L’Encyclopédie/1re édition/FLEURISTE

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FLEURISTE, s. m. (Agric.) personne qui cultive les fleurs par délassement, par goût, ou par intérêt.

Cette culture demande un terrein convenable, une parfaite connoissance des terres bonnes à planter & semer toutes sortes de fleurs ; des lumieres sur leur nature & leurs caracteres ; des outils, de l’invention, un travail assidu, des expériences répétées, & pour tout dire un certain génie propre à ce soin, à cette attache. Aussi voit-on le fleuriste se donner tout entier à cette sorte de plaisir ; le soin qu’il prenoit d’abord de ses fleurs par amusement, devient chez lui une passion, & souvent si violente, qu’elle ne le cede à l’amour & à l’ambition que par la petitesse de son objet : enfin son goût dominant ne le porte plus aux fleurs en général, il n’en fait aucun cas, il en voit par-tout, mais il est fou uniquement des fleurs rares, uniques, & qu’il possede.

La Bruyere a si bien peint cette espece de curieux en général, qu’on y reconnoît tous ses confreres en particulier. « Le fleuriste de tout pays, dit-il, a un jardin de fleurs pour lui seul ; il y court au lever du soleil, & il en revient à son coucher : vous le voyez planté, & qui a pris racine au milieu de ses tulipes & devant la solitaire. Il ouvre de grands yeux, il frote ses mains, il se baisse, il la voit de plus près, il ne l’a jamais vûe si belle, il a le cœur épanoüi de joie. Il la quitte pour l’orientale ; de-là il va à la veuve, il passe au drap-d’or, de celle-ci à l’agate, d’où il revient enfin à la solitaire, où il se fixe, où il se lasse, où il s’assied, où il oublie de dîner ; aussi est-elle nuancée, bordée, huilée, à pieces emportées : elle a un beau vase, ou un beau calice ; il la contemple, il l’admire. Dieu & la Nature sont en tout cela ce qu’il n’admire point. Il ne va pas plus loin que l’oignon de sa tulipe, qu’il ne livreroit pas pour mille écus, & qu’il donnera pour rien quand les tulipes seront négligées, & que les œillets auront prévalu. Cet homme raisonnable, qui a une ame, qui a un culte, & une religion, revient chez lui fatigué, affamé, mais fort content de sa journée : il a vû des tulipes ». Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Fleuriste artificiel, est celui qui sait représenter par des fleurs, des feuilles, des plantes artificielles, &c. la nature dans toutes ses productions. On voit assez par-là l’étendue de cet art, & les agrémens qui en résultent pour la société. C’est lui qui perpétue, pour ainsi dire, ce que les belles saisons de l’année produisent de plus agréable. Il peut rendre les fleurs les plus fragiles de tous les tems & de tous les pays. Les femmes ne font point de difficulté de se parer de fleurs artificielles. Les grands les employent à décorer leurs palais, leurs tables & leurs cabinets : nos temples même empruntent du fleuriste artificiel des ornemens, qui ne contribuent pas peu à leur décoration & à leur embellissement. Mais l’art des fleurs artificielles brille sur-tout dans les desserts. Une table couverte avec intelligence de ces fleurs, paroît plûtôt un parterre entier, qu’une table ; les fruits réels y sont si bien accompagnés des feuilles & des fleurs qui leur conviennent, qu’on n’y distingue presque pas l’ouvrage de l’art, de celui de la nature, dont l’art approche si difficilement.

Cet art est nouveau en France ; il n’y est pas même connu pour être aussi étendu que nous venons de le dire, puisqu’on entend communément par fleuriste artificiel, un petit nombre de gens qui font de ces bouquets grossiers, qui ne ressemblent à rien moins qu’à des bouquets de fleurs, & qui ne sont qu’un assemblage bisarre de plumes mal teintes & mal tournées, de feuilles mal assorties, en un mot qui n’ont de fleurs que le nom : ces sortes de fleurs sont particulierement l’occupation des religieuses qui y amusent leurs loisirs.

Les fleurs artificielles sont plus anciennes à la Chine, où l’on en fait de très-parfaites, mais d’une matiere fort fragile quand elle est seche. On ne sait pas bien d’où les habitans de ce pays la tirent : les uns croyent que c’est la moëlle d’un arbre qui y croît ; mais la fermeté qu’acquiert cette matiere lorsqu’on la mouille, laisse soupçonner que c’est plûtôt une composition que les Chinois seuls savent faire. A cela près, cette composition est parfaitement ressemblante à de la moëlle fine & legere ; ce qui imite de fort près cette feuille transparente, & couverte d’une poussiere délicate, dont les fleurs sont composées. Ces fleurs ne servent guere que pour orner la toilette des femmes ; les précautions souvent même inutiles qu’elles demandent, diminuent de beaucoup l’usage qu’on en pourroit faire.

Cet art n’est pas moins ancien en Italie, où la plus grande partie de la noblesse l’exerce avec honneur. Les fleurs que nous tirons de ce pays se soûtiennent mieux, & sont d’un usage plus fréquent & plus général que celles de la Chine. Ces fleurs sont fabriquées de coques de vers à soie, de plumes, & de toile ; la verdure qui les accompagne est d’une toile teinte, gommée, & très-forte. Elles sont supérieures à celles qu’on fait ailleurs, en ce qu’elles sont plus solides, & représentent mieux les naturelles par la tournure & la couleur qu’on sait leur donner. Les fleuristes de Paris, même ceux qui pourroient en faire d’aussi belles, aiment mieux les faire venir de ce pays, parce qu’ils les ont à meilleur compte. Les Italiens se servent de ciseaux pour découper les fleurs, & rarement de fers à découper ; ce qui demande beaucoup plus de tems pour leurs ouvrages, & les rend par conséquent plus chers. On ne s’est servi de ces fers qu’au commencement de ce siecle : c’est à un Suisse qu’on en doit l’invention. Ces fers sont fort utiles, & abregent beaucoup les opérations de l’artiste ; puisqu’on peut par leur moyen tailler d’un seul coup, & en un instant, plusieurs feuilles qui tiendroient plus d’un jour à découper aux ciseaux. Ces fers sont des emporte-pieces, ou des moules creux & modelés en-dedans sur la feuille naturelle de la fleur qu’ils doivent emporter.

Nous avons dit plus haut que les fleurs qu’on fait ailleurs qu’à la Chine ou en Italie étoient peu estimées : mais il ne faut penser ainsi que de celles qui sont chargées d’ornemens contre nature, & qui sont néanmoins en plus grand nombre que les autres : il ne faut donc pas mépriser celles qui sortent des mains de quelques personnes ingénieuses & adroites qui suivent la nature pas-à-pas, & ne négligent rien pour l’imiter & la représenter dans leurs ouvrages comme dans elle-même.

En 1738, M. Seguin, natif de Mende en Gevaudan, & faisant à Paris une étude exacte & refléchie de Chimie & de Botanique, commença à faire des fleurs artificielles, qui ne le cédoient point en beauté & en perfection à celles d’Italie. Plusieurs autres personnes à son exemple & par émulation, s’y sont appliquées avec une nouvelle attention, mais ne l’ont cependant suivi que de fort loin. Il invente tous ses outils, les forge, les cisele, ou les grave lui-même ; ce qui lui a attiré plusieurs procès, & nouvellement encore de la part des Peintres, qui prétendoient qu’il empiétoit sur leur art, en donnant à ses fleurs la couleur des naturelles : mais comme il n’y employe point absolument de pinceau, qu’il peut indifféremment se servir de la premiere chose qu’il rencontre sous sa main, & qu’il peut même les teindre en les plongeant simplement dans la couleur, les Peintres ont été déboutés de leurs demandes, & contraints de le laisser tranquille dans le libre exercice de sa profession.

Il en a été de même de quelques autres contestations qu’il a eu avec diverses communautés qui vouloient le contraindre à prendre leurs lettres de maîtrise, ou de former un corps de jurande particulier avec les autres fleuristes. Sa maniere de travailler différente à l’infini selon les différens ouvrages qu’il fait, & inconnue à tous les ouvriers qui prétendent que telle ou telle machine est de leur compétence & du ressort de leur art ; l’ignorance de chacun de ces ouvriers qui conviennent pour la plûpart de ne pouvoir pas exécuter ce qu’il fait : tout cela, dis-je, a mis M. Seguin à l’abri de leurs poursuites. D’ailleurs tous ses ouvrages étant purement de génie & d’invention, il n’a pû encore apprendre à personne son art dans ce qu’il contient de plus singulier & de plus curieux : ce n’est pas qu’il ne s’y soit prêté de bonne grace à l’égard de plusieurs éleves qui ont travaillé sous ses yeux, mais qui n’ayant qu’une pratique méchanique & d’habitude, sans connoissance des productions de la nature dans leurs différens états, n’ont pû le suivre dans ses découvertes.

Il ne se borne pas à faire des fleurs ; il exécute dans une parfaite imitation tout ce qui entre dans la structure d’un parterre & d’un jardin. Il a exécuté d’assez gros troncs d’arbres avec leur écorce, leurs nœuds, & les autres inégalités que la nature peut y produire ; des arbres entiers chargés de leurs fruits ; d’autres dont les feuilles pâles & mortes semblent toutes prêtes à tomber ; des fleurs sur leurs tiges, leurs branches, & leurs feuilles, dont les couleurs & les grandeurs variées par proportion, sont on tout ressemblantes aux naturelles. Il a fait différens morceaux d’architecture en treillage de carton, recouvert d’une verdure découpée très-fine, imitant assez les feuilles minces & étroites du pin, & ornée de fleurs qui en forment le coup-d’œil. Ces morceaux d’architecture sont destinés à couvrir les tables, où ils représentent ces beaux grillages qu’on voit dans quelques-uns de nos jardins.

Quant aux matériaux qu’il employe, c’est du parchemin dont il fait plus d’usage ; il le teint lui-même, n’en trouvant point à Paris de toutes les nuances dont il a besoin pour copier chaque plante dans ses différens verds. Il se sert aussi de toile, de coques de vers à soie, de fil-de-fer pour les queues de ses fleurs, & d’une petite graine pour imiter celles qu’on voit dans le cœur des fleurs naturelles. Cette graine se colle sur de la soie non-filée, qui tient à la queue de la fleur.

Il a imité les fleurs de la Chine avec de la moëlle de sureau, & a donné la premiere idée d’une sorte de fleurs en feuilles d’argent colorées, dont on fait des bouquets pour les femmes, dont on garnit leurs coëffures, & quelquefois les habits de masque.

Il est aisé de s’appercevoir que l’art de faire des fleurs artificielles ainsi exercé, demande quelque talent & une grande exactitude à considérer la nature ; car ce n’est pas assez de connoître la grandeur, la couleur, & la découpure d’une fleur, il faut encore faire attention aux divers états par où elle passe, puisque si l’on ne connoît les changemens qui lui arrivent à son commencement, dans le tems de son épanoüissement, lorsqu’elle est épanoüie & brillante, enfin depuis l’instant où elle a commencé de poindre jusqu’à ce qu’elle soit entierement flétrie, il est impossible de la copier au naturel. Il faut étudier jusqu’aux différentes verdures qui se trouvent dans les branches d’une fleur, d’une plante, ou d’un arbre, & les diverses sinuosités que ces branches font ensemble ; d’où l’on peut conclure que l’art de bouquetier artificiel demande plus de soin & de talent qu’on ne pense.

Pour ce qui regarde les outils de cet art, il n’y en a point de déterminés, chaque fleuriste en ayant qui lui sont particuliers, & que les autres ne connoissent point. Les plus communs sont les ciseaux, les pinces, les poinçons, dont nous ne donnerons point de figure, le lecteur pouvant les trouver à l’article des arts où ces instrumens sont absolument nécessaires.

Il n’y a point non plus de terme dans cet art qui ait besoin d’une explication particuliere.