L’Encyclopédie/1re édition/HARPE

Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 56-58).
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HARPE, s. f. (Hist. anc. & Lutherie.) instrument de Musique. Son origine est fort ancienne ; David en joüoit pour chanter les loüanges du Seigneur, & les sons mélodieux qu’il en tiroit empêchoient Saül d’être tourmenté du démon. La harpe du prophete-roi n’étoit pas celle d’aujourd’hui ; il n’auroit pû danser devant l’arche en joüant de cet instrument. On ignore & quelle étoit la harpe de David, & quel est l’inventeur de la nôtre. Les noms des inventeurs des choses utiles ou agréables sont presque tous ensevelis dans les ténebres des tems, moins parce que les écrits de ceux qui ont voulu conserver ces noms à la postérité sont perdus, que parce que la plûpart de nos inventions sont l’ouvrage, non d’un homme, mais des hommes. En effet, il est assez naturel de penser que ceux qui sont venus après, pressés par les mêmes besoins & excités par les mêmes passions, n’auront pas manqué de perfectionner ce qui n’étoit d’abord qu’imparfaitement ébauché, & qui ne méritoit pas encore auparavant le nom d’invention.

Il y a apparence que la harpe a pris naissance, de même que tous les instrumens de Musique, dans des tems d’abondance & de joie, ou qu’elle est le fruit des recherches de quelque spéculatif amateur de Musique.

Cet instrument (Pl. de Luth.) est composé de trois parties principales ; 1°. d’une caisse A, faite de bois leger & sonore ; 2°. d’un montant B, solide quand la harpe est simple, mais creux quand la harpe est organisée ; 3°. d’une bande C à chevilles pour attacher les cordes qui tiennent par l’autre extrémité, à la table ou partie supérieure de la caisse sonore. Cette bande contient encore des crochets d, qui peuvent avancer & reculer, pour faire les dièses. On étoit obligé, pour faire ces tons sur la harpe, d’appuyer sur un de ces crochets avec la main gauche, jusqu’à ce qu’il touchât la corde ; ce qui la raccourcissoit de la seizieme partie de sa longueur, & faisoit monter le son d’un semi-ton : mais c’étoit-là un inconvénient. Pour le faire sentir, les lecteurs doivent savoir qu’on fait vibrer les cordes de cet instrument, en les pinçant avec les doigts ; la main droite exécute ordinairement le dessus, & la gauche accompagne : ainsi aux endroits où il y a des dièses on étoit obligé de laisser aller le dessus seul, puisque la main qui devoit l’accompagner se portoit aux crochets. On a remédié à cette imperfection, en ajoûtant des pédales à cet instrument ; & on dit alors qu’il est organisé. Nous allons exposer l’art avec lequel ces pédales sont faites ; ensuite nous expliquerons leur méchanisme : afin de ne pas embrouiller la figure, nous ne tracerons qu’une des pédales ; le lecteur suppléera facilement les autres ; il lui suffit de savoir qu’il doit y en avoir autant que de notes dans l’octave, c’est-à-dire sept. EF est un levier dont l’appui G est dans une chappe qui tient au fond MN de la caisse sonore. Ce levier communique à un autre FI. dont l’appui H est aussi dans une chappe qui tient au même fond. A l’extrémité I est attaché un fil-d’archal IO, d’environ une ligne de diametre, qui tient au bout O du bras OP du levier coudé OPQ. Au point Q tient par une petite charniere simple, une mince lame de fer qui s’attache de même au levier composé RST, dont la partie ST, qui est à-peu-près perpendiculaire à la mince lame QR, est la queue d’un des crochets dièses : une pareille lame tient de même au point R, & communique à un levier semblable au précédent ; ainsi de suite. Le point V du dernier levier composé se joint toûjours par une lame de fer à un ressort X roulé en spirale ; & c’est-là l’assemblage de toutes les pieces qui composent une pédale dans cet instrument. Venons maintenant à son jeu, je dis à son jeu, parce qu’on ne sauroit expliquer le méchanisme de l’une, qu’en même tems on n’explique celui des autres.

Si l’on met le pié sur le bras EG du levier EH, que je suppose être la pédale d’ut, le point I descendra, de même que l’extrémité O ; alors les points R Y Z, &c. des leviers composés décriront des arcs en s’approchant de la tête de la harpe ; & les queues ST des crochets sortiront par rapport à la face A de la bande, ou rentreront par rapport à la face W : alors les crochets D sont montés à vis sur leurs queues, de maniere qu’ils toucheront toutes les cordes ut, lesquelles au lieu de vibrer depuis la table jusqu’aux obstacles 2, ne vibreront que depuis la table jusqu’aux obstacles 3, c’est-à-dire qu’elles seront raccourcies de la partie 3, 2, qui est égale à un seizieme de toute la corde : mais la tension restant la même, si une corde se raccourcit, elle doit rendre un nouveau son qui soit au premier réciproquement comme les longueurs des cordes. Or par la supposition, la corde est raccourcie d’un seizieme ; donc le premier son est au second comme 15 est à 16, c’est-à-dire que le dernier est plus haut que l’autre d’un semi-ton majeur ; mais le premier par l’hypothèse est l’ut naturel ; donc le second est l’ut dièse : & c’est ce qu’il falloit expliquer.

En cessant d’appuyer le pié sur la pédale, le ressort spiral, que la pression du pié avoit forcé à se bander, remettra, en se rétablissant, les choses comme elles étoient auparavant. Mais s’il y a des dièses tout le long de la piece, par exemple, si la note ut est par-tout dièse, quand on aura baissé la pédale, pour n’être pas obligé d’avoir toûjours le pié posé dessus, on la poussera à côté. Pour favoriser ce mouvement, le levier EF est brisé en K ; de maniere que sa partie EK peut se mouvoir horisontalement autour du point K, mais seulement d’un côté : étant poussée, comme nous venons de dire, la pédale ne pourra remonter, à-cause qu’elle rencontrera la cheville L, placée exprès pour cela en cet endroit : par ce moyen, tous les ut seront dièses ; & le pié qui sera libre pourra faire les dièses accidentels qui pourroient se rencontrer dans la piece.

Pour empêcher que le bas des pédales ne se détruise, soit par l’humidité, par la poussiere, ou par le choc de quelques autres corps étrangers, on adapte un double fond 4, 5, à la harpe, & on enveloppe l’entre-deux par une bande légere de bois, ou par la continuité des faces latérales de la caisse sonore, en laissant de petites fenêtres pour passer les queues des pédales. Enfin on couvre le devant du montant B, de même que le devant de la bande C, l’un & l’autre d’une planche mince, afin de garantir d’insulte ce que chacune de ces pieces contient dans son intérieur.

Il nous reste encore à dire pourquoi la bande C est courbée en-dedans, & pourquoi la caisse sonore est plus grosse vers le bas. 1°. Ceux qui joüent de cet instrument ont remarqué, lorsque la bande C est droite, que quoique les cordes les plus minces soient beaucoup plus courtes que les grosses, cependant elles cassoient constamment plus souvent que les autres : d’où ils ont conclu qu’il falloit, pour leur donner plus de résistance, les raccourcir davantage ; & c’est ce qu’on a fait en courbant la traverse. 2°. Comme les petites cordes s’attachent vers le haut de la caisse sonore, & les grosses vers le bas, & que les sons que rendent celles-ci ont plus d’intensité que les sons que rendent celles-là ; il étoit nécessaire de faire la caisse plus vaste & plus forte aux endroits où sont attachées les grosses, qu’à ceux où sont attachées les petites : afin qu’il y eût dans le bois de la caisse une inertie proportionnée à l’intensité des sons, & que le volume d’air renfermé, de même que celui qui environne la caisse immédiatement, fût dans une espece de proportion avec la force de ces sons. La meilleure harpe sans doute seroit celle où la force du son seroit en équilibre avec les parties correspondantes de la caisse sonore.

Cet instrument rend des sons doux & harmonieux ; il est très-touchant & plus propre à exprimer la tendresse & la douleur, que les autres affections de l’ame. Les cordes de la harpe veulent être touchées avec modération ; autrement elles rendroient des sons confus, comme feroit le clavecin, si les vibrations des cordes n’étoient pas arrêtées par un obstacle. Enfin je dirai pour finir, que les Irlandois sont entre tous les peuples ceux qui passent pour joüer le mieux de cet instrument. Cet article a été donné par M. le comte de Hoghenski, qui veut bien nous permettre de lui rendre ici, en le nommant, un témoignage public de reconnoissance : c’est peut-être le plus modeste & le plus habile joüeur de harpe. Il y joint la connoissance de la plus profonde & brillante harmonie au goût noble d’un homme de qualité qui a bien profité d’une éducation proportionnée à sa haute naissance. (B)

Harpe, (Mythologie.) c’est un symbole d’Apollon ; de sorte que sur les médailles, une ou deux harpes marquent les villes où ce dieu étoit adoré comme chef des Muses. Quand la harpe est entre les mains d’un centaure, elle désigne Chiron, maître d’Achille ; quand elle est jointe au laurier & au couteau, elle marque les jeux apollinaires. (D. J.)

Harpe, (Hist. nat.) c’est le nom que l’on donne à une coquille bivalve, à cause de sa ressemblance avec une harpe : il y a des auteurs qui l’appellent la lire.

* Harpe, (Art milit.) espece de pont-levis ainsi appellé de sa ressemblance avec la harpe, instrument de Musique. Ce pont de membrures appliqué perpendiculairement contre la tour, avoit, comme la harpe, des cordes qui l’abaissoient sur le mur, par le moyen de poulies ; & aussi-tôt des soldats sortoient de la tour pour se jetter sur le rempart par ce passage. Dictionn. de Trév.

Harpes, (Maçonnerie.) pierres qu’on laisse alternativement en saillie à l’épaisseur d’un mur, pour faire liaison avec un autre qui peut être construit dans la suite. On appelle aussi harpes les pierres plus larges que les carreaux dans les chaînes, jambes-boutisses, jambes sous poutre, &c. pour faire liaison avec le reste de la maçonnerie d’un mur. (P)