L’Encyclopédie/1re édition/FRACTION
* FRACTION, s. f. (Gramm.) L’action de briser un corps. Il n’est guere d’usage que dans ces deux phrase, consacrées ; fraction de l’hostie, fraction du pain.
I. Fraction, (Arithmétique & Algebr.) Dans le sens le plus étendu, une fraction est une division indiquée ; dans un sens plus étroit, & en tant qu’on l’oppose à l’entier, c’est une division indiquée qui ne peut se consommer.
II. L’une & l’autre définition emportent nécessairement deux termes, dont l’un représente le dividende, l’autre le diviseur. On les place l’un sous l’autre avec une petite ligne transversale entre deux. Le supérieur, qui représente le dividende, est dit numérateur ; & l’inférieur, qui représente le diviseur, est dit dénominateur de la fraction. Ainsi est une fraction dont a est le numérateur & b le dénominateur.
III. Si le numérateur est multiple du dénominateur, la fraction supposée ne l’est que par l’expression, puisque la division venant à s’effectuer, le quotient est un entier.
Si le numérateur, sans être multiple du dénominateur, est d’ailleurs plus grand que lui, il le contiendra, au moins une fois, avec un reste : c’est ce qu’on appelle fraction mixte, parce que le quotient est un entier joint à une fraction.
Enfin si le numérateur est plus petit que le dénominateur ; c’est une fraction pure sur laquelle la division n’a point de prise, & qui est elle-même son quotient.
est une fraction de la premiere espece ; une de la seconde ; une de la troisieme.
IV. Toute fraction, comme celle-ci , peut s’énoncer de deux manieres, ou 2 divisé par 3 (c’est-à-dire le tiers de deux) ou deux tiers. La premiere maniere est relative aux définitions ci-dessus. Suivant la seconde, on conçoit l’unité divisée en parties dont le dénominateur indique l’espece & le numérateur le nombre qu’il en faut prendre. Mais cette diversité dans la maniere d’énoncer n’influe en rien sur le fond ; soit qu’on divise 2 toises ou 12 piés par 3, c’est-à-dire qu’on en prenne le tiers, soit qu’on prenne les deux tiers d’une toise ou de 6 piés, le résultat est également 4 piés.
V. Pour procéder avec quelque ordre dans une matiere d’un détail assez épineux, nous traiterons d’abord des fractions prises singulierement, puis nous comparerons diverses fractions ensemble, enfin nous en donnerons le calcul.
VI. Des fractions prises singulierement. La valeur absolue d’une fraction est d’autant plus grande, que son numérateur est plus grand & son dénominateur plus petit ; & au contraire.
Pour en sentir la raison, il suffit de se rappeller que le numérateur est le dividende, le dénominateur le diviseur, & la valeur de la fraction le quotient. Voyez Division.
VII. Pour doubler, tripler, &c. la valeur d’une fraction, c’est donc la même chose de multiplier son numérateur, ou de diviser son dénominateur par 2, 3, &c… comme pour en prendre la moitié, le tiers, &c. c’est la même chose de diviser son numérateur ou de multiplier son dénominateur par 2, 3, &c.
VIII. Donc la valeur d’une fraction n’est point changée, soit qu’on multiplie, soit qu’on divise ses deux termes par la même grandeur n ; car l’effet de l’opération faite sur le numérateur sera détruit par l’opération subséquente sur le dénominateur. C’est en effet multiplier ou diviser la fraction par ; or 1 ne change point les grandeurs, soit qu’il divise, soit qu’il multiplie.
IX. Cela même fournit le moyen de réduire un entier a en fraction d’un dénominateur quelconque n, sans altérer sa valeur ; il n’y a qu’à le multiplier & le diviser par n.
Si l’on fait , on aura ; & c’est la maniere la plus simple de réduire un entier en fraction, lorsqu’on n’a pas d’ailleurs intérêt de lui donner un dénominateur déterminé.
X. On dit qu’une fraction est réduite à ses plus simples termes, quand les deux termes qui l’expriment sont premiers entr’eux. Voy. Premier & Nombre premier. S’ils ne le sont pas, on les réduit à l’être, en les divisant par leur plus grand diviseur commun. Ainsi se réduit à , en divisant le numérateur & le dénominateur par leur plus grand commun diviseur 6. Voyez Diviseur.
Il est clair (n°. VIII.) que par cette opération la valeur de la fraction n’est point changée.
XI. Pour trouver la valeur d’une fraction relativement à un entier d’une espece déterminée, voici la méthode. On suppose la fraction pure ; parce que, si originairement elle étoit mixte, on a dû préalablement en tirer l’entier par la voie ordinaire.
Le dénominateur de la fraction restant le diviseur constant, prenez successivement pour dividende, 1°. le numérateur réduit en aliquotes premieres de l’entier (voyez Aliquote) ; 2°. le reste, s’il y en a, réduit en aliquotes secondes de l’entier ; 3°. le second reste réduit, &c. jusqu’à ce que la division soit exacte, ou que vous soyez parvenu à l’aliquote derniere. Ces divers quotiens seront, dans l’ordre qu’ils ont été trouvés, des aliquotes premieres, secondes, troisiemes, &c. de l’entier. Si le dernier quotient laisse un reste, vous l’écrirez en fraction à l’ordinaire. Ainsi cette fraction , s’il s’agit d’étendue, & que l’entier soit une toise, est 3 piés 7 pouces lignes ; car , & il reste 3 : , & il reste 1 : .
La même fraction , s’il s’agit de monnoie, & que l’entier soit une livre, est 12 s.
Cete même fraction , s’il s’agit de tems, & que l’entier soit une heure, est 36′.
XII. De la comparaison des fractions. Le but qu’on se propose, en comparant ensemble diverses fractions, est de découvrir le rapport qu’elles ont entr’elles. Ce rapport est sensible, dès que les fractions ont le même dénominateur ; car, , puisque le produit des extrèmes est égal au produit des moyens (V. Proportion), c’est à-dire qu’alors les fractions sont entr’elles comme leurs numérateurs.
Il ne s’agit donc que de donner aux fractions proposées un dénominateur commun, lorsqu’elles ne l’ont pas. Or pour cela, quel que puisse être le nombre des fractions, voici une regle simple & unique.
Multipliez les deux termes de chaque fraction par le produit continu des dénominateurs des autres fractions ; il est clair (n°. VIII.) que par cette opération la valeur de chaque fraction primitive n’est point changée ; & il n’est pas moins évident qu’il en résulte pour toutes les fractions réduites le même dénominateur, puisqu’il est pour chacune le produit des mêmes facteurs.
Premieres fractions…
Secondes fractions… , ou plus simplement .
(+) Si les dénominateurs des fractions ont un diviseur commun, on peut simplifier l’opération en cette sorte : Soit & qu’il faut réduire à même dénomination, les dénominateurs & ayant pour diviseur commun g, je multiplie le haut & le bas de la premiere par k seulement, & le haut & le bas de la seconde par e seulement, & j’ai & .
(+) Ainsi, si j’avois à réduire & à même dénomination, je prendrois d’abord le plus grand commun diviseur 8 de 16 & de 24 (voyez Diviseur) ; ensuite j’écrirois , & ; ensuite je multiplierois le haut & le bas de la premiere fraction par 3, & le haut & le bas de la seconde par 2, & j’aurois , & ; & ainsi des autres.
Du calcul des fractions. Ce qui a été dit (n°. IX.) nous met en droit de supposer que les quantités sur lesquelles il sera question d’opérer, ne contiennent que des fractions.
XIII. Addition. Les fractions proposées étant préalablement réduites à la même dénomination, faites la somme des numérateurs, & écrivez au-dessous le dénominateur commun.
XIV. Soustraction. Après avoir réduit séparément les deux quantités proposées en une seule fraction, donnez aux deux fractions résultantes un dénominateur commun, & écrivez-le sous la différence des numérateurs.
(+) On voit par cette opération que lorsqu’il s’agit d’additionner & de soustraire des fractions, on peut les réduire à la même dénomination par la premiere regle générale, sans s’embarrasser si les dénominateurs ont un commun diviseur, ou non ; il suffira de réduire à la plus simple expression la fraction unique qui sera le résultat de la derniere opération. En effet qu’on ait, par exemple, à ajoûter avec , on peut écrire indifféremment , après avoir réduit au même dénominateur par la seconde regle, ou en réduisant au même dénominateur par la premiere regle , en réduisant & divisant le haut & le bas par g.
XV. Multiplication & division. Nommant premiere fraction celle qui représente le multiplicande ou le dividende, & seconde fraction celle qui représente le multiplicateur ou le diviseur, multipliez terme-à-terme la premiere fraction par la seconde, directe s’il s’agit de multiplication, & renversée s’il s’agit de division.
Le produit de est .
Le quotient de divisé par est .
Pour le démontrer, soit , d’où ; & d’où … Il faut faire voir que & que .
Or, que dans le premier membre de ces deux dernieres égalités, au lieu de a & de c, on substitue leurs valeurs bp & dq, on aura
d’une part | . | |
de l’autre | . |
XVI. Si, pour la division on a préféré le renversement de la fraction qui représente le diviseur à la pratique usitée de multiplier en croix, qui au fond est la même chose ; c’est que la regle présentée sous ce point de vûe rend plus sensiblement raison d’une espece de paradoxe qui a coûtume de frapper les commençans. Il arrive souvent dans la multiplication des fractions que le produit est plus petit que le multiplicande, & au contraire dans leur division, que le quotient est plus grand que le dividende ; & cela ne peut manquer d’arriver toutes les fois que la fraction qui représente le multiplicateur ou le diviseur est plus petite que l’unité ; car alors son numérateur est plus petit que son dénominateur. Quand donc la fraction reste directe dans la multiplication, c’est le plus petit terme qui multiplie la premiere fraction, tandis que le plus grand la divise : cette premiere fraction doit donc être plus diminuée qu’augmentée, & devenir plus petite. Quand au contraire la fraction se renverse dans la division, c’est le plus grand terme qui multiplie la premiere fraction, tandis que le plus petit la divise ; elle gagne donc plus qu’elle ne perd, & doit devenir plus grande.
XVII. Soit à diviser par , le quotient sera . Ce qui fait voir que quand le dividende & le diviseur ont un dénominateur commun, on peut négliger celui-ci, & prendre pour quotient des deux fractions celui même de leurs numérateurs.
(+) On peut voir au mot Division des remarques sur la division des fractions les unes par les autres, ou des entiers par des fractions ; on y a expliqué très-clairement & à priori pourquoi un nombre quelconque divisé par une fraction, donne un quotient plus grand que lui. On a vû aussi au mot Exposant, comment la fraction se change en .
(+) On a prouvé au mot Diviseur (voyez ce mot, & l’addition qu’on y a faite dans l’errata du cinquieme Volume), que si deux nombres a, b, n’ont aucun diviseur commun, & que deux autres nombres c, d, n’ayent aucun diviseur commun entr’eux, ni avec les deux premiers ; alors dans le produit des fractions , ac & bd n’auront aucun diviseur commun. De-là il s’ensuit que si est une fraction réduite à ses moindres termes ; & en général sera aussi une fraction réduite à ses moindres termes. Donc une fraction, soit pure, soit mixte, élevée à une puissance quelconque, donne toûjours une fraction ; donc un nombre entier qui n’a point pour racine quarrée, cubique, &c. un nombre entier, ne sauroit avoir une fraction (même mixte) pour racine ; donc la racine d’un tel nombre est incommensurable. Voyez Incommensurable.
XVII. C’est à la multiplication qu’on doit rappeller la réduction des fractions de fraction, & non à la division, comme au 1er coup-d’œil on pourroit être tenté de le croire. Prendre en effet les de , n’est-ce pas, ce me semble, diviser par ? Non, c’est au contraire le multiplier, & l’on va en convenir. Si l’on n’avoit à prendre que le tiers de , il faudroit (n°. VII.) multiplier le dénominateur par 3 pour avoir ; mais c’est les deux tiers qu’il s’agit de prendre. Il faut donc doubler ce qu’on a trouvé, c’est-à-dire (ibidem.) multiplier le numérateur par 2. La seconde fraction reste donc directe dans l’opération, ce qui (n°. XV.) détermine celle-ci à être une multiplication. Donc de .
Il suit qu’ayant un nombre quelconque de fractions de fraction, pourvû que ce qui étoit numérateur reste numérateur, & que ce qui étoit dénominateur reste dénominateur, on peut d’ailleurs transposer entr’elles les fractions, & échanger leurs termes comme on voudra, sans que la valeur de la suite en soit altérée, puisque les deux termes de la fraction qui l’exprimera seront toûjours formés respectivement des mêmes facteurs.
Les de de | ||
Les de de | ||
Les de de |
XIX. Elévation & extraction. Faites séparément sur les deux termes de la fraction celle des deux opérations qu’exige la circonstance, & elle se trouvera faite sur la fraction elle-même.
(+) XX. Fractions décimales. On a traité cette matiere au mot Décimal, auquel nous renvoyons. Nous remarquerons seulement qu’au lieu du point dont nous avons parlé dans cet article, & qui sert à distinguer les parties décimales des entiers, quelques auteurs se servent d’une virgule ; ce qui revient au même, & ce qui est quelquefois plus commode, lorsqu’il est à craindre que le point ne soit pris pour un signe de multiplication. D’autres ont employé une autre maniere, mais moins commode : par exemple, pour désigner 3.0206, c’est-à-dire quatre parties décimales, ou ce qui revient au même, un dénominateur égal à l’unité suivi de quatre zéros, ils écrivent ; de même pour désigner 3.206, ils écrivent , & ainsi du reste.
XXI. Fractions sexagésimales. On nomme ainsi un ordre de fractions dont les dénominateurs sont les puissances successives de 60. On en peut imaginer de tant d’autres especes qu’on voudra ; mais nous ne nous y arrêterons pas : outre que leur utilité est bornée à un objet particulier, leur calcul peut aisément se déduire par analogie de tout ce qui a précédé.
(+) Ces fractions, dont le calcul est peu d’usage, ont été imaginées par quelques arithméticiens à cause de la division du cercle en 360 degrés, , du degré en 60 minutes, de la minute en 60 secondes, &c. Mais on eût beaucoup mieux fait d’employer la division décimale pour les parties du cercle, & en général pour toutes les divisions quelconques, comme on l’a déjà dit au mot Decimal.
XXII. Il est encore d’autres fractions d’un ordre transcendant, qu’on nomme continues ; mais comme elles peuvent toûjours se résoudre en suites, nous les renvoyerons à cet article, celui-ci n’étant déjà que trop long. Voyez Suite. Cet article, à quelques additions près marquées d’une (+), est de M. Rallier des Ourmes.
Fraction rationnelle, est le nom que l’on donne à des fractions algébriques qui ne renferment point de radicaux, comme . M. Bernoulli a donné dans les mém. de l’acad. des Sciences de Paris pour l’année 1702, une méthode pour intégrer en général toutes les fractions différentielles rationnelles, comme , , &c. dans lesquelles a, b, f, n, m, q, p, &c. sont des constantes quelconques ; il démontre que ces fractions peuvent toûjours s’intégrer par logarithmes réels ou imaginaires, & que leur intégration peut se réduire par conséquent, ou à la quadrature de l’hyperbole, ou à celle du cercle. Cette méthode a été depuis extrèmement perfectionnée par plusieurs géometres ; dans les journaux de Leipsick de 1718, 1719 ; dans les mémoires de l’académie de Petersbourg, t. VI. dans l’ouvrage de M. Cottes, intitulé harmonia mensurarum ; dans l’ouvrage de dom Charles Walmesley, qui a pour titre, mesure des rapports ; dans celui de M. Maclaurin, qui a pour titre, a treatise of fluxions, traité des fluxions, tome II. dans le traité de M. Moivre, intitulé miscellanea analytica de seriebus & quadraturis, &c. On peut aussi voir plusieurs recherches nouvelles sur cette matiere dans une dissertation imprimée tome II. des mémoires françois de l’académie de Berlin, 1746. Cette dissertation a pour titre, Recherches sur le calcul intégral. J’y démontre, 1°. que toute quantité algébrique rationnelle d’un degré quelconque, est réductible ou en facteurs simples, tels que , ou en facteurs trinomes, tels que , a, b, c, étant des quantités réelles. C’est ce que personne avant moi n’avoit démontré, & ce qui étoit nécessaire pour rendre complette la méthode d’intégrer les fractions rationnelles différentielles. On peut voir cette démonstration dans le traité du calcul intégral de M. de Bougainville, II. partie. 2°. J’y donne le moyen de réduire à des fractions rationnelles une grande quantité de différentielles qui renferment des radicaux. On peut aussi voir cette méthode dans l’ouvrage que je viens de citer, ainsi qu’une méthode particuliere pour intégrer les fractions rationnelles, & pour démontrer la méthode de M. Bernoulli ; méthode que j’avois présentée à l’académie des Sciences en 1741, avant que d’avoir l’honneur d’y être reçu. Cet ouvrage de M. de Bougainville contient d’ailleurs le précis de tout ce que les auteurs cités ont donné de meilleur sur cette branche importante du calcul intégral. Voyez Integral & Imaginaire. (O)