L’Encyclopédie/1re édition/HOUILLE

Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 323-326).
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HOUILLE, (Hist. nat.) nom que l’on donne en Flandre, en Hainault & dans le pays de Liége, au charbon de terre. Voyez Charbon-fossile.

On connoissoit depuis long-tems les cendres de charbon de terre qui se tiroient de Mons : l’usage en a presque cessé, depuis qu’en 1731 il s’est formé à Valenciennes une compagnie pour tirer de Hollande les cendres provenant d’une terre grasse qui fait le chauffage des Hollandois sous le nom de tourbes ; ce sont ces cendres que l’on appelle cendres de mer : on en a fait depuis un commerce très-considérable dans l’Artois, le Hainault, le Cambresis, & dans la partie de la haute Picardie, qui est de notre généralité, où le prix & l’éloignement de ces cendres ont empêché que l’usage n’en devînt plus commun & plus étendu.

A l’imitation de ces cendres de tourbes d’Hollande, on en a fait à Amiens des tourbes de ce pays, dont le débit a eu aussi beaucoup de succès, quoiqu’elles ne paroissent pas avoir autant de qualité que les cendres de Hollande.

Des hasards heureux ont enfin découvert une matiere encore plus utile. Ce sont des mines de terre de houille, qui se sont trouvées à 20, 30, 40 piés de profondeur ; à Beaurains, près de Noyon, en 1753, après avoir cherché long-tems & inutilement du charbon de terre ; en 1756, près de Laon, sur les terroirs de Suzy, Faucoucourt & Cessieres, qui se touchent & ne sont séparés que par un ruisseau ; ce fut en déblayant des terres propres aux verreries ; enfin, au détroit d’Anois & de Rumigny, près de Ribemont, en cherchant de même des mines de charbon de terre.

Différens cultivateurs & laboureurs ayant pensé que ces terres noirâtres & brûlantes contenoient des sels propres à la végétation, comme les cendres de mer, les mirent en cendres, ils en répandirent sur leurs terres ensemencées & dans leurs prairies. Le succès en fut si heureux, qu’il fut bientôt imité ; ce qui engagea plusieurs personnes à demander la permission & le privilege de l’exploitation de ces mines, laquelle, comme de toutes les autres mines, ne peut être faite que par la permission du Roi, suivant l’Arrêt du Conseil de 1744.

Ces permissions d’exploitation ont été accordées après l’examen des effets & de la qualité de la houille de chacune de ces mines.

Il résulte de cet examen, que l’on s’est servi en Angleterre & en Flandres des cendres de charbon de terre pour augmenter la production des prairies ; que les cendres de tourbes, nommées en Hollande cendres de mer, ont été employées depuis pour les prairies & les terres semées en grains de fourrages ; que l’on s’est servi de même des cendres de tourbes d’Amiens & d’autres pays, & que les terres & cendres de houille découvertes dans cette généralité aux trois endroits désignés ci-dessus, paroissent devoir y être préférées, tant par la proximité que par leur effet, parce qu’elles ont plus de qualité bitumineuse, qui est le plus sûr engrais des terres.

L’emploi de ces différentes cendres prouve en général que tout engrais salin & bitumineux est préférable à une terre aride, telle que la marne ou le cran, dont l’effet n’est que de dilater les terres tenaces en se dilatant elle-même dans les temps humides. L’usage de la marne, qui est fort chere, a été même reconnu pour être dangereux. Les terres houilles sont sulphureuses & bitumineuses ; en les décomposant on y trouveroit du vitriol, & peut-être de l’alun, mais point de nitre : la partie bitumineuse est l’engrais véritable.

Cette terre houille, si on la laisse en tas pendant quelques jours en sortant de la mine, s’échauffe, s’allume d’elle-même, brûle ce qu’elle touche, & répand au loin une odeur de soufre.

Pour la réduire en cendres on la met dans des fossés, où elle fermente & s’allume sans flamme apparente. S’il y avoit du nitre, il produiroit de la flamme.

On peut employer cette terre houille, ou comme elle sort de la mine, sans avoir été brûlée ni calcinée, ou lorsqu’elle a été brûlée & réduite en cendres.

Quand on l’emploie sans avoir été brûlée, il faut l’écraser en poudre grossiere, & n’en couvrir le champ que de l’épaisseur d’un pouce ; car étant ainsi crue, & ayant encore l’acide sulphureux ou vitriolique, qui ne se consume que par le feu, elle pourroit, en s’échauffant, s’allumer, si on en répandoit de l’épaisseur de cinq à six pouces ; ce qui arrêteroit la production des grains au lieu de lui être favorable.

L’effet de ces terres non brûlées est que les pluies du printems développant peu à peu l’acide sulphureux, il trouve pour base la terre même qu’on veut amender ; il forme avec le bitume un nouveau composé, qui est l’engrais qu’on desire.

La seconde façon de s’en servir, est de l’employer en cendres, après que cette terre a été brûlée & calcinée ; on peut pour lors en mettre une plus grande quantité, parce que le soufre étant évaporé par le feu, & n’y ayant plus que le bitume (véritable engrais), on n’a plus à craindre une fermentation tendante à l’inflammation, capable de dessécher les grains, au lieu d’être favorable à leur développement.

Une des manieres des plus commodes & des plus sûres pour répandre ces cendres également, est de faire marcher parallelement deux ou trois hommes tenant en leurs mains des tamis peu serrés, & les frappant l’un contre l’autre.

Tout le monde peut éprouver si les terres noires, que l’on croit être des terres de houille, en sont véritablement. Prenez-en un morceau, gros comme un melon ; placez-le, sans le rompre, sur la braise de l’atre de la cheminée ; si c’est de la terre houille, il s’y allumera comme l’amadou sans flamme, répandant une odeur de soufre suffoquante : s’il s’éleve de la flamme, la terre sera trop sulphureuse, & il ne faudra jamais s’en servir que brûlée & réduite en cendres : retirez ce morceau à demi embrasé, & mettez-le sur un plat de terre à l’air, l’odeur suffoquante disparoîtra, & l’on sentira une odeur douce de bitume terrestre : cette terre continuera de brûler lentement, puis s’éteindra, laissant une masse très-friable de couleurs variées, dont la dominante est le noir. Si on la brûloit davantage, elle ne vaudroit plus rien, parce que le bitume, véritable engrais, en seroit consumé.

M. Hellot, auteur du rapport qui précede, a fait une expérience qu’il rapporte en ces termes. « J’ai mis, dit-il, un demi pouce de terre houille crue, au mois de Juin dernier, sur trois petites caisses d’orangers, dont les feuilles étoient tombées, & qui étoient prêts à périr ; j’ai arrosé tous les jours d’un verre d’eau ; au quinze Septembre les trois petits oranegrs avoient depuis 22 jusqu’à 35 feuilles, & de nouvelles branches ».

On ne peut fixer généralement la quantité que l’on doit employer, soit des terres houilles non brûlées, soit de celles qui sont réduites en cendres ; cela dépend des différens genres de productions & des différentes especes de terres sur lesquelles on les emploie : l’expérience seule instruira bientôt les cultivateurs. Et nous ne pouvons mieux actuellement les exciter à éprouver cette nouvelle espece d’engrais, que par l’exposé du résultat des expériences faites, tant en grand qu’en petit, par un très-grand nombre de cultivateurs & de laboureurs de la Province sur les différentes productions de la terre.

Pour les blés. Différentes personnes ont éprouvé plusieurs procédés.

1°. On met la semence & les cendres, par égale mesure, dans un cuvier avec de l’eau, un jour ou deux avant d’ensemencer la terre ; par cette méthode tous les grains germent, les épis se trouvent plus longs qu’à l’ordinaire, exempts de brousure, le grain plus pesant, la terre purgée de mauvaises herbes, la récolte plus abondante, & il faut en ce cas un cinquieme moins de semence.

2°. On jette la semence & les cendres ensemble sans les mouiller.

3°. On jette les cendres après que les terres sont préparées, & on seme ensuite. Ces deux façons s’appellent enfouir les cendres avec la semence ; elles produisent les mêmes effets que la premiere : cependant ces deux dernieres méthodes ne sont pas aussi généralement usitées que la premiere.

4°. Des cultivateurs de Trucy ont semé au mois d’Avril des cendres de houille sur des blés où l’eau avoit séjourné pendant l’hiver, & où il ne paroissoit point, pour ainsi dire, de plants ; ce blé est devenu parfaitement beau.

Dravieres. On avoit semé dans un verger au mois d’Octobre 1756, trente verges de dravieres ; le 10 Avril suivant on fit venir des cendres de houille de Suzy ; on en fit saupoudrer la moitié des dravieres, & on y employa à peu près la même quantité dont on use de cendres de mer. Vers les premiers jours de Juin, on apperçut les progrès qu’avoit fait la partie saupoudrée, qui dès-lors se trouva plus verte & plus élevée que celle qui ne l’avoit pas été : à la récolte, la même partie saupoudrée de houille se trouva porter entre 14 & 15 pouces plus haut que l’autre.

Plusieurs laboureurs, à qui on fit voir le succès de son épreuve, en userent de même sur les lentilles, dravieres & bisailles qu’ils avoient semées en Mars ; ils s’en trouverent très-bien la même année, tant pour ces bisailles, que pour les dravieres d’hiver & de Mars.

Prairies. Le 15 Février de la même année on fit jetter de la houille, nouvellement tirée de la mine de Suzy, sur une portion de pré où la mazée avoit séjourné, & où le jonc dominoit ; la bonne herbe prit si fort le dessus sur les joncs, & devint si épaisse, qu’ils furent presque tous étouffés ; il n’en reparoissoit pas même la sixieme partie en 1759, qu’on fit faire la même chose sur tout le pré, dont on tira le double d’herbe de ce qu’on en récoltoit ordinairement.

Trefles, luzernes & sainfoins. L’usage des cendres de houille est d’un effet surprenant pour toutes ces productions, si nécessaires sur-tout dans les pays qui manquent de prairies : ce sont ces fourrages qui forment si facilement ces prairies artificielles, aussi propres que les naturelles pour l’engrais des bestiaux. Le trefle a même cet avantage de pouvoir être semé lors des pluies du mois d’Avril dans les champs déja ensemencés en blé, & sur ceux semés en avoine & en orge, lorsque les grains sont assez levés pour que toute la terre paroisse verte. La production du trefle ne nuit point à celle des autres grains, & couvre, après la récolte faite, les champs qui resteroient en jachere, d’une prairie abondante, dont on fait plusieurs coupes pendant deux ans, en y répandant chaque année des cendres de houille lors des premieres pluies du printems. Ces cendres, & les racines encore tendres de ces trefles, procurent aux terres, lorsqu’on les remet en blé, des sels qui leur tiennent lieu de tout engrais, même de fumier, dont on a par conséquent une plus grande abondance pour les terres à blé qui n’ont point été mises en prairies. La qualité des terres doit régler les connoisseurs sur la quantité de cendres qu’on doit y jetter ; on observe seulement qu’on doit les jetter au commencement de Février ou de Mars, selon que les saisons sont plus ou moins avancées, en saisissant, s’il est possible, un moment de pluie.

Avoines. Des laboureurs des environs de Noyon, enfouissent les avoines & les cendres avec beaucoup de succès.

Pois gris, lentillon, vesce & bisailles. On met les semences & les cendres, par égale mesure, dans un cuvier avec de l’eau, où on enfouit les semences & les cendres comme on le pratique pour les blés.

On peut aussi semer les cendres sur ces productions lorsqu’elles ont germé & poussé leur verd. Dans ce cas, la quantité des cendres qu’on emploie dépend de la nature des terres ; mais on ne doit en mettre que la moitié de ce que l’on mettroit si les mêmes terres étoient empouillées en trefles, luzernes ou sainfoins.

Vignes. Un particulier avoit à Cessieres une portion de vignes, qui, plantées sur un terrein refroidi par les mazées, ne rendoient pas les frais de culture. Au commencement de Février 1758, il fit mettre sur toute l’étendue de ce terrein un pouce d’épaisseur de terre houille, telle qu’elle sortoit de la mine, c’est-à-dire, qui n’avoit pas encore été enflammée & réduite en cendres. Cette portion de vignes, qui étoit absolument mauvaise avant son épreuve, se trouva à la récolte avoir de très-beau bois, & les raisins en étoient aussi gros que dans les meilleures vignes du terroir ; le vin en fut fait séparément ; il fut beaucoup plus rouge & plus ferme que les autres vins, quoiqu’on ne lui eût pas donné plus de cuve ; on l’a conservé jusqu’au mois d’Octobre 1760 : ce vin s’est trouvé très-bon. On a encore observé que dans cette année d’épreuve, il n’a point poussé d’herbes dans cette vigne.

Les cendres de houille sont également bonnes pour les basses vignes ; on y en répand 300 livres sur 80 verges de terrein.

Légumes. On a éprouvé que lorsque les légumes sont mangés de chenilles, si on les poudre de houille dès le grand matin à la rosée, & qu’on répete la même chose le lendemain, on trouve toutes les chenilles mortes le troisieme jour.

Plusieurs autres personnes sement des terres & cendres de houille sur toutes especes de légumes pour en avancer & en augmenter la production.

Couches. L’utilité dont il seroit que la qualité des terres & cendres de houille écartât ou fît périr les gros vers blancs nommés mulots, qui font mourir les arbres de tout âge, nous porte à donner encore ici une expérience faite des terres de houille dans une couche, dont on ne cherchoit qu’à rendre les productions plus hâtives.

Procédé de l’expérience. L’auteur de l’expérience fit faire dans son jardin deux couches différentes à la même exposition.

Il en fit d’abord former l’enceinte à un pié & quelques pouces de profondeur dans la terre.

La premiere couche fut ainsi composée. On mit dans le fond de la couche, cinq pouces de long fumier de cheval ; on répandit sur toute son étendue la quantité d’une piece d’eau ; on entassa ce premier lit le mieux qu’il fut possible ; l’on mit ensuite sur ce premier lit trois pouces de terre de houille de Cessieres telle qu’elle sort de la mine ; on mit dessus pour troisieme lit quatre pouces de fumier un peu plus consommé que le premier ; on y jetta moitié d’eau de ce que l’on avoit mis sur le premier lit, après l’avoir bien foulé ; on mit ensuite pour quatrieme lit, la même quantité de trois pouces de terre de houille, & pour cinquieme lit trois pouces de fumier bien consommé ; enfin, par-dessus, quatre pouces de terreau de vieille couche.

La seconde couche fut formée de même, avec les mêmes précautions, à l’exception de la terre de houille.

On sema en même tems sur les deux couches les mêmes graines potageres.

Dans la couche de houille une partie des graines étoit levée le neuvieme jour ; le douzieme tout l’étoit & également verd : dans l’autre couche les graines ne commencerent à lever que le quinzieme jour.

Toute la suite de la production de la couche de houille a toûjours eu trois semaines d’avance sur celle où il n’y en avoit point ; mais on a remarqué qu’il y falloit des arrosemens plus fréquens.

Quand toutes les productions furent finies, on défit les deux couches ; celle où il n’y avoit point de houille, fut trouvée remplie de gros vers nommés mulots ; il ne se trouva au contraire aucun mulot ni autre ver dans la couche où il y avoit de la houille.

Ce fait de la propriété de la terre de houille pour faire périr les gros vers, est si nécessaire à constater, que nous croyons devoir inviter tous ceux qui employeront de ces terres & cendres de houille, de quelque façon que ce soit, à vérifier avec l’attention la plus sûre, s’il se trouvera, ou non, après la récolte des différentes productions, de ces gros vers, ou même d’autres insectes, dans les terres où il s’en trouve ordinairement, & de nous en informer.

Les habitans de la Thiérache qui se servent de ces cendres depuis quelques années, pourroient se ressouvenir si les souris qui ont desolé une partie des terres de ce pays en automne 1759, étoient également dans celles où on avoit employé des cendres cette année ou les précédentes.

Ceux qui feront de pareilles couches avec de la houille, lorsqu’après les productions ils éfondreront leurs couches pour en faire de nouvelles, doivent avoir grande attention de séparer les lits de houille d’avec ceux de fumier, ce fumier de la vieille couche devant servir de terreau pour une nouvelle couche, & le terreau sur lequel on seme ne devant jamais être mêlé de houille : ces lits de houille ainsi séparés des lits de fumier peuvent être répandus dans d’autres endroits pour les fertiliser.

Arbres fruitiers & arbustes. M. Gouges, procureur du Roi en l’élection de Laon, avoit au commencement de Juin 1758, des pêchers dont les feuilles étoient gâtées par les moucherons & les fourmis ; ensorte qu’il avoit lieu de craindre que les fruits dont ces arbres étoient chargés ne fussent attaqués par les mêmes insectes. Il fit arroser ces arbres sur toutes les feuilles dès le grand matin, & les fit saupoudrer de houille calcinée & pulvérisée ; il fit bécher ces arbres au pié, & y mêla avec la terre remuée de la houille calcinée sans être pulvérisée.

Il avoit encore des poiriers dont les feuilles jaunes annonçoient qu’ils étoient malades ; il les fit aussi bécher au pié, & y mêla pareillement avec la terre remuée de la houille calcinée sans être pulvérisée.

Ces différens arbres furent suffisamment arrosés ; ils donnerent de très-beau fruit, & eurent une seve si abondante, qu’à la fin de Juillet on fut obligé d’en retrancher beaucoup de bois qui avoit trop poussé. Depuis, les mêmes arbres ont toûjours été très beaux.

Le même M. Gouges a pareillement mis de la houille calcinée au pié de ses lauriers, grenadiers & autres arbustes, qui ont donné des fleurs en abondance.

Nous avons rapporté ci-dessus l’expérience faite par M. Hellot sur ses orangers.

Dans le grand nombre d’expériences dont on a connoissance, on a crû devoir citer plus particulierement celles de M. Gouges, non-seulement parce que c’est lui qui a fourni les mémoires les plus détaillés de ses expériences, mais parce qu’on lui a l’obligation des premieres qui ont été faites des terres houille de Suzy, Faucoucourt & Cessieres La maison de campagne qu’il a à Cessieres lui ayant donné occasion d’examiner les travaux qui se faisoient pour extraire des terres propres à la verrerie de Folembray & à la manufacture des glaces de Saint-Gobin, il apperçut que les terres qui étoient sorties de ces excavations & restées sur le champ comme inutiles à ces manufactures, étoient chaudes ; il sentit une chaleur qui augmentoit insensiblement ; il reconnut la fermentation qui se faisoit dans ces masses de terre ; il apperçut dans différens endroits plusieurs petits soupiraux, d’où il vit sortir une fumée presque imperceptible ; il les élargit avec un bâton, & découvrit un feu semblable à celui de la forge d’un maréchal ; il trouva toutes les parties de cet intérieur de différentes couleurs, & plusieurs lui parurent couverts de soufre ; l’odeur en étoit très forte ; il l’avoit déja sentie aux approches de cet endroit : il y retourna six semaines après, le dix de Novembre, avec plusieurs personnes ; il fut fort surpris de trouver à douze ou quinze piés d’un de ces petits soupiraux, un pommier couvert de feuilles & de fleurs aussi vives qu’au printems ; il reconnut les bancs de terre houille : & comme il avoit entendu dire que ceux de Beaurains avoient au-moins les mêmes qualités que les cendres de mer, il se détermina à faire les expériences que nous venons de rapporter : ce qui a été tellement connu, que l’on est venu avec empressement chercher de ces terres. Il paroît que depuis le mois d’Octobre dernier, on en a enlevé mille à douze cens voitures à quatre & à six chevaux. Le prix n’en est pas encore réglé.

A Beaurains, où ces mines s’exploitent en regle & avec art, c’est-à-dire, par des puits & des galeries souterraines, d’où après que les terres ont été tirées, on les transporte dans des brûleries, qui sont de simples fossés, où elles se consument d’elles-mêmes & se réduisent en cendres, on vend trois livres le sac de trois cens vingt livres pesant. A Ham où on en a fait un magasin, il se vend trois livres douze sols ; à Rocourt, près de Saint Quentin, il se débite à quatre livres. On vient d’en établir deux autres magasins à Pont-Sainte-Maxence, sur le pié de trois livres neuf sols le sac, & à Beaumont-sur-Oise, trois livres douze sols.

Au détroit d’Anois, on vend les cendres quinze sols le septier, ce qui revient à-peu-près à trois livres le sac de trois cens vingt livres. On en forme un magasin à Rocourt, près de Saint-Quentin ; & l’on compte en faire établir de ces trois différentes especes à Soissons & dans plusieurs autres villes de la province.

Voici ce que reprochent aux terres & cendres de houille, ceux qui craignent d’en faire usage par l’esprit de routine si contraire à toute perfection.

1°. Que ces houilles tiennent les fourrages trop longtems en verd. Ce reproche prouve que les houilles fournissent beaucoup de seve ; ceux qui veulent retirer des fourrages secs n’ont qu’à semer les houilles un peu plutôt, c’est-à-dire, au plus tard en Février : ceux qui veulent nourrir les chevaux en verd une partie de l’été, peuvent semer plus tard : rien de meilleur pour les chevaux que le sainfoin en verd ; il suffit pour les nourrir sans avoine.

2°. Que les houilles n’étant pas écrasées, les pierres brûlent là où elles restent. Rien de si aisé que de les piler chez soi avec une batte ; les pierres ne sont pas dures ; on y gagne bien la façon ; elles foisonnent beaucoup plus, se répandent mieux, & ne tracent pas tant sur la terre.

3°. Qu’elles donnent un mauvais goût ou mauvaise qualité aux fourrages. C’est un préjugé ; on s’en sert tous les jours pour les légumes, & on ne s’apperçoit d’aucun mauvais goût : un très-grand nombre de laboureurs les emploient depuis plusieurs années sans avoir éprouvé aucun accident.

Il est vrai qu’il faut avoir plusieurs attentions :

1°. Il n’en faut mettre que moitié pour les hyvernages, lentillons, vesces & bisailles de ce que l’on en met pour les trefles, lusernes & sainfoins.

2°. On ne doit donner que l’hiver aux chevaux & à midi seulement de l’hivernage, vesce, bisaille & lentillon ; parce que ces fourrages sont échauffans par eux-mêmes, & qu’ils peuvent l’être encore plus lorsqu’ils ont été saupoudrés de houille.

Enfin, comme ce ne peut être que par une étude suivie & très-attentive de l’usage de ces terres & cendres de houille, que l’on parviendra à connoître toute leur utilité, la quantité qu’il faut en employer, la maniere de s’en servir relativement aux différentes especes de terres & de productions ; on a engagé plusieurs personnes capables & zélées à en faire des expériences exactes en tous genres : & on ne peut trop recommander à tous les cultivateurs de cette province qui s’en sont déja servis, ou qui en employeront dorénavant, de suivre leurs procédés avec les attentions nécessaires pour s’assûrer de leurs effets, & d’en rendre chaque année un compte détaillé & certain.