L’Encyclopédie/1re édition/FLAGEOLET

* FLAGEOLET, s. m. (Lutherie.) Il y a deux sortes de flageolets ; l’un qu’on appelle le flageolet d’oiseau, & l’autre, le flageolet gros : le flageolet d’oiseau est le plus petit ; il est composé de deux parties qui se séparent ; l’une qui est proprement le flageolet, composée de la lumiere & du canal percé de trous, l’autre qui est un porte-vent, formée d’un petit tuyau & d’une cavité assez considérable où l’on enferme une petite éponge qui laisse passer l’air & qui retient l’humidité de l’haleine. Voyez dans nos Planches de Lutherie ce flageolet assemblé, & ses parties séparées. Le gros flageolet ne differe du précédent qu’en ce qu’il n’a point de porte-vent ; qu’il est à bec & tout d’une piece. Voyez aussi nos Planches. Ces flageolets ont l’un & l’autre la même tablature ; & tout ce que nous allons dire leur est commun, excepté que les sons du flageolet d’oiseau sont plus legers, plus délicats, ont moins de corps, & s’écoutent avec plus de plaisir : il est appellé flageolet d’oiseau, parce qu’on s’en servoit pour siffler les serins, les linotes, & autres oiseaux, avant qu’on eût la serinette, qui est moins parfaite, mais qui épargne beaucoup de peine.

Le flageolet a six trous : le second, le troisieme, & le quatrieme & le sixieme sont dessus, du même côté que la lumiere ; le premier & le cinquieme sont dessous, ou du côté opposé à la lumiere : le premier trou & le dernier ont deux caracteres ; le premier peut être considéré comme le dernier, en passant de l’aigu au grave ; & le dernier peut être considéré comme le premier en passant du grave à l’aigu.

Quand les six trous sont bouchés, la main gauche bouche le premier, le second, & le troisieme ; & la main droite le quatrieme, le cinquieme, & le sixieme.

Le pouce de la main gauche bouche le premier, l’index le second, & le doigt du milieu le troisieme ; le pouce de la main gauche bouche le cinquieme, l’index le quatrieme, & le doigt du milieu le sixieme.

Il y en a d’autres qui y font servir les quatre premiers doigts de la main gauche, le pouce, & les trois suivans, & les trois premiers de la main droite dont ils employent celui du milieu à boucher la patte, quand il en est besoin.

Cet instrument se fait avec l’yvoire, le buis, le prunier, l’ébenne, & autres bois durs. Son diapason ne suit ni celui des cordes, ni celui des tuyaux de l’orgue. Voici sa tablature & son étendue communes.

D’où l’on voit que l’étendue de cet instrument est d’une quinzieme. Les maîtres montrent d’abord à joüer en G ré sol tierce majeure, ensuite en G ré sol tierce mineure.

Il faut boucher les trous exactement, quand on veut faire les tons naturels, & ne les boucher qu’à demi pour faire les semi-tons chromatiques ; car on peut exécuter vingt-huit semi-tons de suite sur le flageolet.

Si l’on veut faire le ton plus grave, il faut boucher les six trous, & celui de la patte à demi.

Il y a peu d’instrumens à vent qui demandent autant de legereté de doigts, & une haleine plus habilement ménagée : aussi est-il très-fatiguant pour la poitrine.

On peut faire, par le seul ménagement de l’air, les sons ut, re, mi, fa, sol, la, tous les trous étant bouchés, même celui de la patte, qu’on peut dans cette expérience, laisser ouvert ou bouché : il faut commencer d’une haleine très-foible ; ces sons sont très-foibles & très-difficiles à sonner juste.

En bouchant plus ou moins la patte d’un flageolet de quatre pouces & cinq lignes de long, on fait monter ou descendre l’instrument d’une tierce majeure, quoiqu’on ne se serve ordinairement de ce trou que pour le semi-ton. Ce phénomene ne réussit pas sur tous.

Il est difficile d’empêcher cet instrument d’aller à l’octave & de tenir à son ton, malgré toute la foiblesse de l’haleine, sur-tout lorsqu’il n’a que trois ou quatre pouces de long ; & quand il octavie, les trous étant bouchés, souvent il redescend à son ton naturel, en ouvrant tous les trous, au lieu de continuer ses sons à l’octave en-haut : ainsi il octavie beaucoup plus aisément les trous bouchés que débouchés. D’où il arrive qu’on lui donne plus aisément son ton naturel en ouvrant le demi-trou, qu’en le fermant.

Il faut savoir que le sixieme trou ne doit être qu’à demi ouvert, & non tout débouché, pour donner les tons qui passent à l’octave naturel de l’instrument.

Il y a de très-belles inductions à tirer de ces différens phénomenes pour la théorie générale des sons des instrumens à vent : ils suggéreront aussi à l’homme intelligent beaucoup d’expériences curieuses, dont une des plus importantes seroit de voir si un instrument de même construction & de même longueur qu’un flageolet, mais de différente capacité ou différent diametre, octavieroit aussi facilement : je n’en crois rien. Je suis presque sûr qu’en général moins un instrument à vent aura de diametre, plus il octaviera facilement.

Lorsqu’un instrument à vent a très-peu de diametre, la colonne d’air qu’il contient ne peut presque osciller sans se diviser en deux : ainsi le moindre souffle le fait octavier.

Cette cause en sera aussi une d’irrégularité dans la distance dont on percera les trous ; & un phénomene en ce genre étant donné, il ne seroit pas impossible de trouver la loi de cette irrégularité pour des instrumens d’une capacité beaucoup moindre, depuis celui dont la longueur est si grande & la capacité si petite, qu’il ne raisonne plus, jusqu’à tel autre instrument possible où l’irrégularité de la distance des trous cesse.

Mais le phénomene nécessaire pour la solution du problème, le flageolet le donne. On sait que sur cet instrument, si la distance des trous suivoit la proportion des tons, il faudroit que le quatrieme trou fût seulement d’une huitieme partie plus éloigné de la lumiere que le cinquieme trou ; cependant il en est plus éloigné d’une quatrieme partie, quoiqu’il ne fasse descendre le flageolet que d’un ton ; il en est de même du troisieme trou relativement au quatrieme. Les trous trois, deux, un, suivent un peu mieux la loi des diapasons des cordes & des autres instrumens à vent.

Il n’y a guere que la théorie où les instrumens à vent sont comparés avec les instrumens à corde, & où l’on regarde dans les premiers la longueur de l’instrument à vent comme la longueur de la corde ; la grosseur de la colonne d’air contenu dans l’instrument à vent, comme la grosseur de la corde ; le poids de l’atmosphere au bout de l’instrument à vent, comme le poids tendant de la corde ; l’inflation de l’instrument à vent, comme la force pulsante de la corde ; l’oscillation de la colonne d’air dans la capacité de l’instrument à vent, comme l’oscillation de la corde ; les divisions de cette colonne par les trous, comme les divisions de la corde par les doigts : il n’y a guere que cette théorie, dis-je, qui puisse expliquer les bizarreries du flageolet, & en annoncer d’autres dans d’autres instrumens possibles.