L’Encyclopédie/1re édition/ESCALADE
ESCALADE, s. f. c’est dans l’art militaire l’attaque d’un lieu ou d’un ouvrage par surprise, en franchissant les murs ou les remparts avec des échelles.
La méthode de s’emparer des villes par l’escalade étoit bien plus commune avant l’invention de la poudre qu’aujourd’hui : aussi les anciens, pour s’en garantir, prenoient-ils les plus grandes précautions. Ils ne terrassoient point leurs murailles, & ils les élevoient beaucoup, ensorte que non-seulement il étoit besoin d’échelles pour monter dessus, mais encore pour en descendre dans la ville. Les tours dont la muraille étoit flanquée étoient encore plus élevées que la muraille, & l’espece de petit chemin qu’il y avoit du côté intérieur de cette muraille, & sur lequel étoient placés les soldats qui défendoient la ville, étoit coupé vis-à-vis de ces tours, ensorte que l’ennemi, pour être parvenu au haut de la muraille, n’étoit pour ainsi dire encore maître de rien. Cependant, malgré ces difficultés, les escalades s’entreprennoient souvent. Il y a apparence que la longueur du tems qu’il falloit employer pour faire breche au mur de la ville, faisoit prendre ce parti, & que le canon pouvant faire une ouverture au mur assez promptement, on a insensiblement, pour ainsi dire, perdu l’usage de s’emparer des villes par l’escalade.
Il se peut bien aussi que la disposition de nos fortifications modernes y ait contribué : les anciens n’ayant point de dehors, on pouvoit s’approcher tout d’un coup du bord de leur fossé, descendre dedans, & appliquer des échelles le long du mur. Nos dehors ne permettent pas un si facile accès au corps de la place : cependant lorsque le fossé est sec, comme il faut communément qu’il le soit dans les escalades, il ne seroit pas impossible, si la place n’avoit pour tout dehors que des demi-lunes & son chemin couvert, de parvenir à l’escalader, sur-tout si la garnison en étoit foible ; car ces sortes d’entreprises ne peuvent guere réussir contre une garnison nombreuse, en état de bien garnir ses postes & de les bien défendre : mais quand on supposeroit trop de difficultés pour y réussir dans nos villes fortifiées à la moderne, il se trouve souvent dans les pays où l’on fait la guerre, des villes qui ne sont entourées que de murailles terrassées, & devant lesquelles il n’y a qu’un simple fossé. Contre ces sortes de villes l’escalade pourroit s’employer & réussir heureusement, comme elle a réussi à Prague au mois de Décembre 1741.
Pour bien réussir dans l’escalade d’une ville, il faut d’abord une connoissance parfaite de la place & de ses fortifications, afin de se déterminer sur le côté le plus facile à escalader & le plus négligé par l’ennemi.
Il faut avoir provision d’un grand nombre d’échelles, afin de pouvoir faire monter un plus grand nombre de gens en même tems ; être munis de pétards, pour s’en servir pour rompre les portes & donner entrée aux troupes commandées pour soûtenir l’entreprise.
Pour trouver moins d’obstacle de la part de l’ennemi, il faut le surprendre : un ennemi qui seroit sur ses gardes à cet égard seroit bien plus difficile à être forcé, parce qu’il est aisé de se défendre contre l’escalade lorsqu’on est prévenu.
Mais dans le trouble que cause d’abord son exécution inattendue, l’ennemi ne pense pas à tout, ou du moins il ne peut parer à tout. On l’attaque de tout côtés afin qu’il partage ses forces : il ne lui est pas facile de démêler parmi les attaques quelles font les fausses & quelles sont les véritables ; il est donc obligé de soûtenir également tous ses postes, & pendant qu’il est occupé d’un côté, on entre dans la place par un autre.
Il est donc essentiel de cacher à l’ennemi le dessein de l’entreprise que l’on médite contre lui : pour cela il faut qu’il ne soit pas instruit de la construction des échelles nécessaires en pareil cas ; & s’il ne s’en trouve pas un nombre suffisant dans les magasins, il faut en faire construire secretement.
On peut faire des échelles qui se démontent, c’est-à-dire composées de plusieurs parties ; elles se transportent beaucoup plus facilement : on s’en servit de cette espece pour l’escalade de Geneve en 1602.
Lorsque tout est préparé pour l’entreprise, & qu’il ne s’agit plus que d’aller l’exécuter, on prend la quantité de monde dont on juge avoir besoin, tant en infanterie qu’en cavalerie. La cavalerie peut servir à charger l’ennemi assemblé dans les différentes places de la ville, lorsqu’on lui en a donné l’entrée, à le dissiper promptement, & à favoriser la retraite, si l’on est dans l’obligation de se retirer, & s’il y a des plaines à passer dans la retraite. On mene aussi des serruriers & des charpentiers avec soi, pour s’en servir suivant le besoin & l’occasion.
On dirige la marche de maniere qu’on arrive devant la ville une ou deux heures avant le jour, & l’on ne néglige aucune attention pour que l’ennemi n’en puisse être informé de personne. S’il se rencontre quelqu’un en chemin il faut l’arrêter, & arriver devant la place avec le plus grand silence. Comme on doit être informé des chemins que l’on a à tenir, des défilés qu’il faut passer, on est en état de juger du tems que pourra durer la marche : il est important d’en faire le calcul exact ; car il pourroit arriver que l’armée étant trop long-tems en marche, arriveroit trop-tard devant la place pour commencer l’attaque avant le jour ; auquel cas, à moins d’une grande supériorité, il faudroit prendre le parti de s’en retourner. Il arrive quelquefois, suivant la situation des lieux, qu’on fait arriver les troupes devant la place par différens chemins ; en ce cas la marche est moins longue & moins embarrassante : mais les officiers qui conduisent chaque corps ne doivent pour aucune circonstance particuliere retarder leur marche, afin d’arriver devant la place à l’heure qui leur aura été indiquée, & que les différentes attaques commencent toutes en même tems, ou aux heures dont on sera convenu ; car il est quelquefois à propos, sur-tout lorsque la ville est fort grande, de les commencer successivement. La premiere attaque attire d’abord toute l’attention de l’ennemi, qui s’y porte promptement ; la seconde l’oblige de partager son attention ; & lorsque les premieres attaques, qui ordinairement sont fausses, ont attiré la plus grande partie de la garnison, on commence la véritable, dans laquelle on doit trouver moins de résistance.
On voiture les échelles sur des chariots devant la place ; ces chariots sont précédés de la plus grande partie des troupes destinées à cette expédition, lesquelles sont aussi précédées de quelques compagnies de grenadiers qui font leur avant-garde.
Etant arrivé auprès de la ville on s’y met en bataille, toûjours dans un grand silence ; on distribue les échelles aux premiers soldats qui doivent commencer l’escalade, & qui doivent être les plus braves & les plus vigoureux de la troupe.
On partage les troupes de l’attaque en plusieurs petits corps, comme de 100 ou 120 hommes commandés par leurs officiers, & l’on s’avance auprès de la place. S’il y a un chemin couvert, on se sert des serruriers pour en faire sauter les barrieres avec le moins de bruit qu’il soit possible. Les troupes, après y être entrées, cherchent à descendre dans le fossé ; les soldats qui ont des échelles s’en servent, supposé qu’il soit profond & revêtu, & qu’on ne puisse pas se glisser le long de son talud, ce qui est d’une bien plus prompte expédition, & les autres y descendent par les degrés ou escaliers que l’on pratique ordinairement aux arrondissemens de la contrescarpe & à ses angles rentrans.
Dès que l’on est descendu dans le fossé, on applique avec la plus grande diligence les échelles contre le rempart ou son revêtement, & on se hâte de monter promptement sur le rempart, sans confusion & sans trop charger les échelles : lorsqu’il y a un corps de 100 ou 150 hommes de montés, on fait venir les serruriers & les charpentiers pour rompre la porte la plus prochaine. A mesure que les troupes montent sur le rempart on les range en bataille ; & si l’ennemi se présente, on le charge vigoureusement la bayonnette au bout du fusil, sans tirer, pour ne point donner une trop forte allarme aux corps-de-garde voisins : quand on est en assez grand nombre sur le rempart, & que l’on a fait ouvrir une porte pour faire entrer dans la ville les troupes du dehors, on s’étend tout le long du rempart pour s’en rendre solidement le maître, & ensuite on se joint avec le corps qui est entré par la porte, pour charger l’ennemi dans tous les lieux de la ville où il peut se retirer. Si lorsqu’il n’y a encore qu’un petit nombre d’hommes de montés sur le rempart, l’ennemi venoit pour les charger, ils se défendroient du mieux qu’ils pourroient contre lui, en se faisant un rempart des différentes choses qu’on peut trouver sur le rempart, comme des branches des arbres qui sont communément dessus ; & s’en faisant une espece de retranchement, derriere lequel on se tient jusqu’à ce qu’il soit monté sur le rempart un nombre d’hommes suffisant pour charger l’ennemi & le dissiper.
Si l’ennemi est exact à faire ses rondes, qu’il s’apperçoive que les troupes sont dans le fossé & prêtes à monter, qu’il fasse tirer les sentinelles pour donner l’allarme à la ville, on ne laissera pas de monter promptement. Comme il faut toûjours quelque espace de tems pour qu’il vienne du secours, on peut en profiter pour monter sur le rempart, en assez grand nombre pour s’y soûtenir contre les troupes de garde, qui sont les premieres qui peuvent se présenter sur le rempart pour en défendre l’accès.
S’il y a un château ou une citadelle dans la ville qui soit, comme il est d’usage, partie dans la ville & partie dans la campagne, il faudra y donner l’escalade en même tems qu’à la ville, afin que l’ennemi n’y trouve point de retraite, & que pressé de tous côtés, il soit dans la nécessité de se rendre.
Le tems le plus favorable pour surprendre les villes dont le fossé est plein d’eau, est l’hyver pendant une forte gelée : on peut franchir aisément le fossé en passant sur la glace, & monter sur le rempart, le pié des échelles étant posé sur la glace du fossé. Un gouverneur attentif a soin, dans les gelées, de faire rompre tous les jours la glace de ses fossés : mais il peut s’en trouver qui négligent cette attention ; & d’ailleurs ceux qui sont chargés de l’exécution peuvent la faire avec tant de négligence, qu’il soit encore possible de se servir de la glace pour planter les échelles au pié du rempart, & pour franchir le fossé. C’est à ceux qui se chargent de ces sortes d’entreprises de bien faire observer la conduite du gouverneur & celle de ceux qu’il charge de l’exécution de ses ordres, pour voir la maniere dont ils l’exécutent, & pour prendre leur parti en conséquence. Elémens de la guerre des siéges, II. vol.
A l’égard des précautions à prendre contre les escalades, elles consistent à avoir continuellement aussi de petits partis dans les environs de la place, pour être par eux instruit des demarches de l’ennemi, & faire des rondes continuelles pendant la nuit, pour que personne n’entre dans le fossé de la place sans qu’on en soit informé. On peut aussi pratiquer une cuvette dans le fossé, planter des palissades à quelque distance du mur pour empêcher l’ennemi d’y appliquer ses échelles, garnir les flancs des bastions de pieces de canon chargées à cartouche avec des balles d’un quarteron, ou de la ferraille, pour tirer sur ceux qui voudroient escalader la place vis-à-vis les courtines ; mettre dans les corps-de-garde à portée du rempart, des hallebardes, des faulx emmanchées de revers, & toutes autres sortes d’armes propres à donner sur l’ennemi lorsqu’il paroît au haut de l’échelle, & à le pousser dans le fossé ; garnir le rempart d’une grande quantité de poutres cylindriques, pour les faire rouler sur les échelles & sur ceux qui sont dessus : & si la garnison ne se trouve pas en assez grand nombre pour pouvoir occuper tout le rempart, on doit attacher sur la partie supérieure du parapet des chevaux de frise, ou autre chose qui puisse empêcher l’ennemi de passer par-dessus pour sauter sur le rempart. Le rempart doit aussi être garni de bombes & de grenades toutes chargées, pour faire rouler dans le fossé sur l’ennemi. On doit aussi avoir des artifices préparés pour jetter sur lui, comme fascines gaudronnées, barrils foudroyans, pots à feu, &c. & jetter aussi dans le fossé une grande quantité de balles à feu pour l’éclairer, & que le canon de la place puisse faire un grand effet sur les troupes qui sont dedans. On peut encore garnir aussi le fossé de chausses-trapes, de petits fossés couverts de claies & de terre, pour que l’ennemi ne s’en apperçoive point, & qu’il tombe dedans : il peut y avoir au milieu de ces petits fossés une palissade, ou plûtôt quelques longues pointes de fer disposées de maniere à enferrer ceux qui y tomberont, &c. (Q)
Escalade des Titans, grande & belle machine du prologue de Naïs, dont on trouvera la figure & la description dans un des volumes des Planches gravées. (B)