L’Encyclopédie/1re édition/HAIE

Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 23-24).

HAIE (la) Géog.) lieu charmant des Provinces-Unies dans la province d’Hollande, autrefois résidence des comtes de Hollande, d’où lui vient son nom flamand de S’Gravenhagen, que l’on exprime en latin par Haga Comitum.

C’est aujourd’hui le centre du gouvernement de la république, la demeure des membres des Etats-généraux, des ambassadeurs & ministres étrangers. Quoique la Haie n’ait point encore de rang marqué parmi les villes de la Hollande, elle a par son étendue, par le nombre & la beauté de ses palais, par la dignité de ses habitans, par les prérogatives de ses magistrats, & par la magnificence de ses promenades, de quoi tenir rang entre les plus belles villes de l’Europe.

C’est d’une petite maison de chasse dans un bois où les comtes de Hollande venoient quelquefois, que s’est formé ce beau lieu ; mais l’éclat où nous le voyons aujourd’hui, n’existoit pas encore au treizieme siecle ; il arriva seulement qu’alors Guillaume II. comte de Hollande, élu & couronné empereur en 1248, transporta de tems en tems son séjour à la Haie, où il commença le palais qui est aujourd’hui la cour. En 1291 la Haie devint le chef-lieu d’un bailliage ; avec le tems il prit le nom de village, & même en 1557, il ne passoit point encore pour être une ville. Voyez Altingius & Boxhornius sur tous les autres détails.

La Haie est située à une petite lieue de la mer, à environ autant de Delft, au N. O. à trois lieues S. O. de Leyde, quatre N. O. de Rotterdam, & douze S. O. d’Amsterdam. Long. 21. 45. lat. 52. 4. 10.

Puisque la Hollande est si féconde en gens de lettres du premier ordre, il ne faut pas s’étonner que la Haie participe à cette gloire ; mais entre un grand nombre de savans dont elle est la patrie, je me contenterai de citer ici Golius, Huyghens, Meursius, Ruysch, Sallengre, & Second.

Golius (Jacques) fut un des plus habiles hommes de son siecle dans les langues orientales ; nous lui devons deux excellens dictionnaires, l’un arabe & l’autre persan ; l’histoire des Sarrasins par Elmacin, & les élémens astronomiques d’Alfergan avec des commentaires : il voyagea tant en Asie qu’en Afrique, & mourut à Leyde en 1667 à l’âge de 71 ans.

Huyghens (Chrétien), en latin Hugenius, se montra l’un des plus grands mathématiciens & des meilleurs astronomes du dix-septieme siecle. Il apperçut le premier un anneau & un troisieme satellite dans Saturne ; il trouva le secret de donner de la justesse aux horloges, en y appliquant un pendule, & en rendant toutes les vibrations égales par la cycloïde ; il perfectionna les télescopes, & fit un grand nombre de découvertes utiles. Il mourut dans sa patrie en 1695 à 66 ans : on peut voir son éloge dans le journal de M. de Beauval, Août 1695 ; mais il faut le lire dans l’hist. de l’Acad. des Sciences, dont il étoit associé étranger. Ses ouvrages ont été recueillis, & forment trois volumes in-4°.

Meursius (Jean) l’un des plus érudits & des plus laborieux écrivains du siecle passé, méritoit bien son emploi de professeur en histoire & en langue greque à Leyden. Il a tellement développé l’état de l’ancienne Grece par ses divers ouvrages, insérés ensuite dans le trésor de Grævius, qu’il n’a rien laissé à glaner après lui ; voyez-en la liste étonnante dans Morery, ou dans le P. Niceron, tome XII. page 181. Il mourut de la pierre à Sora en 1639, à 60 ans ; son fils Jean (car il se nommoit comme son pere) qui marchoit sur ses traces, mourut à la fleur de son âge, ayant déjà publié quelques écrits très estimés.

Ruysch (Fréderic) paroît encore un homme plus rare en son genre. Les gens de l’art savent avant moi, qu’il n’y a personne au monde à qui la fine Anatomie soit plus redevable, qu’au talent supérieur de ses injections. Ses ouvrages si curieux sont entre les mains de tous ceux qui cultivent la Medecine & l’Anatomie. Il mourut à Amsterdam en 1731, comblé de gloire pour ses admirables découvertes, âgé presque de 93 ans. Le docteur Schreiber a donné sa vie, en medecin vraiment éclairé ; M. de Fontenelle a fait son éloge dans l’hist. de l’académie des Sciences, dont il étoit membre.

M. de Sallengre (Albert Henri) n’avoit que 30 ans, quand la petite vérole trancha ses jours en 1723 ; cependant il avoit déjà publié des ouvrages pleins d’érudition. On connoît son grand recueil latin d’antiquités romaines, en 3 vol. in-fol. & ses mémoires de littérature en 2 vol. in-12.

Second, (Jean) Secundus, a donné des poésies latines où regnent la fécondité & l’agrément ; ses élégies & ses pieces funebres sont touchantes ; ses sylves sont bucoliques ; ses poésies intitulées Basia, réunissent la délicatesse & la galanterie trop licentieuse. Il les auroit condamné lui-même dans un âge mûr, mais il n’y parvint pas ; il mourut tout jeune, à 25 ans, en 1536.

Je ne sais si je dois nommer à la suite des savans qu’a produit la Haie, ce monarque célebre du dernier siecle, qu’on appelloit le stathouder des Anglois, & le roi des Hollandois. Il fut, dit M. de Voltaire, simple & modeste dans ses mœurs, méprisa toutes les superstitions humaines, ne persécuta personne pour la Religion, eut les ressources d’un général & la valeur d’un soldat, devint l’ame & le chef de la moitié de l’Europe, gouverna souverainement la Hollande sans la subjuguer, acquit un royaume contre les droits de la nature, & s’y maintint sans être aimé. Il termina sa carriere en 1702, à l’âge de 52 ans. (D. J.)

Haie (la) Haga, Géog. petite ville de France en Touraine sur la Creuse, aux frontieres du Poitou, à deux lieues de Guierche, quatre de Châtelleraut, dix de Tours, 54 S. O. de Paris ; long. 18. 20. latit. 47. 2.

Cette petite ville peut se glorifier d’avoir donné le jour à Descartes, un des plus beaux génies du siecle passé, & le plus grand mathématicien de son tems ; il résolvoit des problèmes au milieu des siéges ; car il embrassa dans sa jeunesse le parti des armes, & servit avec beaucoup d’honneur en Allemagne & en Hongrie ; mais l’envie de philosopher tranquillement en liberté, lui fit chercher le repos dont il avoit besoin dans la solitude de la Hollande, & qu’il auroit dû y trouver sans mélange. Ce fut au village d’Egmont sur mer, Egmont-opzec, qu’il ouvrit la carriere d’étudier la nature, & qu’il s’y égara ; cependant ses Méditations & son discours sur la méthode, sont toûjours estimés, tandis que sa physique n’a plus de sectateurs, parce qu’elle n’est pas fondée sur l’expérience. Il passa presque toute sa vie hors du royaume ; & ce ne fut qu’après bien des sollicitations, qu’il vint à Paris en 1647. Le cardinal Mazarin lui obtint du roi une pension de trois mille livres, dont il paya le brevet sans en rien toucher ; ce qui lui fit dire en riant, que jamais parchemin ne lui avoit tant coûté. La reine Christine le prioit avec instance depuis plusieurs années de se rendre auprès d’elle, il obéit ; mais il mourut à Stockolm peu de tems après, en 1650, âgé seulement de 54 ans. Lisez dans le discours préliminaire de l’Encyclopédie, pages 25 & 26 le jugement qu’on y porte du mérite de cet homme rare. Baillet a écrit sa vie, & M. Perrault ne pouvoit pas oublier son éloge dans les hommes illustres du xvij. siecle. (D. J.)