L’Encyclopédie/1re édition/GYMNASTIQUE
GYMNASTIQUE, s. f. (Littérat. greq. & rom.) l’art ou la science des divers exercices du corps.
Les hommes acquérant la force & l’agilité de leur corps par divers exercices, se sont proposé différentes fins : d’abord ils ont eu en vûe de pourvoir à leur sûreté, & de se rendre plus propres aux fonctions de la guerre, en s’accoûtumant à tous les mouvemens qui peuvent être de quelque utilité pour l’attaque ou pour la défense ; & c’est ce qui a produit la gymnastique militaire. Voyez Gymnastique militaire.
Le soin qu’ils ont pris de leur santé, les a engagés à la fortifier du secours des exercices les plus convenables, qu’ils ont assujettis à certaines lois, conformément aux avis & aux décisions des medecins ; & de-là est née la gymnastique médicinale. Voyez Gymnastique médicinale.
L’amour du plaisir, & sur-tout de celui qui est inséparable des spectacles, joint au desir de donner des preuves publiques de sa force & de son agilité, en remportant un prix proposé, mit en grande vogue une troisieme espece de gymnastique, la plus fameuse de toutes, la gymnastique athlétique. Voy. Gymnastique athlétique.
On vint à introduire dans les cérémonies de la religion, c’est-à-dire dans le culte divin & dans les honneurs funebres rendus aux manes des défunts, la plûpart de ces exercices qui n’avoient servi qu’à disposer les hommes au métier de la guerre : or comme il étoit difficile de perfectionner tous ces exercices, sans les assujettir à certaines lois ou les renfermer dans certaines regles, on forma de toutes ces choses une science fort étendue à laquelle on donna le nom général de gymnastique, parce qu’elle enseignoit tout ce qui concernoit les exercices du corps ; mais cette doctrine gymnastique se trouve éparse en tant de livres différens d’antiquité, qu’on doit être fort redevable aux littérateurs modernes qui se sont donné la peine de la rassembler ; c’est à l’exécution de cette entreprise qu’ont dignement concouru Mercurialis, Faber, Falconerii, Van Dale, Meursius, & M. Burette : disons un mot de leurs travaux.
Mercurialis (Hyeronimus) a singulierement approfondi la gymnastique des Grecs & des Romains, surtout la gymnastique médicinale : la bonne édition de ses six livres de arte gymnasticâ, est de Paris, 1677, in-4°.
Fabri (Petri) agonisticor. lib. III. peuvent servir de supplément à Mercurialis ; on auroit tort de lui refuser des louanges du côté de l’érudition, ce n’est pas ce qui lui manque : mais le desordre qui regne dans son traité, est capable de pousser à bout la patience des lecteurs les plus studieux. L’ouvrage de M. Dufour, de même que celui de Mercurialis, sont insérés dans le trésor des antiq. greq. & rom. de Grævius & de Gronovius.
Falconerii (Octavii) notæ ad inscript. athleticas : ce savant antiquaire a recueilli avec tant de soin tous les monumens, les statues, & les inscriptions décernées aux athletes, que son livre ne laisse presque rien à desirer en ce genre ; on le trouve, aussi dans le trésor de Gronovius, tome VIII.
Van Dale a rassemblé plusieurs particularités très curieuses sur la gymnastique & les officiers des gymnases, dans ses dissert. antiq. marmor.
Meursius, dans son petit livre intitulé, de orchestrâ, sive de saltationibus veterum, a surpassé tous les autres sur l’orchestrique, par l’exactitude du détail.
Enfin M. Burette a publié sur la gymnastique dans le recueil de l’académie des Inscriptions, des mémoires également exacts, profonds, méthodiques, agréables, & en même tems si bien digérés, qu’ils peuvent tenir lieu de tous les écrivains qui l’ont précédé.
Cependant je ne prétens point assûrer que ce sujet ne fournît encore de quoi glaner amplement à des érudits & des antiquaires de profession, qui se dévoüeroient à de nouvelles recherches sur les variétés & les circonstances de tous les exercices gymnastiques, sur la maniere dont les anciens les ont successivement cultivés, & les divers usages qu’ils en ont fait, soit pour la religion soit pour la guerre, soit pour la santé soit pour le simple divertissement : cette riche mine n’est point épuisée, mais le goût de ces sortes d’études a passé de mode ; & c’est, je crois, pour long-tems. (D. J.)
Gymnastique athlétique, (Littérat. greq. & rom.) art ou science qui consistoit à instruire dans les exercices des jeux publics, certains sujets que leur inclination & les qualités avantageuses de leur corps, en rendoient capables.
L’on appelloit aussi la gymnastique athlétique du nom de gymnique, à cause de la nudité des athletes, & de celui d’agonistique, à cause des jeux ἀγῶνες, qui en étoient le principal objet. La vogue, la magnificence, & le retour fréquent de ces jeux établis dans les principales villes de la Grece, fut ce qui contribua le plus à mettre en crédit la gymnastique athlétique.
Platon se déclara le zélé défenseur de cette espece de gymnastique ; car après avoir marqué dans le huitieme livre des lois, de quelle importance il étoit pour la guerre, de cultiver la force & l’agilité du corps, soit pour esquiver ou atteindre l’ennemi, soit pour remporter l’avantage lorsqu’on étoit aux prises & que l’on combattoit corps à corps ; il ajoûte que dans une république bien policée on doit y proposer des prix pour tous les exercices qui servent à perfectionner l’art militaire, tels que sont ceux qui rendent le corps plus leger & plus propre à la course, & que l’on doit se contenter de donner l’exclusion à ceux de ces exercices qui sont absolument inutiles à la guerre.
Solon ne blâmoit pas la gymnastique athlétique en elle-même : il trouvoit seulement & avec raison, que l’entêtement général pour les athletes entraînoit après soi une dépense excessive ; que les victoires de ces gens-là devenoient à charge au public ; & que leurs couronnes étoient plus dommageables à la patrie, qu’affligeantes pour les antagonistes vaincus.
Euripide se déclara, je ne sai pourquoi, si peu favorable à la gymnastique athlétique, qu’il n’hésita pas de heurter sur ce point, dans une de ses pieces satyriques, le goût dominant de toute la Grece : mais entre ceux qui ont décrié la gymnastique athlétique, il y en a peu qui l’ayent attaqué aussi vivement que Galien ; cependant toutes ses réflexions portent plus sur les défauts qui regnoient de son tems dans cet art, au sujet du régime & de la conduite des athletes, que sur l’art même, dont on tira de grands avantages avant qu’il eût dégénéré en extravagances & en folies. (D. J.)
Gymnastique médicinale, (Hist. de la Méd. antiq.) c’étoit cette partie de la gymnastique qui enseignoit la méthode de conserver & de rétablir la santé par le moyen de l’exercice.
Hérodicus de Lentini, autrefois Léontini, en Sicile, né quelque tems avant Hippocrate & son contemporain, est déclare par Platon pour être l’inventeur de la gymnastique médicinale, fille de la gymnastique militaire. Hérodicus étoit medecin, & de plus maître d’une académie où la jeunesse venoit s’exercer pour les jeux publics qu’on célebroit en divers lieux de la Grece avec tant de solennité. Voy. Gymniques (Jeux).
Hérodicus ayant remarqué que les jeunes gens qu’il avoit sous sa conduite, & qui apprenoient ces exercices, étoient pour l’ordinaire d’une très-forte santé, il imputa d’abord ce bonheur au continuel exercice qu’ils faisoient : ensuite il poussa plus loin cette premiere réflexion qui étoit fort naturelle, & se persuada qu’on pouvoit tirer beaucoup d’autres avantages de l’exercice, si on se proposoit uniquement pour but l’acquisition ou la conservation de la santé.
Sur ces principes, il laissa la gymnastique militaire & celle des athletes, pour ne s’attacher qu’à la gymnastique médicinale, & pour donner là-dessus les regles & les préceptes qu’il jugea nécessaires. Nous ne savons pas quelles étoient ces regles ; mais il y a de l’apparence qu’elles regardoient d’un côté les différentes sortes d’exercices que l’on pouvoit pratiquer pour la santé, & de l’autre les précautions dont il falloit user selon la différence des sexes, des tempéramens, des âges, des climats, des saisons, des maladies, &c. Herodicus régloit encore sans doute la maniere de se nourrir ou de faire abstinence, par rapport aux différens exercices que l’on feroit ; ensorte que sa gymnastique renfermoit la Diététique, cette partie de la Medecine auparavant inconnue, & qui fut depuis très-cultivée.
Hippocrate saisit des idées si sages, & ne manqua pas d’employer la gymnastique en diverses maladies. Tous les medecins qui lui succéderent goûterent tellement ce genre de medecine, qu’il n’y en eut point qui ne le regardât comme une partie essentielle de l’art : nous n’avons plus les écrits que Dioclès, Praxagore, Philotime, Erasistrate, Hérophile, Asclépiade, & plusieurs autres, avoient donnés sur cette matiere ; mais ce qui s’en trouve dans Galien & dans les auteurs qui citent ceux qu’on vient de nommer, suffit pour justifier en quelle estime étoit la gymnastique médicinale parmi les anciens.
Les Medecins n’étoient pas les seuls qui la recommandassent ; tout le monde en général se convainquit si fort de l’utilité qu’on en retiroit, qu’il y avoit une infinité de gens qui passoient une partie de leur vie dans les lieux d’exercices qu’on appelloit gymnases ; il est vrai néanmoins que ces lieux étoient autant destinés à la gymnastique athlétique qu’à la gymnastique médicinale. Voyez Gymnase.
Les exercices qu’on y faisoit, consistoient à se promener dans des allées couvertes & découvertes ; à joüer au palet, à la paume, au ballon ; à lancer le javelot, à tirer de l’arc, à lutter, à danser, à courir, à monter à cheval, &c.
Une partie de ces exercices étoit pratiquée par toutes sortes de personnes pour la santé ; mais les appartemens affectés à ce dernier usage, étoient le lieu des bains, celui où l’on se deshabilloit, où l’on se faisoit décrasser, frotter avec des instrumens faits exprès, & oindre avec certaines drogues, &c. Chacun usoit de ces exercices comme il lui plaisoit ; les uns ne prenoient part qu’à un seul, pendant que d’autres s’occupoient successivement de plusieurs. Les gens de lettres commençoient par oüir les philosophes & les savans qui s’y rendoient ; ils joüoient ensuite à la paume, ou bien ils s’exerçoient de quelque autre maniere, & enfin ils entroient dans le bain : il n’y a rien de plus naturel que cette espece de medecine gymnastique ; tout homme judicieux la doit préférer à celle qui consiste dans l’usage des médicamens, parce que cette derniere est presque toûjours palliative, desagréable, & souvent dangereuse.
Les Romains ne commencerent à bâtir des lieux d’exercices que long-tems après les Grecs ; mais ils les surpasserent de beaucoup, soit par le nombre soit par la magnificence des bâtimens, comme on en peut juger par les descriptions des auteurs, & par les ruines qui subsistent encore : on en étoit si fort épris à Rome, que selon la remarque de Varron, quoique chacun eût le sien, à peine étoit-on content.
La gymnastique médicinale étoit déjà tombée dans des minuties aussi nombreuses que frivoles, témoins les conseils des trois livres intitulés du régime, attribués faussement à Hippocrate : ils ne roulent que sur les différens tems propres à s’exercer ; ils indiquent si ce doit être à jeun ou après avoir pris de la nourriture, le matin ou le soir, à l’air, au soleil ou à l’ombre ; s’il faut être nud, c’est-à-dire sans manteau, ou s’il faut être habillé ; quand il convient d’aller lentement, & quand il est nécessaire d’aller vîte ou de courir : ce même ouvrage traite de plusieurs autres minuties, comme d’un jeu de main & de doigts prétendu très-utile pour la santé, & qui s’appelloit chironomie ; il y est aussi parlé d’une espece de ballon suspendu qu’on nommoit corycus, & qu’on poussoit de toute sa force avec les bras.
Mais comme les bains composoient principalement la gymnastique médicinale, aussi bien que la coûtume de se faire frotter & de se faire oindre, il arriva que l’application des huiles, des onguens, & des parfums liquides dont on se servoit, soit avant soit après le bain, soit dans d’autres conjonctures, occupa chez les Romains, dans le tems de leur décadence, autant de personnes que les bains mêmes.
Ceux qui faisoient profession d’ordonner ces onguens ou ces huiles aux malades & aux gens sains, s’appelloient jatraliptæ, c’est-à-dire medecins des onguens ; ils avoient sous leurs ordres des gens qu’on nommoit unctores, qui ne servoient qu’à oindre, & qu’il faut distinguer non-seulement des unguentarii, ou vendeurs d’huiles & d’onguens, mais encore des olearii, lesquels étoient des esclaves qui portoient le pot à essence pour leurs maîtres, lorsqu’ils alloient au bain.
Après avoir oint, & avant qu’on oignît, on frottoit & on racloit la peau ; ce qui étoit l’office des frotteurs, fricatores : ils se servoient pour cela d’un instrument appellé strigil, fait exprès pour décrasser la peau, pour en ôter les restes de l’huile & même de la poussiere dont on se couvroit lorsqu’on vouloit lutter ou prendre quelque autre exercice. Voyez Strigil.
Ce n’est pas tout, les jatraliptes avoient encore sous eux les gens qui se mêloient de manier doucement les jointures & les autres parties du corps, pour les rendre plus souples ; on nommoit ceux-ci tractatores. C’est de ces gens-là que parle Séneque, lorsqu’il dit, indigné des abus qui se commettoient à cet égard : « Faut-il que je donne mes jointures à amollir à ces efféminés ? ou faut-il que je souffre que quelque femmelette ou quelque homme change en femme, m’étende mes doigts délicats ? Pourquoi n’estimerai-je pas plus heureux un Mucius Scævola qui manioit aussi aisément le feu avec sa main, que s’il l’eût tendue à un de ceux qui professent l’art de manier les jointures » ? Ce qui mettoit Séneque de mauvaise humeur contre cette espece de remede & contre ceux qui le pratiquoient, c’est qu’ils le faisoient la plûpart par mignardise & par délicatesse.
Pour dire ici quelque chose de plus honteux, les hommes employoient à cet usage des femmes choisies que l’on appelloit tractatrices ; je ne veux pour preuve de cette dépravation, que l’épigramme de Martial contre un riche voluptueux de son tems.
Percurrit agile corpus arte tractatrix.
Manumque doctam spargit omnibus membris.
Enfin dans ce genre de luxe, comme les huiles, les onguens, les parfums liquides, ne pouvoient pas être commodément administrés qu’on n’ôtât le poil, on dépiloit industrieusement avec des pincettes, des pierres-ponces, & toutes sortes de dépilatoires composés avec art : les hommes qui servoient à cet office, étoient appellés dropacistæ & alipilarii, & les femmes picatrices & paratileriæ. Ainsi la medecine gymnastique, simple dans son origine, devint minutieuse dans la pratique, & finit par dégénerer en rafinement de luxe, de mollesse, & de volupté. Article de M. le chevalier de Jaucourt.
Gymnastique militaire, (Littérat. greq. & rom.) science des divers exercices du corps relativement à l’art militaire.
Les principaux de ces exercices étoient le saut, le disque, la lutte, le javelot, le pugilat, la course à pié & en chariots ; tous ces exercices furent extrèmement cultivés, parce que donnant au corps de la force & de l’agilité, ils tendoient à rendre les hommes plus propres aux fonctions de la guerre ; c’est pourquoi Salluste loue Pompée de ce qu’il couroit, sautoit, & portoit un fardeau aussi-bien qu’Homme de son tems ; en effet de l’exercice vient l’aisance à tout faire & à tout souffrir ; c’est l’école de la souplesse & de la vigueur. La souplesse rend l’homme expéditif dans l’action ; la force éleve le courage au-dessus des douleurs, & met la patience à l’épreuve des besoins.
La gymnastique militaire procuroit ces grands avantages, & entretenoit les forces de toute une nation ; elle fut établie chez les Grecs par les Lacédemoniens & les Crétois ; ils ouvrirent à ce sujet ces académies si célebres dans le monde, & qui dans le siecle de Platon, se rapportoient toutes à l’art militaire : du tems d’Epaminondas, le seul exercice de la lutte contribua principalement à faire gagner aux Thébains la bataille de Leuctres. C’étoit pour perfectionner ces exercices militaires, & pour exciter chez ceux qui les cultivoient une louable émulation, que dans les fêtes & les autres cérémonies solennelles on célebroit des jeux publics connus sous le nom de combats gymniques, où les vainqueurs recevoient tant d’honneurs & de récompenses. Voyez Gymniques (jeux).
Mais comme les coûtumes les plus utiles s’alterent, il arriva que ce qui n’étoit qu’un aiguillon pour réveiller la valeur martiale & disposer les guerriers à se procurer des avantages solides, en gagnant des victoires plus importantes, devint le pur objet des divertissemens publics auxquels les peuples accouroient en foule pour couronner les athletes qui rapportoient uniquement à ces jeux leurs talens, leur genre de vie, & leurs occupations les plus sérieuses.
Enfin quand les Grecs n’eurent plus de vertus, les institutions gymnastiques détruisirent l’art militaire même ; on ne descendit plus sur l’arene pour se former à la guerre, mais pour se corrompre : du tems de Plutarque, les parcs où l’on se battoit à nud, & les combats de la lutte rendoient les jeunes gens lâches, les portoient à un amour infâme, & ne faisoient que des baladins. Dans nos siecles modernes, un homme qui s’appliqueroit trop aux exercices, nous paroîtroit méprisable, parce que nous n’avons plus d’autres objets de recherches que ce que nous nommons les agrémens ; c’est le fruit de notre luxe asiatique. La danse ne nous inspire que la mollesse, & l’exercice des armes la fureur des combats singuliers ; deux pestes que nous ne regardons point avec effroi, & qui cependant moissonnent la jeunesse des états les plus florissans. (D. J.)