L’Encyclopédie/1re édition/EPISODIQUE
EPISODIQUE, adj. (Belles-Lettres.) En Poésie on nomme fable épisodique, celle qui est chargée d’incidens superflus, & dont les épisodes ne sont point nécessairement ni vraissemblablement liés les uns aux autres. Voyez Episode.
Aristote dans sa poétique établit que les tragédies dont les épisodes sont ainsi comme décousus & indépendans entr’eux, sont défectueuses, & il les nomme drames épisodiques, comme s’il disoit, superabundantes in episodis, surchargés d’épisodes ; & il les condamne parce que tous ces petits épisodes ne peuvent jamais former qu’un ensemble vicieux. Voy. Fable.
Les actions les plus simples sont les plus sujettes à cette irrégularité, en ce qu’ayant moins d’incidens & de parties que les autres plus composées, elles ont plus besoin qu’on y en ajoûte d’étrangeres. Un poëte peu habile épuisera quelquefois tout son sujet dès le premier ou le second acte, & se trouvera par-là dans la nécessité d’avoir recours à des actions étrangeres pour remplir les autres actes. Aristote, poetiq. chap. jx.
Les premiers poëtes françois sont tombés dans ce défaut ; pour remplir chaque acte, ils prenoient des actions qui appartenoient bien au même héros, mais qui n’avoient aucune liaison entr’elles.
Si l’on insere dans un poëme un épisode dont le nom & les circonstances ne soient pas nécessaires ; & dont le fonds & le sujet ne fassent pas la partie principale, c’est-à-dire le sujet du poëme, cet épisode rend alors la fable épisodique.
Une maniere de connoître cette irrégularité, c’est de voir si l’on pourroit retrancher l’épisode, & ne rien substituer en sa place, sans que le poëme en souffrît ou qu’il devînt défectueux. L’histoire d’Hypsipile, dans la Thébaïde de Stace, nous fournit un exemple de ces épisodes défectueux. Si l’on retranchoit toute l’histoire de cette nourrice & de son enfant piqué par un serpent, le fil de l’action principale n’en iroit que mieux ; personne n’imagineroit qu’il y eût rien d’oublié ou qu’il manquât rien à l’action. Le Bossu, traité du poëme épique.
Dans le poëme dramatique, lorsque la fable ou le morceau d’histoire que l’on traite fournit naturellement les incidens & les obstacles qui doivent contraster avec l’action principale, le poëte est dispensé d’imaginer un épisode, puisqu’il trouve dans son sujet même ce qu’en vain il chercheroit mieux ailleurs. Mais lorsque le sujet n’en suggere point, ou que les incidens ne sont pas eux-mêmes assez importans pour produire les effets qu’on se propose, alors il est permis d’imaginer un épisode & de le lier au sujet, ensorte qu’il y devienne comme nécessaire. C’est ainsi que M. Racine a inséré dans son Andromaque l’amour d’Oreste pour Hermione, & que dans Iphigénie il a imaginé l’épisode d’Eriphile. L’Andromaque & Iphigénie ne sont pas des pieces épisodiques, dans le sens qu’Aristote l’entend & qu’il condamne.
Depuis quelques années on a mis sur le théatre françois quelques pieces vraiment épisodiques, composées de scenes détachées, qui ont un rapport à un certain but général, & qu’on appelle autrement pieces à tiroirs. Le nom de comédie ne leur convient nullement, parce que la comédie est une action, & emporte nécessairement dans son idée l’unité d’action ; or ces pieces à tiroir, que le défaut de génie a si étrangement multipliées, ne sont que des déclamations partagées en plusieurs points contre certains ridicules. Voyez Unité. (G)