L’Encyclopédie/1re édition/FLORAUX
FLORAUX, (Jeux) Littér. en latin ludi florales ; ces jeux furent institués en l’honneur de Flora, c’est-à-dire de la déesse des Fleurs, dont le culte fut établi dans Rome par Tatius roi des Sabins, & collegue de Romulus. Elle avoit déjà du tems de Numa ses prêtres & ses sacrifices ; mais on ne commença à célébrer ses jeux que l’an de Rome 513, sous deux édiles de la famille des Publiciens. C’est Ovide qui nous l’apprend, ce sont les médailles qui le confirment, & Tacite n’y donne pas peu de poids, lorsqu’il dit que Lucius & Marcus Publicius firent rebâtir le temple de Flore dans le cours de leur édilité. Cependant on ne renouvelloit ces jeux que lorsque l’intempérie de l’air annonçoit ou faisoit craindre la stérilité, ou lorsque les livres des sibylles l’ordonnoient, selon la remarque de Pline.
Ce ne fut que l’an de Rome 580, que les jeux floraux devinrent annuels à l’occasion d’une stérilité qui dura plusieurs années, & qui avoit été annoncée par des printems froids & pluvieux. Le sénat pour fléchir Flore & obtenir de meilleures récoltes à l’avenir, ordonna que les jeux de cette divinité fussent célébrés tous les ans régulierement le 28 d’Avril ; ce qui eut lieu jusqu’au tems qu’ils furent entierement proscrits. Le decret du sénat commença d’être exécuté sous le consulat de Postumius & de Lænas. Le fonds consacré aux frais des jeux floraux, fut tiré des amendes de ceux qui s’étoient appropriés les terres de la république.
On les célébroit la nuit aux flambeaux dans la rue Patricienne ; & quelques-uns prétendent que le cirque de la colline hortulorum, y étoit uniquement destiné. On y donna au peuple la comédie entre plusieurs autres plaisirs de ce genre. Si l’on en croit Suétone dans la vie de Galba, & Vopiscus dans celle de Carin, ces princes y firent paroître des éléphans qui dansoient sur la corde. Mais le déréglement dans les mœurs, caractérisoit proprement les jeux floraux. C’est assez pour s’en convaincre, que de se rappeller qu’on y rassembloit les courtisannes toutes nues au son de la trompette ; & quoique S. Augustin ait foudroyé avec raison un spectacle si honteux, Juvénal en dit autant que lui dans ces quatre mots : Dignissima prorsùs florali matrona tubâ.
Ovide se contente de peindre les jeux floraux sous les couleurs de cette galanterie, dont il donne dans ses écrits de si dangereuses leçons. La déesse Flore, dit-il, vouloit que les courtisannes célébrassent sa fête, parce qu’il est juste d’avertir les femmes qu’elles doivent profiter de leur beauté, pendant qu’elle est dans sa fleur ; & que si elles laissent passer le bel âge, elles seront méprisées comme une rose qui n’a plus que ses épines : morale toute semblable à celle de nos opéra
Où sont les noms honteux d’erreur & de foiblesse ;
Notre devoir est combattu,
Et l’exemple des dieux y fait à la jeunesse
Un scrupule de la vertu.
Valere Maxime rapporte que Caton s’étant un jour trouvé à la célébration des jeux floraux, le peuple plein de considération pour un homme si respectable, eut honte de demander en sa présence le spectacle des infames nudités de ce jour-là : Favonius lui ayant représenté les égards extraordinaires qu’on avoit pour lui, il prit le parti de se retirer pour ne point troubler la fête, & en même tems ne point voir les desordres qui s’y commettoient ; alors le peuple s’étant apperçû de la complaisance de Caton, le combla d’éloges après son départ, & ne changea rien à ses plaisirs. Voyez l’article précédent.
Au reste, je ne crois pas devoir rappeller ici les fautes dans lesquelles Lactance est tombé sur l’institution des jeux floraux ; je remarquerai seulement que comme la vérité de la religion chrétienne n’a jamais besoin d’un faux appui, il ne faut pas adopter tout ce qui a été écrit par un zele erroné pour combattre le paganisme. Il ne faut pas que nos raisonnemens ressemblent à ces rivieres qui charrient dans leur lit du sable d’or & de la boue mélés ensemble : enfin il ne faut pas croire que tous moyens soient indifférens, & même loüables, pourvû qu’ils puissent servir à endommager l’erreur, comme s’exprime Montagne.
Il est tems d’indiquer les sources où l’on peut s’instruire à fond sur les jeux floraux. Voy. Ovide qui les décrit dans ses Fastes, l. V. v. 326 & seq. Valere Maxime, liv. II. c. v. Juvénal, sat. vj. Pline, liv. XVIII. chap. xxjx. Velleius Paterculus, liv. I. c. xvj. Suétone dans Galba, chap. vj. Séneque, epist. 47. Tacite, annal. liv. II. chap. xljx. Perse, sat. v. S. Augustin, epist. 202. Arnob. liv. III. pag. 115. & liv. VII. pag. 238. Parmi les modernes, Hospinien, de origine festor. Thomas Codwin, antholog. rom. liv. II. c. iij. sect. 3. Vossius, de origine idolol. liv. I. c. xij. Juste-Lipse, Elect. liv. I. Struvius, Synt. antiq. rom. chap. jx. p. 436. Rosinus, antiqrom. lib. II. c. xx. lib. IV. c. viij. lib. XV. c. xv. &c. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.
Floraux (Jeux), Hist. mod. nous avons aussi en France des jeux floraux, qui furent institués en 1324.
On en doit le projet & l’établissement à sept hommes de condition, amateurs des Belles-Lettres, qui vers la Toussaint de l’an 1323, résolurent d’inviter, par une lettre circulaire, tous les troubadours, ou poëtes de Provence, à se trouver à Toulouse le premier de Mai de l’année suivante, pour y réciter les pieces de vers qu’ils auroient faites, promettant une violette d’or à celui dont la piece seroit jugée la plus belle.
Les capitouls trouverent ce dessein si utile & si beau, qu’ils firent résoudre au conseil de ville, qu’on le continueroit aux dépens de la ville ; ce qui se pratique encore.
En 1325, on créa un chancelier & un secrétaire de cette nouvelle académie. Les sept instituteurs prirent le nom de mainteneurs, pour marquer qu’ils se chargeoient du soin de maintenir l’académie naissante. Dans la suite, on ajoûta deux autres prix à la violette, une églantine pour second prix, & une fleur de souci pour troisieme : il fut aussi reglé que celui qui remporteroit le premier prix, pourroit demander à être bachelier ; & que quiconque les remporteroit tous trois, seroit créé docteur en gaie-science, s’il le vouloit, c’est-à-dire en poésie. Les lettres de ces degrés étoient conçûes en vers ; l’aspirant les demandoit en rime, & le chancelier lui répondoit de même. Dictionn. de Trévoux & Chambers.
Il y a un registre de ces jeux à Toulouse, qui rapporte ainsi leur établissement : d’autres disent au contraire que c’étoit une ancienne coûtume, que les poëtes de Provence s’assemblassent à Toulouse pour lire leurs vers, & en recevoir le prix, qui se donnoit au jugement des anciens ; que ce ne fut que vers 1540 qu’une dame de condition nommée Clémence Isaure, légua la meilleure partie de son bien à la ville de Toulouse, pour éterniser cet usage, & faire les frais des prix, qui seroient des fleurs d’or ou d’argent de différentes especes.
La cérémonie des jeux floraux commence le premier de Mai par une messe solennelle en musique ; le corps de ville y assiste. Le 3 du mois, on donne un dîné magnifique aux personnes les plus considérables de la ville : ce jour-là on juge les prix, qui sont au nombre de cinq ; un prix de discours en prose, un prix de poëme, un prix d’ode, un prix d’églogue, & un prix de sonnet. Arnaud Vidal de Castelnaudari remporta le premier en 1324 la violette d’or.
Les jeux floraux ont été érigés en académie par lettres patentes en 1694 ; le nombre des académiciens est de quarante, comme à l’académie françoise.