L’Encyclopédie/1re édition/GOUTTE-ROSE
Goutte-rose, gutta rosacca, gutta rosea, rubedo maculosa, (Medecine.) c’est l’espece de maladie de la peau que les Arabes désignent sous le nom d’albedsamen ou d’alguasen, ou selon d’autres, d’albuttizaga : les Grecs n’en font pas mention.
Les symptomes caractéristiques de cette maladie sont des taches rouges chargées de pustules, de tubercules de couleur de feu, répandus sur le visage & particulierement sur le nez & les joues, à l’entour, ressemblantes à des gouttes de quelque liqueur rouge. Quelquefois la rougeur est si étendue & si vive, qu’elle donne au visage une couleur de cuivre de rosette ; ce qui sans doute a fait aussi appeller cette maladie couperose, nom formé de cuprum roseum ; d’où l’on dit d’un visage chargé de boutons rouges, bien enluminé, qu’il est couperosé.
Ces tubercules sont quelquefois si nombreux, si gros, & la peau du visage & sur-tout du nez, en est si hérissée, si renflée, qu’ils en rendent la surface très-inégale & fort tuméfiée ; en sorte que ceux qui sont ainsi affectés en deviennent défigurés, méconnoissables ; & souvent même hideux à voir. Sennert fait mention d’un homme dont le nez avoit pris un si grand volume, par l’effet de cette maladie, qu’il lui couvroit presque les yeux & l’empêchoit de voir devant lui : cette incommodité devint si considérable, qu’il fut obligé de s’y faire faire des incisions, pour en enlever une partie.
Quelques auteurs, tels que Florentin, serm. vij. tr. 6. summ. 2. cap. xv. distinguent trois degrés de cette maladie, qui sont 1°. la rougeur simple contre nature, sans pustules ni ulceres : 2°. la rougeur avec des boutons, des pustules : 3°. la rougeur plus foncée avec de petites tumeurs ulcérées, corrodées, & comme chancreuses, parce qu’elles s’étendent & sont rébelles aux remedes ; ce qui les a fait quelquefois confondre avec le noli me tangere.
Cette maladie doit le plus communément son origine aux excès de vin, de liqueurs vineuses, spiritueuses ; ce qui a fait dire à Turner, qu’elle est la brillante & éclatante enseigne des ivrognes : ainsi les grands buveurs sont le plus sujets à la goutte-rose ; mais ils ne sont pas les seuls : car on voit quelquefois des personnes très-sobres qui ont le desagrément d’en être attaquées par un vice dans les humeurs ou de la peau seulement, analogue à celui des intempérans, mais provenant de quelque autre cause, qui produit les mêmes effets, qui rend le sang échauffé, bilieux, acre, comme il est par l’effet du trop grand usage des boissons fermentées : en sorte que l’agitation des humeurs qui en résulte & qui les détermine avec plus de force vers l’habitude du corps en général, donne lieu à l’engorgement des vaisseaux cutanés du visage ; attendu qu’ils sont plus délicats, d’un tissu moins compact que ceux des autres parties de la peau, & qu’en conséquence les humeurs en forcent plus aisément le ressort & en sont reportées plus difficilement dans le torrent de la circulation : d’où s’ensuit que les vaisseaux sanguins dilatés outre mesure, laissent pénétrer des globules rouges avec une sérosité bilieuse, dans les vaisseaux lymphatiques, qui deviennent ainsi le siége d’une sorte de legere inflammation habituelle, par erreur de lieu, qui se résout & se renouvelle continuellement dans la goutte-rose du premier degré ; qui forme des tubercules lorsque les glandes sont le siége de l’engorgement, & produit ainsi la goutte-rose du second degré ; & qui dans celle du troisieme degré ne pouvant se résoudre parfaitement, & se trouvant jointe à un caractere rongeant, dartreux, donne lieu à des exulcérations dans les pustules ; ce qui forme le symptome le plus fâcheux.
La goutte-rose parvenue à ce dernier état est presque incurable, parce qu’il est très-difficile de corriger le vice dominant dans les humeurs, & particulierement celui de la partie affectée. Il n’est pas moins difficile de guérir la goutte-rose du second degré, quoique de moins mauvaise qualité : à quoi contribue principalement la difficulté de faire changer de régime aux personnes qui ont contracté cette maladie par un penchant invétéré à l’ivrognerie. Par ces différentes raisons, ceux qui ont le visage bien bourgeonné, meurent ordinairement avec cette indisposition, même dans un âge très-avancé, attendu que cette maladie n’est point dangereuse par elle même, tant qu’elle est bornée à n’être qu’un vice topique.
La goutte-rose commençante, qui n’a pas encore beaucoup infecté la peau, peut être guérie moyennant les remedes internes & le régime convenable, qui doivent être les mêmes que ceux qui ont été prescrits dans la curation de la dartre, de l’érésypele & de la gale. Il faut seulement observer, par rapport à ceux qui par l’excès des boissons fermentées ont contracté le vice du sang & de la peau du visage qui constitue la goutte-rose, qu’il ne faut corriger le vice à cet égard, qu’avec beaucoup de prudence, parce que le passage d’un usage continuel de liqueurs échauffantes à un régime rafraîchissant, tempérant, pourroit, s’il étoit trop prompt, trop peu ménagé, causer de grands desordres dans l’économie animale.
Quant aux remedes topiques, on peut consulter Sennert, Turner, qui en proposent un grand nombre : on remarque en général qu’ils recommandent ceux qui sont adoucissans, legerement résolutifs & discussifs dans les deux premiers degrés de la goutte-rose, & ceux qui sont détersifs & obtundans, lorsqu’elle est accompagnée d’ulceres acrimonieux : ce sont en effet les indications qui se présentent à remplir dans les deux cas dont il s’agit : on employe ces différens topiques avec les précautions convenables, sous forme de lotion, de liniment, d’onguent, ou de pommade.
La décoction de son dans le vinaigre & l’eau-rose, est un bon remede dans la rougeur simple du visage ; on vante beaucoup aussi dans ce cas, l’huile de myrrhe par défaillance, le mucilage de psyllium mêlé avec les fleurs de soufre, &c. Voyez Cosmétique.
Si la maladie est rébelle & les tubercules durs ; après avoir fait usage des émolliens, résolutifs, on passera aux linimens faits avec le cérat de blanc de baleine, ou le cérat blanc de Bates.
Les tubercules suppurés doivent être ouverts pour donner issue à la matiere, & on panse les pustules avec l’emplâtre de céruse & de dyachylum blanc, à quoi on ajoûte un peu de précipité blanc ou de mercure doux, pour les plus rébelles ; au lieu qu’on se borne à toucher celles qui paroissent benignes, avec un noüet de sel de Saturne, d’alun brûlé, & de sel prunelle trempé dans les eaux de frai de grenouille & de nénuphar : les noüets de sublimé doux peuvent aussi être exprimés sur les pustules.
Au surplus, le traitement de l’érésypele avec excoriation, & des dartres, convient aussi à tous égards dans ce cas-ci. V. Érésypele, Dartre. (d)