre ici une grande différence entre le sentiment de ces derniers & celui des Sociniens ; car du sentiment des Sociniens, il s’ensuit que Dieu est renfermé dans un lieu ; que par conséquent il est sujet au changement, ce qui est une grande imperfection ; au lieu que dans le sentiment de Descartes, c’est au contraire une grande perfection à Dieu de ne pouvoir correspondre à un lieu, parce qu’autrement il seroit étendu & corporel, ce qui est absurde.

Ce qui a trompé les Manichéens & les Sociniens, c’est qu’ils n’ont pas pris garde qu’on ne peut pas accorder que Dieu soit présent quelque part par sa substance, qu’on ne soit en même tems forcé d’accorder qu’il est par-tout : car si Dieu étoit seulement quelque part, ou il y seroit librement & par sa volonté, ou nécessairement & par sa nature. On ne peut point dire qu’il y soit librement, parce qu’il pourroit passer de ce lieu dans un autre, ce qui détruit entiérement l’infinité, la simplicité & l’immutabilité de Dieu. On ne peut pas dire non plus que Dieu soit borné quelque part par sa nature, parce qu’il faudroit dire en même tems que par sa nature il a une maniere d’exister finie, ce qui est ridicule ; & d’ailleurs on n’apperçoit ni dans la nature de Dieu, ni dans celle du lieu, rien par où Dieu doive être plûtôt là qu’ici.

Les Scotistes admettent, 1°. deux sortes d’étendue. L’une qui est substance, l’autre qui est modification. La premiere a des parties substancielles, posées les unes hors des autres ; par conséquent elle est divisible, mobile & corporelle : la seconde est propre aux esprits. Elle a aussi des parties hors les unes des autres, mais distinguées seulement d’une maniere formelle, par conséquent cette étendue est indivisible. 2°. Ils soutiennent que Dieu a une étendue éternelle, nécessaire, infinie, par conséquent immobile ; de-là ils concluent que l’immensité de Dieu n’est point dans un lieu, mais qu’elle est plûtôt le lieu universel, & que Dieu est tout entier sous chaque partie de l’immensité.

Les Thomistes rejettent cette étendue formelle pour en substituer une virtuelle ; mais ils admettent avec les Scotistes, que Dieu est infiniment répandu hors de lui-même, & qu’il existe tout entier sous chaque partie de l’étendue créée. Je n’entrerai point dans le détail des raisons dont les deux partis appuient leur opinion ; tout le monde tombe d’accord qu’il y a plus de subtilité que de vraie Logique. Voy. Dieu & l’Espace.