L’Encyclopédie/1re édition/FESCENNIN

FESCENNIN (vers) adj. m. (Littérat.) en latin fescennini versus, vers libres & grossiers qu’on chantoit à Rome dans les fêtes, dans les divertissemens ordinaires, & principalement dans les nôces.

Les vers fescennins ou saturnins (car on leur a donné cette seconde épithete), étoient rudes, sans aucune mesure juste, & tenoient plus de la prose cadencée que des vers, comme étant nés sur le champ & faits pour un peuple encore sauvage, qui ne connoissoit d’autres maîtres que la joie & les vapeurs du vin. Ces vers étoient souvent remplis de railleries grossieres, & accompagnées de postures libres & de danses deshonnêtes. On n’a qu’à se représenter des paysans qui dansent lourdement, qui se raillent par des impromptus rustiques ; & dans ces momens, ou avec une malignité naturelle à l’homme, & de plus aiguisée par le vin, on les voit se reprocher tour-à-tour tout ce qu’ils savent les uns des autres : c’est ce qu’Horace nous apprend dans une épitre qu’il adresse à Auguste :

Fescennina per hunc inventa licentia morem
Versibus alternis, opprobria rustica fudit.

Epist. 1. lib. II. v. 145.

Les vers libres & obscenes prirent le nom de fescennins, parce qu’ils furent inventés par les habitans de Fescennie, ville de Toscane, dont les ruines se voyent encore à un bon quart de lieue de Galèse.

Les peuples de Fescennie accompagnoient leurs fêtes & leurs réjoüissances publiques, de représentations champêtres, où des baladins déclamoient des especes de vers fort grossiers, & faisoient mille bouffonneries dans le même goût. Ils gardoient encore moins de mesure dans la célébration des nôces, où ils ne rougissoient point de salir leurs poésies par la licence des expressions : c’est de-là que les Latins ont dit, fescennina licentia, & fescennina locutio, pour marquer principalement les vers sales & deshonnêtes que l’on chantoit aux nôces.

Ces sortes de vers parurent sur le théatre, & tinrent lieu aux Romains de drame régulier pendant près de six vingts ans. La satyre mordante à laquelle on les employa, les décrédita encore plus que leur grossiereté primitive ; & pour lors ils devinrent vraiment redoutables. On rapporte qu’Auguste, pendant le Triumvirat, fit des vers fescennins contre Pollion, mais que celui-ci, avec tout l’esprit propre pour y bien répondre, eut la prudence de n’en rien faire ; « parce que, disoit-il, il y avoit trop à risquer d’écrire contre un homme qui pouvoit proscrire ».

Enfin Catulle voyant que les vers fescennins employés pour la satyre étoient proscrits par l’autorité publique, & que leur grossiereté dans les épithalames n’étoit plus du goût de son siecle, il les perfectionna & les châtia en apparence du côté de l’expression : mais s’il les rendit plus chastes par le style, en proscrivant les termes grossiers, ils ne furent pas moins obscenes pour le sens, & bien plus dangereux pour les mœurs. Les termes libres d’un soldat gâtent moins le cœur, que les discours fins, ingénieux, & délicatement tournés d’un homme qui fait métier de la galanterie. Pétrone est moins à craindre dans ses ordures grossieres que ne le sont des expressions voilées semblables à celles dont le comte de Bussy Rabutin a revêtu ses Amours des Gaules. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.