L’Encyclopédie/1re édition/HÉRACLÉE

Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand (Tome 8p. 139-140).

* HÉRACLÉE, s. m. (Chronologie.) nom d’un mois des habitans de Delphes & de Bythinie ; c’étoit le cinquieme de l’année ; & leur année commençant en Octobre, il répondoit à notre Février.

Héraclée, (Géog. anc.) nom commun à un si grand nombre de villes, que dans l’empire romain on en comptoit plus de trente ainsi nommées. Le culte d’Hercule, ce héros que les Grecs appelloient Ἡρακλῆς, étoit étendu au point que la plûpart des lieux qui lui étoient particulierement consacrés, portoient son nom : de-là vient qu’il s’en trouve tant qui sont appellées Héraclée, Héracléopolis, Héracleum, Héracleotes, & autres dont les noms sont formés de celui d’Hercule. Mais je me contenterai de parler dans l’article suivant de la plus fameuse Héraclée, de l’Héraclée du Pont en Bithynie, auprès de laquelle étoit la presqu’île Achérusiade, d’où Hercule descendit aux enfers & en tira par force le Cerbere, ce chien terrible dont le cou, disent les Poëtes, étoit entouré de couleuvres, & qui faisoit des hurlemens affreux, quand quelqu’un vouloit s’échapper du Ténare. (D. J.)

Héraclée du Pont, Heraclea Pontica, (Géog. anc.) ville d’Asie en Bithynie sur les fleuves Lycus & Hyppius. Les Milésiens la fonderent, & les Mégariens y envoyerent ensuite une colonie. Tous les anciens, Diodore, Pausanias, Xénophon, Eustathe, Arrien, Denys le Périégete, Ptolomée, Strabon, Pomponius Méla, Pline & tant d’autres nous parlent beaucoup de cette ville. En effet, au dire de M. Tournefort, elle devoit être une des plus belles de l’orient, s’il en faut seulement juger par les ruines, & sur-tout par les vieilles murailles bâties de gros quartiers de pierre qui étoient encore sur le bord de la mer au commencement de ce siecle.

La médaille de Julia Domna que possede le Roi de France, & dont le revers représente un Neptune, qui de la main droite tient un dauphin & de la gauche un trident, marque bien la puissance que cette ville avoit sur mer. Mais rien ne fait plus d’honneur à son ancienne marine, que la flotte qu’elle envoya au secours de Ptolomée, après la mort de Lysimachus, un des successeurs d’Alexandre. Ce fut par ce secours que Ptolomée battit Antigonus. Il y avoit dans cette flotte un vaisseau nommé le Lion, d’une beauté surprenante & d’une grandeur si prodigieuse, qu’il contenoit plus de trois mille hommes d’équipage. L’histoire est remplie d’autres traits qui prouvent la puissance des Héracliens sur mer, & par conséquent la bonté de leur port, qui n’existe plus aujourd’hui.

La caverne par laquelle on a supposé qu’Hercule descendit aux enfers pour enlever le Cerbere, & que l’on montroit encore du tems de Xénophon, dans la péninsule d’Achérusie, n’est plus trouvable, quoiqu’elle eût deux stades, c’est-à-dire deux cens cinquante pas de profondeur. Elle doit s’être abîmée depuis ce tems-là ; car il est certain qu’il y a eu une caverne de ce nom, laquelle a donné lieu à la fable du Cerbere représentée sur plusieurs médailles.

Si Hercule n’a pas été le fondateur d’Héraclée, il y a du-moins été en grande vénération : Pausanias nous apprend qu’on y célébroit tous les travaux de ce héros. Quand Cotta eut pris la ville d’Héraclée, il y trouva dans le marché une statue d’Hercule dont tous les attributs étoient d’or pur. Pour marquer la fertilité de leurs campagnes, les Héracliens avoient fait frapper des médailles avec des épis & des cornes d’abondance : & pour exprimer la bonté des plantes médicinales que produisoient les environs de leur ville, on avoit représenté sur une médaille de diadumène, un Esculape appuyé sur un bâton autour duquel un serpent étoit entortillé.

Cette ville ne fut pas seulement libre dans son origine, mais recommandable par ses colonies ; elle se soutint avec éclat jusqu’au tems que les Romains se rendirent formidables en Asie. Elle refusa d’abord l’entrée de son port à l’armée de Mithridate ; ensuite, à la persuasion d’Archélaüs, les Héracliens lui accorderent cinq galeres & couperent la gorge aux Romains qui se trouverent dans leur ville.

Luculle ayant batu Mithridate, fit assiéger Héraclée par Cotta, qui l’ayant prise par trahison & entierement pillée, la réduisit en cendres. Il en obtint le nom de Pontique à Rome ; mais les richesses qu’il avoit acquises au sac d’Héraclée lui attirerent de cruelles affaires. Un sénateur lui dit : « Nous t’avions ordonné de prendre Héraclée, mais non pas de la détruire ». Le sénat indigné renvoya tous les captifs, & rétablit les habitans dans la possession de leurs biens ; on leur permit l’usage de leur port & la faculté de commercer. Britagoras n’oublia rien pour la repeupler, & fit long-tems sa cour à Jules César, pour obtenir la premiere liberté de ses citoyens ; mais il ne put réussir. Auguste après la bataille d’Actium, la mit du département de la province de Pont jointe à la Bithynie. Voilà comment cette ville fut incorporée à l’empire Romain, sous lequel elle florissoit encore.

Héraclée vint ensuite à passer dans l’empire des Grecs ; & lors de la décadence de cet empire, on lui donna le nom de Pendérachi, lequel même, suivant la prononciation, paroît un nom corrompu d’Héraclée du Pont. Théodore Lascaris l’enleva à David Commene empereur de Trébizonde. Les Génois se saisirent de Pendérachi dans leurs conquêtes d’orient, & la garderent jusqu’à ce que Mahomet II. les en chassa. Depuis elle est restée aux Turcs ; ils l’appellent Eregri : un seul cadi y exerce la justice. Un waivode y exige la taille & la capitation des Grecs. Les Turcs y payent seulement les droits du prince, trop heureux de fumer tranquillement parmi ces belles masures, sans s’embarrasser de ce qui s’y est passé autrefois.

L’ancienne Héraclée, ou, si l’on aime mieux, Eregri, est située près de la mer à vingt lieues S. O. de Constantinople, 22 N. O. de Gallipoli, & 26 S. E. de Trajanopoli. Long. 45. 23. latit. 40. 57. (D. J.)