L’Encyclopédie/1re édition/ESQUINANCIE
ESQUINANCIE, s. f. (Medec.) est le nom d’une maladie de la gorge, que les Latins appellent angina, angine, d’ango, je serre, parce qu’il se fait un resserrement dans le gosier, par les causes de l’esquinancie ; ainsi la signification générale du mot angina convient à toute sorte d’affection des parties du gosier, qui tend à former des obstacles dans les voies qui servent à la respiration & à la déglutition, sans que le thorax, les visceres qui y sont renfermés, & l’estomac, y soient intéressés essentiellement.
Les anciens medecins, & particulierement les Grecs, qui vivoient peu de tems avant Galien, ont distingué l’angine de quatre différentes manieres, dont ils ont tiré autant d’especes de cette maladie, auxquelles ils ont donné des noms propres. Ils ont appellé cynanche, κυνάγκειν, l’angine, dans laquelle le vice réside dans les muscles & les parties inférieures du larynx. Ils ont fait allusion par ce mot, à l’état de ceux qui sont attaqués de cette espece d’angine, dans lequel ils tirent la langue, comme les chiens que l’on étrangle. Ils ont donné le nom paracynanche, παρακυνάγκειν, à l’angine dans laquelle le vice réside dans les parties extérieures du larynx. La préposition para est employée dans ce cas, comme dans bien d’autres, par les auteurs grecs, devant le nom d’une maladie, pour en distinguer l’espece la moins violente. Ils ont nommé synanche, συνάγκειν, l’angine qui attaque l’intérieur du pharynx ; & <span class="coquille" title="paracynanche, παρακυνάγκειν">parasynanche, παρασυναγκειν, celle qui a son siége à l’extérieur. Ces différens mots grecs sont composés de ἄγκειν, serrer, étrangler ; & de σὺν, avec ; ou de κύων, chien : ainsi de συνάγκειν ou de κυνάγκειν on a formé le mot françois esquinancie.
Mais comme il arrive très-souvent qu’à cause de la proximité le pharynx n’est pas affecté sans que le larynx le soit, & réciproquement, ces distinctions sont plûtôt des subtilités que des conséquences tirées de l’observation : ainsi on ne doit pas y avoir égard pour prendre une juste idée de cette maladie ; il vaut mieux la diviser, avec les modernes, 1° en légitime ou vraie, qui est celle dans laquelle le gosier est retréci par une inflammation ; & en fausse, dans laquelle la gorge est affectée dans quelques-unes de ses parties, par un œdeme ou par un skirrhe qui gêne le passage de l’air ou des alimens : 2° en suffocatoire & non suffocatoire : 3° en idiopathique & en sympathique : 4° en épidémique & sporadique. Quelques auteurs distinguent encore l’angine en suppuratoire, en gangréneuse, en convulsive ; en celle qui est accompagnée de tumeurs, & en celle qui est sans tumeurs apparentes.
Le siége de cette maladie est principalement dans les différentes parties qui composent le larynx & le pharynx ; & toutes celles qui les avoisinent, telles que la langue, les amygdales, le voile du palais, la luette, la trompe d’Eustachi, & toutes les membranes musculeuses qui tapissent le fond de la gorge ; la concavité de la voûte osseuse formée au-dessus du larynx & du pharynx, où il se forme quelquefois des concrétions polypeuses, des sarcomes, qui en grossissant peuvent souvent boucher l’ouverture des arriere-narines, tenir baissé le voile du palais, descendre jusque sur le larynx, couvrir la glotte, la boucher, la presser. Le vice qui constitue l’angine s’étend aussi très-souvent à la membrane pituitaire, à celle qui revêt l’intérieur de la trachée-artere & de l’œsophage, & aux glandes dispersées dans toutes ces parties.
Les causes de l’esquinancie sont aussi différentes que les especes. Dans celle qui provient d’inflammation, il se forme subitement un obstacle à la circulation du sang dans les extrémités des vaisseaux sanguins, qui s’engorgent, se dilatent, se distendent. Les orifices des vaisseaux lymphatiques qui en naissent, sont ouverts à mesure, sont forcés à transmettre les globules rouges : la tumeur & tous les symptomes de l’inflammation s’ensuivent. Voyez Inflammation. Dans l’angine œdémateuse ce n’est que l’humeur lymphatique qui s’arrête dans ses conduits, ensuite de la compression des veines dans lesquelles ils s’évacuent ; de l’obstruction dans le follicule des glandes muqueuses, ou dans leurs excrétoires ; du froid qui resserre l’extrémité de ces mêmes vaisseaux ; de la lenteur du mouvement des fluides : cette humeur s’y accumule, d’où naît le plus grand volume des parties affectées, qui cause l’empêchement de l’exercice des organes destinés à la respiration ou à la déglutition. Si le dépôt de cette humeur dure pendant quelque tems, il se fait une séparation des parties les plus fluides ; les grossieres qui restent se durcissent ; & forment la matiere d’un skirrhe ; d’où l’angine skirrheuse, qui peut ensuite devenir chancreuse par des causes particulieres. Voyez Skirrhe, Chancre.
La cause de l’angine suffocatoire est celle de l’inflammation même, qui a son siége dans l’intérieur du larynx ; ensorte qu’il en résulte un si grand resserrement de la glotte, qu’elle ne permet pas l’entrée de l’air dans les poumons. Dodonée fait mention dans ses observations, de plusieurs esquinancies de cette espece, entr’autres à l’égard d’un boucher, qui s’étant plaint sur le midi d’une douleur à la gorge, d’une difficulté de respirer & d’avaler, mourut comme étranglé la nuit suivante.
La cause de l’angine non suffocatoire, est celle de l’inflammation de l’œdeme ou du skirrhe, ou toute autre qui a son siége dans des parties qui n’intéressent pas notablement la respiration.
L’angine idiopathique provient de l’une de ces causes mentionnées ci-devant, qui a son siége dans quelques-unes des parties même de la gorge, sans qu’elle provienne d’aucune autre maladie qui ait précédé, ni d’aucun vice des parties voisines.
La sympathique est causée par le vice de quelque autre partie qui influe sur celles de la gorge par communication, comme la luxation d’une vertebre du cou, occasionnée par une tumeur ou par quelque accident ; les vents arrêtés dans l’œsophage, qui compriment les différentes parties de la gorge ; le resserrement convulsif, ou le trop grand relâchement de ces mêmes parties, qui empêche l’exercice de leurs fonctions.
Les causes de l’esquinancie épidémique doivent être déduites de celles de l’épidémie en général (voyez Epidémie) : elles ne sont pas encore assez connues, pour qu’on puisse déterminer pourquoi elles affectent plûtôt une partie du corps qu’une autre ; tout ce que l’on peut dire, c’est que si le vice est dans l’air que l’on respire, il doit affecter plûtôt les parties auxquelles il s’applique immédiatement & sans interruption, que toute autre ; par conséquent toutes celles de la gorge, vû sur-tout la grande délicatesse de leur tissu. L’esquinancie sporadique ne peut être attribuée qu’au mauvais usage que l’on fait des choses appellées non naturelles.
Pour ce qui est de l’angine suppuratoire, elle doit sa cause à l’inflammation qui a précédé ; elle en est une suite, une terminaison, de même que la gangréneuse. Voyez Suppuration, Gangrene.
Le différent siége de l’engorgement des vaisseaux qui constitue le plus souvent l’esquinancie, étant intérieur ou extérieur, établit en-dehors ou en-dedans la tumeur dont elle est accompagnée dans ce cas ; ce qui la rend apparente ou non apparente. Il arrive aussi quelquefois qu’il n’y en a pas du tout ni en-dehors ni en-dedans, dans des cas où l’esquinancie provient, par exemple, du relâchement ou de la paralysie de la partie affectée.
Tout ce qui vient d’être dit des causes prochaines de l’esquinancie considérée dans ses différentes especes, réduit toutes les distinctions qu’on en fait, à deux principales ; savoir à l’esquinancie vraie & à la fausse, puisque toutes ces différences doivent être rapportées à l’une & à l’autre. La vraie, qui est toûjours causée par l’inflammation, est accompagnée souvent de symptomes si funestes, que la cause qui les produit ne laisse pas le tems d’y apporter aucun remede, ou rend inutiles ceux qu’on peut employer ; l’angine vraie est par conséquent celle qui exige le plus d’attention : l’ordre mene à en rechercher les causes éloignées.
Toutes celles qui peuvent contribuer à établir l’inflammation en général, peuvent produire l’angine inflammatoire ; mais il y a aussi bien d’autres causes particulieres qui peuvent déterminer l’inflammation sur les parties qui sont le siége de l’angine : telles sont la disposition particuliere du sujet qui en est affecté. Les jeunes gens y sont plus sujets que les vieillards, comme aussi ceux qui sont d’un tempérament sanguin. Sydenham a remarqué que les personnes qui ont le poil roux, sont plus souvent atteintes de cette maladie que d’autres. Quelques auteurs prétendent aussi qu’elle attaque moins les femmes que les hommes : ils appuient leur opinion sur un passage d’Hippocrate, liv. VI. des Epidémies, sect. vij. dans lequel, en décrivant une constitution épidémique, il assûre que parmi un grand nombre de personnes qui avoient été malades par des péripneumonies, des rhumes, des angines, il s’étoit trouvé très-peu de femmes ; ce que l’on pourroit attribuer à ce qu’elles s’exposent moins aux différentes causes occasionnelles qui peuvent produire ces sortes de maladies épidémiques, & qu’elles ont en général le sang moins chaud.
Aussi voit-on que tout ce qui peut en augmenter l’activité, contribue à procurer l’angine, comme la fin du printems, l’entrée de l’été ; les exercices violens, & sur-tout ceux de la gorge, tels que les déclamations soûtenues, le chant, les cris ; la sécheresse de cette partie, causée par l’air chaud que l’on respire au soleil ou dans un lieu chaud quelconque, comme un poële, &c. la course à cheval contre le vent froid, les grandes agitations du corps dans un air froid, une grande chaleur qui succede à un grand froid dans le printems ; comme aussi les fraîcheurs de la nuit, qui se font sentir ordinairement dans cette saison, après des jours assez chauds. C’est même de cette derniere cause dont Sydenham ne craint pas d’assûrer qu’elle fait périr plus de monde que la peste, la guerre, & la famine.
L’angine inflammatoire qui est occasionnée par quelques-unes de ces différentes causes, produit différens symptomes, parmi lesquels il en est de très-violens & de terribles, selon la diversité des parties qui en sont le siége.
Les symptomes communs à toute sorte d’angine qui la caractérisent, sont la difficulté de respirer ou d’avaler, avec un sentiment de douleur dans le fond de la gorge, sans que le thorax & les poumons ni l’estomac soient essentiellement affectés. L’angine vraie est distinguée en général de la fausse, parce que celle-là est accompagnée de rougeur, de chaleur dans le siége de la maladie, & la fievre s’y joint ordinairement : celle-ci n’est essentiellement accompagnée d’aucun de ces symptomes. On peut aussi distinguer par des signes propres les différentes parties affectées dans l’angine vraie ; si elle a son siége dans la membrane musculeuse de la trachée artere, on y ressent tous les symptomes de l’inflammation avec une fievre ardente très-violente, sans qu’il paroisse rien de changé à l’extérieur & dans le fond de la gorge : dans ce cas le malade a les yeux enflammés, saillans hors de la tête comme ceux d’un animal qu’on étrangle, & quelquefois même tournés : il parle avec beaucoup de peine ; il ne peut souvent pas articuler les paroles de maniere à se faire entendre ; la voix est aiguë & semblable aux cris des petits chats. Il est obligé de tenir toûjours la bouche ouverte, & il en coule une salive écumeuse ; il tire la langue, qui paroît enflammée & fort enflée : les levres deviennent livides ; il a le cou roide ; on y voit souvent de l’enflure avec rougeur ; douleur & pulsation ; les veines jugulaires, frontales, canines paroissent variqueuses & fort gonflées ; la respiration est petite, fréquente. Le malade ne peut exercer cette fonction qu’étant sur son séant & avec de grands efforts, ce qui indique combien la circulation du sang est gênée dans les poumons ; il paroît avide de respirer un air frais, parce qu’il se sent une chaleur brûlante dans la poitrine : le pouls change à tout instant ; le malade est dans une agitation continuelle, d’une inquiétude extrème ; il se jette souvent hors du lit ; il ne peut pas rester couché sur le dos ; il ne voit, il n’entend que confusément ; il ne sait ni ce qu’il dit ni ce qu’il fait, tant il est occupé de la crainte de la suffocation, dont il est fortement menacé : quelquefois même il tombe dans un vrai délire.
Plus le mal est voisin de la glotte, plus les symptomes mentionnés sont violens ; & si l’inflammation gagne les muscles qui servent à la fermer, la suffocation suit de près : c’est le cas le plus terrible ; c’est l’angine la plus funeste ; c’est celle de cette espece que quelques auteurs distinguent par le nom de suffocatoire : Hippocrate en donne une description bien exacte, lib. III. de morbis. Il convient ici d’observer que dans cette sorte d’esquinancie il arrive souvent que non-seulement les parties intérieures du larynx & de la trachée-artere sont affectées, mais encore les poumons ; ce qui contribue beaucoup à rendre la respiration difficile : c’est ce qui a été prouvé par l’ouverture des cadavres de plusieurs personnes qui étoient mortes suffoquées par l’effet de la maladie dont il s’agit. Dodonée assûre dans ses observations avoir trouvé dans ce cas les poumons purulens ou abscédés.
Si l’inflammation n’affecte que les muscles destinés à élever l’os hyoide & le larynx, la respiration est presque aussi libre que dans l’état naturel ; le commencement de la déglutition est accompagné d’une douleur très-vive, & on peut appercevoir dans la gorge quelque rougeur avec tumeur.
Lorsque c’est le pharynx qui est enflammé, on peut en appercevoir les signes en examinant le fond de la bouche, après avoir abaissé la langue, en la comprimant vers sa base : la respiration est assez libre dans ce cas, mais la déglutition est très-douloureuse, se fait très-difficilement, & ne peut quelquefois pas se faire du tout. Ce que le malade veut avaler revient par les narines, ou il entre quelque partie dans le larynx & la trachée-artere, qui excite une toux violente : par conséquent il ne peut prendre ni aliment ni boisson ; la masse des humeurs s’échauffe, devient acre faute d’être renouvellée par le chyle ; la fievre qui accompagne presque toûjours cette espece d’angine, devient plus ardente, sans être aussi violente que dans la premiere espece, & celle-là ne tend pas aussi promptement à la mort.
Si l’inflammation a son siége dans les amygdales, la luete, les membranes musculeuses du voile du palais, ce dont on peut aussi s’assûrer par l’inspection des parties, la respiration est gênée, pénible ; il ne passe que peu ou point d’air par les narines : par conséquent le malade tient toûjours la bouche ouverte ; il ne peut avaler qu’avec de grandes douleurs, à cause que les organes affectées concourent beaucoup à la déglutition ; les alimens sont même souvent rejettés dans la bouche, parce qu’ils ne peuvent pas passer sous les arcades du voile du palais trop tendu & trop douloureux ; il se filtre une plus grande quantité d’humeurs dans les amygdales, & dans toutes les glandes muqueuses qui sont dispersées dans le tissu des parties enflammées : le malade ne cesse de cracher des matieres visqueuses, glaireuses en abondance ; il sent une douleur vive dans l’intérieur de l’oreille & dans la partie qui communique avec la gorge ; il sent aussi un craquement lorsqu’il avale, & quelquefois même il en résulte une surdité complette. Ces derniers accidens ne peuvent être attribués qu’à l’inflammation, qui affecte aussi la trompe d’Eustachi, en partie ou dans toute son étendue, ensorte même qu’elle s’étende jusqu’à la membrane qui tapisse la cavité du tambour de l’oreille.
Lorsque l’inflammation attaque l’œsophage proprement dit au-dessous du pharynx, les symptomes sont les mêmes que dans le cas où le pharynx est enflammé : on ne peut pas en découvrir les signes par l’inspection, mais le malade peut aisément indiquer le siége du mal par la douleur qu’il ressent dans la partie affectée, lorsque ce qu’il avale y est parvenu. La matiere de la déglutition est souvent repoussée & remonte dans la bouche, ce qu’on peut appeller regorgement, pour distinguer ce symptome du vomissement.
Si plusieurs de ces différentes especes d’inflammation attaquent en même tems un malade, il est facile d’en tirer la conséquence que la maladie sera d’autant plus violente & plus dangereuse, & les symptomes d’autant plus funestes, qu’il y aura un plus grand nombre de parties affectées : il est rare qu’aucune de ces especes d’inflammation se trouve solitaire ; le mal gagne de proche en proche, & s’étend plus ou moins sur les parties voisines.
L’angine aqueuse, œdémateuse, catarrheuse a ordinairement son siége dans les glandes, dans les vaisseaux secrétoires & excrétoires de la mucosité qui est destinée à lubrifier toutes les parties de la gorge ; ses effets sont l’enflure blanche & froide de ces mêmes parties, sans aucun des signes de l’inflammation, la douleur, s’il y en a, n’ayant lieu que par le mouvement & la distension des organes de la respiration ou de la déglutition : si la tumeur lymphatique devient schirreuse, on le connoît par les signes du skirrhe. Voy. Skirrhe. De même que si celui-ci devient chancreux, on en jugera par les signes du chancre. Voyez Chancre.
Les symptomes ci-dessus énoncés caractérisent l’angine suffocatoire, & la distinguent de la non suffocatoire ; l’idiopathique & la sympathique, l’épidémique & la sporadique ont aussi leur caractere propre, que leur qualité spécifique annonce suffisamment : la suppuratoire & la gangreneuse se font connoître par les signes de la suppuration & de la gangrene.
Toutes les angines humorales sont formées par des tumeurs ; mais il n’y en a point dans la paralytique & la convulsive qui dépendent des muscles de la partie affectée, trop constamment contractés ou relâchés par le défaut des nerfs moteurs, qui pechent par trop ou trop peu de jeu. L’esquinancie paralytique est souvent une suite de l’apoplexie, de l’émiplégie, des grandes évacuations, des longues convalescences, pendant lesquelles les forces diminuent de plus en plus, bien-loin de se rétablir, de la compression des nerfs, par la luxation de quelque vertebre du cou, sur-tout de la seconde, &c. L’angine convulsive est un symptome de maladie spasmodique, comme l’épilepsie, la passion hystérique, hypocondriaque : on distingue ces deux especes d’angine par le défaut de tumeur, tant au-dedans qu’au-dehors, & par les signes des maladies dont elles sont les accessoires.
Après avoir exposé les principaux symptomes de l’esquinancie, considérée dans ses différentes especes, & après en avoir déduit les signes diagnostics pour chacune en particulier, l’ordre exige de passer aux prognostics, que l’on peut aussi tirer de ces mêmes symptomes : l’observation enseigne en général que les angines dans lesquelles la respiration est gênée, sont les plus dangereuses, & que les autres qui ne font que rendre la déglutition difficile, sont le moins à craindre pour les suites, pourvû que la respiration ne soit point lésée. Pour ce qui est de l’angine vraie, inflammatoire, qui rend la respiration difficile, celle qui a son siége dans la cavité du larynx, auprès de la glotte & dans ses bords sur-tout, est la plus mauvaise de toutes, & il y a plus à craindre de celle qui empêche la déglutition, lorsque l’on ne peut découvrir aucune tumeur ni rougeur dans la gorge, & que cependant le commencement de l’exercice de la déglutition est fort douloureux. On peut aussi dire de toutes angines inflammatoires, qu’elles doivent être regardées comme très-pernicieuses, & le plus souvent mortelles, lorsqu’elles sont situées dans l’intérieur de la gorge, de maniere que l’on ne puisse appercevoir ni tumeur ni rougeur : les autres de la même espece, quoique très-fâcheuses, sont cependant souvent moins dangereuses, sur-tout s’il paroît des tumeurs & des rougeurs dans la gorge, au cou & sur la poitrine ; mais si elles rentrent & disparoissent, & que la respiration devienne plus gênée, c’est un très-mauvais signe, de même que si la douleur cesse tout-à-coup d’être manifeste, parce qu’il y a tout lieu de craindre, dans ce cas, que l’inflammation ne se termine bien-tôt par une gangrene mortelle. La suppuration, qui peut quelquefois terminer moins malheureusement l’angine, peut avoir aussi des suites très-dangereuses ; si l’abcès venant à se rompre tombe dans la trachée-artere, ce qui peut causer une prompte suffocation ; si sa formation est suivie d’une fievre hectique, d’une toux seche & fréquente, d’une douleur de côté & d’une expectoration repétée souvent de crachats blancs & visqueux : dans l’angine suffocatoire la mort prévient ordinairement la suppuration.
Quoiqu’il arrive quelquefois que certaine angine inflammatoire n’affecte qu’une des parties de la gorge, & reste solitaire, néanmoins le plus souvent l’inflammation gagne les parties voisines & s’étend beaucoup ; ensorte qu’il en résulte un concours de plusieurs différens symptomes qui produisent un desordre proportionné dans les fonctions des parties affectées : d’où il est aisé de conclure que la maladie sera d’autant plus difficile à guérir, que les diverses especes d’angine seront plus multipliées en même tems ; il y aura plus à craindre de funestes évenemens de la complication de tant de maux, qui finissent souvent par la mort, après avoir fait essuyer des tourmens & des angoisses supérieures à tout ce que la patience humaine peut surmonter.
Dans l’angine suffocatoire le malade périt par la syncope comme étranglé, au bout de dix-huit heures, depuis le commencement de la maladie, & dans les autres especes d’angines inflammatoires, qui ne sont guere moins violentes, la mort arrive vers le troisieme ou le quatrieme jour au plus tard. Toute angine formée par un dépôt critique à la suite d’une autre maladie, est mortelle : c’est un bon signe dans l’angine inflammatoire, de quelque espece qu’elle soit, que la respiration ne soit pas fort gênée, & que la déglutition de la salive & de la boisson se fasse sans beaucoup de peine ; que la fievre ne soit pas bien forte ; que le malade dorme, soit tranquille ; en un mot qu’il n’y ait aucun des mauvais symptomes mentionnés.
L’angine œdémateuse, catarrheuse, skirrheuse, & toute autre de cette nature, ne doit pas être regardée comme une maladie aiguë : ainsi comme elle est de plus long cours que l’inflammatoire la plus benigne, elle est aussi moins dangereuse ordinairement, tout étant égal. La cure est plus ou moins difficile, selon que l’humeur qui forme l’obstruction est plus ou moins susceptible de se résoudre aisément : si elle est devenue skirrheuse, le mal peut être de long cours, mais incurable ; à plus forte raison si le skirrhe dégénere en chancre, qui se trouve inévitablement toûjours exposé à l’air, & dont la matiere acre, rongeante détruit promptement toutes les parties auxquelles elle est appliquée, à cause de la délicatesse de leur tissu. De-là combien de maux qui, eu égard aux souffrances extrèmes qu’ils produisent, ne hâtent jamais assez la mort sûre qui les suit, & qui en peut être le seul remede.
L’angine paralytique est très-difficile à guérir ; si elle dépend d’une cause générale, elle dure quelquefois très long-tems : lorsqu’elle est causée par une résolution particuliere des muscles du larynx ou du pharynx, alors elle est suivie de marasme & de tous les mauvais effets du défaut de nourriture ; si la résolution est complete, la mort la suit de près. L’esquinancie paralytique causée par la luxation entiere d’une vertebre du cou, est aussi mortelle : si la luxation n’est pas entiere, on peut tenter la réduction, & la guérison peut suivre.
L’angine causée par une contraction spasmodique subite des muscles du larynx, peut causer la suffocation & une mort prompte : si la convulsion n’est pas violente, elle effraye plus qu’elle n’est dangereuse ; elle cesse & revient souvent dans les maladies où le genre nerveux est sujet à des mouvemens spasmodiques irréguliers. Le globe hystérique qu’éprouvent si souvent bien des femmes, est une angine convulsive avec flatulence : l’air arrêté dans l’œsophage, par un resserrement convulsif, se raréfie, comprime la trachée-artere & dispose à la suffocation ; effet qui n’est pas ordinairement de longue durée.
Il suit de tout ce qui a été dit jusqu’ici sur l’affection qu’on appelle angine ou esquinancie, que ce n’est pas une maladie simple, mais un assemblage de différentes maladies sous le même nom : elles ont toutes cela de commun, qu’elles consistent dans la lésion de la respiration, ou de la déglutition causée par un vice des organes, qui servent à ces fonctions, situés au-dessus des poumons & de l’estomac ; mais elles different en ce qu’elles sont avec tumeur apparente ou non apparente, ou sans tumeur, par la nature & le siége de la tumeur, quand il y en a, & par le nombre des parties affectées qui intéressent la respiration ou la déglutition, ou les deux fonctions ensemble, d’où résultent des effets si variés ; par conséquent on ne peut pas indiquer une méthode de traitement qui convienne à toutes les différentes especes d’angine : comme les causes sont si différentes, les remedes doivent être variés à-proportion, ensorte qu’ils soient même quelquefois opposés par leur nature dans les cas qui le sont aussi, sans avoir cependant beaucoup d’égard à la différence des parties affectées.
Car soit que le larynx soit enflammé, ou le pharynx, c’est le traitement de l’inflammation qui est indiqué pour l’une comme pour l’autre partie : le danger plus ou moins grand, exige seulement des remedes plus ou moins prompts.
L’angine inflammatoire peut se terminer de la même maniere que l’inflammation en général : ainsi la même cure de celle-ci convient à celle-là, dans ses différens états : (voyez Inflammation) comme dans celle-ci ; c’est à procurer la résolution de l’humeur morbifique qu’il faut diriger tous les secours employés à combatre l’angine : cette terminaison est même plus à desirer dans cette maladie que dans tout autre cas en général, parce que celles de la suppuration, du skirrhe, ou de la gangrene, ont des suites plus funestes dans les parties affectées, dont il s’agit, que dans toute autre : la gangrene, surtout, est toûjours suivie d’une mort prompte, lorsqu’elle est étendue & profonde ; car il conste, par plusieurs observations, que celle qui est superficielle peut être guérie, quoiqu’elle détruise & détache par morceaux, en forme de croûtes ou pellicules blanchâtres, toutes les membranes qui tapissent la bouche, la gorge, l’œsophage, les arriere-narines, & autres parties voisines.
Lors donc que l’on s’est assûré par les signes propres que l’esquinancie a son siége dans l’intérieur du larynx & aux environs de la glotte, & qu’elle est inflammatoire, on examine si l’inflammation est encore en nature ; si on la trouve telle, on doit employer, avec le plus de diligence qu’il est possible, les moyens les plus propres à la résoudre : pour cet effet, on a recours sans délai à la saignée ; on la fait abondante, & on la repete aux bras, aux piés, & ensuite aux jugulaires & aux ranules, jusqu’à ce que la pâleur du malade, le refroidissement des membres, la foiblesse, l’abattement des forces annonce que le volume des humeurs est suffisamment diminué, que les vaisseaux sont affaissés, & que l’effort du sang vers la tumeur n’est plus assez considérable pour l’augmenter & rendre les vaisseaux plus distendus dans les parties enflammées : on doit faire usage dans la même vûe des purgatifs, tant émétiques que cathartiques, & des lavemens de ces derniers sur-tout, rendus assez actifs dans les cas où le malade ne peut pas avaler, & où ils doivent par conséquent suppléer à tous évacuans de l’estomac & des intestins, sur-tout lorsque les remedes sont particulierement indiqués par les signes des mauvais levains dans les premieres voies, lesquels venant à passer dans le sang, peuvent contribuer à augmenter la cause du mal : c’est ainsi, par le moyen des lavemens, que l’on doit fournir, dans ce cas, au malade la nourriture qui lui est nécessaire, vû qu’il est démontré par l’expérience & l’anatomie, que les gros boyaux ont des veines lactées, propres à transmettre à la masse des humeurs, tant les remedes que les alimens, & ceux-ci sur-tout, de maniere qu’ils peuvent suffire pendant plusieurs jours pour soûtenir les forces du malade, pourvû qu’ils soient de nature à n’avoir pas besoin d’être préparés dans les visceres qui servent à la confection du chyle, & qu’ils contiennent un suc nourricier tout prêt, tels que les bouillons de viande, les œufs délayés, le lait coupé avec de l’eau, le petit-lait, les décoctions de pain : ces trois dernieres especes d’alimens liquides sont préférables dans l’angine, selon Sydenham, qui défend l’usage de ceux qui sont préparés avec la viande, à cause de la disposition qu’ils ont à se pourrir : voyez les observations des auteurs sur les lavemens nourrissans, recueillies par Stalpart Wanderwiel.
Il faut en même tems employer des médicamens nitreux & tirans sur l’acide, que l’on fait entrer dans la composition des gargarismes avec le miel, dont on humecte souvent la gorge pour ramollir le tissu de ses parties & le relâcher : c’est pour remplir la même indication que l’on fait aussi recevoir au malade la vapeur humide & tiede de quelque préparation à-peu-près de même nature que les gargarismes mentionnés ; on doit répeter, presque sans discontinuer, l’usage de ces secours, qui peuvent être d’autant plus efficaces, qu’ils sont appliqués aux parties même enflammées : on doit encore faire des applications extérieures sous forme de fomentation, de cataplasmes ; les épispastiques propres à faire dérivation vers quelqu’autre partie moins importante que celles qui sont enflammées, les ventouses, les sinapismes appliqués au cou & à la poitrine, peuvent aussi produire de bons effets.
Si c’est le voisinage de l’os hyoïde & l’extérieur du larynx qui sont enflammés, on doit employer les mêmes remedes, mais plus legers & d’une maniere moins pressante : les cataplasmes adoucissans & relâchans, & toute application extérieure qui peut ramollir, sont plus particulierement recommandés dans les angines de cette espece.
L’inflammation du pharynx ne demande que les mêmes remedes indiqués dans les cas précédens, mais sur-tout les gargarismes & les suffumigations, dont on doit faire un usage encore plus fréquent, avec attention de ne mettre en mouvement les organes affectés, que le moins qu’il est possible : ainsi la matiere des gargarismes doit être retenue dans la bouche sans l’agiter, & les vapeurs doivent être reçues sans faire autre chose que tenir la bouche ouverte & immobile.
Si l’angine est suffocatoire, & que les remedes indiqués ayent été employés trop tard, ou qu’on ne les ait pas mis en usage, ou qu’on l’ait fait inutilement ; si la maladie ne fait que commencer, & qu’elle menace cependant d’étrangler le malade ; si les symptomes, quoique très-mauvais, n’annoncent pas que l’inflammation soit devenue gangreneuse, dans ce cas il faut avoir recours à l’opération qu’on appelle bronchotomie, pourvû que l’inflammation & l’obstacle à la respiration ne soient pas situés au-dessous de l’endroit où l’on peut faire l’ouverture de la trachée artere, pour suppléer par cette issue au défaut de la glotte qui est fermée dans ce cas. Voyez Bronchotomie.
Si l’inflammation angineuse a fait des progrès, & qu’il se soit formé un abcès, on tâchera de la faire ouvrir par des applications émollientes, relâchantes, qui puissent affoiblir le tissu du sac qui contient la matiere de la suppuration ; les gargarismes, les cataplasmes appropriés, doivent être employés à cette fin : on pourra aussi dans ce cas ranimer les forces du malade, pour que le mouvement des tumeurs augmenté fasse effort dans l’intérieur de l’abcès, & en déchire les parois, pourvû qu’on n’ait rien à craindre par cette augmentation de volume de la compression des parties voisines de l’abcès ; s’il se trouve à portée d’être observé, & qu’il ne paroisse pas assez-tôt disposé-à s’ouvrir, après qu’on s’est assûré que la tumeur est molle, que la matiere contenue est au point de maturation convenable pour être évacuée avec facilité, on doit en faire l’ouverture de la maniere que l’art le prescrit (voyez Abcès) : s’il arrive que la matiere de l’abcès se répande, par quelle cause que ce soit, dans l’intérieur de la trachée artere, il faut se hâter de l’évacuer en lui donnant issue par le moyen de la bronchotomie qui dégorge les poumons plus promptement que par la voie de la seule glotte : après l’ouverture d’un abcès, dans quelle partie de la gorge que ce puisse être, on doit faire user au malade de gargarismes & de tisannes propres à déterger les ulceres.
Lorsque l’angine devient gangreneuse, & que les parties ne sont pas assez profondément affectées pour que la mort suive de près, il convient d’empêcher les progrès de l’inflammation, pour arrêter ceux de la gangrene ; ce que l’on fait par les saignées ultérieures, si les forces le permettent, par les laxatifs propres à procurer une douce évacuation par la voie des selles, par les lavemens, par les autres remedes appropriés. Voyez Gangrene. L’oximel délayé avec la décoction de fleur de sureau, peut être employé très-utilement en gargarismes, & sous forme de vapeurs reçues dans la bouche pour faciliter la séparation de l’escare.
La curation des angines humorales froides, telle que l’aqueuse, l’œdémateuse, la catarrheuse, la skirrheuse, s’exécute, 1°. par le moyen des remedes qui relâchent les orifices des vaisseaux excrétoires de la lymphe ou mucosité, s’ils ont été resserrés par le froid, par des astringens employés mal-à-propos ; tels sont les émolliens appliqués sous forme de cataplasme extérieurement, & sous forme de gargarisme, de vapeur dans la bouche : 2°. par le moyen des résolutifs, ou des corrosifs, ou des incisions, si l’engorgement des vaisseaux lymphatiques est occasionné par des obstructions, des concrétions qui gênent le cours des humeurs, si l’angine est causée par un skirrhe : 3°. par le moyen des purgatifs hydragogues, des sudorifiques, des diurétiques, des apophlegmatisans, des vesicatoires, des scarifications, & de la section des parties qui en sont susceptibles, & par l’abstinence des liquides & un régime échauffant, desséchant, si l’angine est causée par une infiltration du tissu cellulaire qui se remplit de sérosités.
L’angine chancreuse est incurable, & ne tarde pas à faire périr ceux qui ont le malheur d’en être affectés. L’angine qui est causée par un relâchement paralytique, se guérit par les remedes contre la paralysie. Voyez Paralysie.
Celle qui dépend du relâchement des organes de la gorge par épuisement, à la suite de quelque grande évacuation, de longues maladies, est ordinairement mortelle ; la diete cardiaque analeptique seroit le seul moyen que l’on pourroit employer pour en tenter la guérison, en faisant cesser la cause occasionnelle, si on en avoit le tems.
L’esquinancie qui est l’effet d’un resserrement convulsif, symptome de la passion hypocondriaque ou hystérique, doit être traitée par les remedes anti-spasmodiques & anti-hystériques.
L’angine qui est occasionnée par la compression des vents arrêtés & raréfiés dans l’œsophage, qui pressent la trachée-artere ou resserrent le larynx, doit être traitée par les remedes contre le spasme & la flatulence. Voyez Flatulences. La plus grande partie de cet article est extraite des aphorismes de Boerhaave, & du commentaire de cet ouvrage, par Wanswieten. (d)