L’Encyclopédie/1re édition/FÊTE des morts

Fête des Morts ou Festin des Morts, (Hist. mod.) cérémonie de religion très-solennelle en l’honneur des morts, usitée parmi les Sauvages d’Amérique, qui se renouvelle tous les huit ans parmi quelques nations, & tous les dix ans chez les Hurons & les Iroquois.

Voici la description qu’en donne le P. de Charlevoix, dans son journal d’un voyage d’Amérique, p. 377. « On commence, dit cet auteur, par convenir du lieu où se fera l’assemblée ; puis on choisit le roi de la fête, dont le devoir est de tout ordonner, & de faire les invitations aux villages voisins. Le jour marqué étant venu, les Sauvages s’assemblent, & vont processionnellement deux à deux au cimetiere. Là chacun travaille à découvrir les corps, ensuite on demeure quelque tems à considérer en silence un spectacle si capable de fournir les plus sérieuses réflexions. Les femmes interrompent les premieres ce religieux silence, en jettant des cris lamentables qui augmentent encore l’horreur dont tout le monde est pénétré.

» Ce premier acte fini, on prend ces cadavres, on ramasse les ossemens secs & détachés, on les met en paquets ; & ceux qui sont marqués pour les porter, les chargent sur les épaules. S’il y a des corps qui ne soient pas entierement corrompus, on en détache les chairs pourries & toutes les ordures ; on les lave, & on les enveloppe dans des robes de castors toutes neuves. Ensuite on s’en retourne dans le même ordre qu’on avoit gardé en venant ; & quand la procession est rentrée dans le village, chacun dépose dans sa cabane le dépôt dont il étoit chargé. Pendant la marche, les femmes continuent leurs éjaculations, & les hommes donnent les mêmes marques de douleur qu’au jour de la mort de ceux dont ils viennent de lever les tristes restes : & ce second acte est suivi d’un festin dans chaque cabane, en l’honneur des morts de sa famille.

» Les jours suivans on en fait de publics, accompagnés de danses, de jeux, de combats, pour lesquels il y a des prix proposés. De tems en tems on jette de certains cris, qui s’appellent les cris des ames. On fait des présens aux étrangers, parmi lesquels il y en a quelquefois qui sont envoyés à 150 lieues, & on en reçoit d’eux. On profite même de ces occasions pour traiter des affaires communes, ou de l’élection d’un chef… Tout, jusqu’aux danses, y respire je ne sai quoi de lugubre, & on y sent des cœurs percés de la plus vive douleur… Au bout de quelques jours on se rend encore processionnellement dans une grande salle du conseil, dressée exprès ; on y suspend contre les parois, les ossemens & les cadavres, dans le même état où on les a tirés du cimetiere ; on y étale les présens destinés pour les morts. Si parmi ces tristes restes il se trouve ceux d’un chef, son successeur donne un grand repas en son nom, & chante sa chanson. En plusieurs endroits les corps sont promenés de bourgade en bourgade, & reçûs par-tout avec de grandes démonstrations de douleur & de tendresse. Par-tout on leur fait des présens, & on les porte enfin à l’endroit où ils doivent être déposés pour toûjours… Toutes ces marches se font au son des instrumens, accompagné des plus belles voix, & chacun y marche en cadence.

» La derniere & commune sépulture est une grande fosse qu’on tapisse des plus belles pelleteries & de ce qu’on a de plus précieux. Les présens destinés pour les morts, sont placés à part. A mesure que la procession arrive, chaque famille s’arrange sur des especes d’échafauds dressés autour de la fosse ; & au moment que les corps sont déposés, les femmes recommencent à crier & à pleurer ; ensuite tous les assistans descendent dans la fosse, & il n’est personne qui n’en prenne un peu de terre, qui se conserve précieusement. Ils s’imaginent que cette terre porte bonheur au jeu. Les corps & les ossemens sont arrangés par ordre, couverts de fourrures toutes neuves, & par-dessus d’écorces, sur lesquelles on jette des pierres, du bois & de la terre. Chacun se retire ensuite chez soi, &c. ».