L’Encyclopédie/1re édition/EMMAILLOTTER

EMMANCHÉ  ►

EMMAILLOTTER, terme de Sage-femme & de Nourrice, c’est envelopper un enfant de langes par plusieurs couches circulaires, pour préserver son corps délicat des injures de l’air, & le tenir dans une position fixe, qu’on croit nécessaire à son bien-être & à la conservation de ses jours. Cette méthode est en usage chez la plûpart des peuples de l’Europe : nous verrons bien-tôt ce qu’il en faut penser.

A peine l’enfant est-il sorti du sein de sa mere, dit l’auteur de l’histoire naturelle de l’homme (tome II. page 457. édition in-4°.) ; à peine l’enfant joüit-il de la liberté de mouvoir & d’étendre ses membres, qu’on lui donne de nouveaux liens ; on l’emmaillotte, on le couche la tête fixe & les jambes allongées, les bras pendans à côté du corps ; il est entouré de linges & de bandages de toute espece, qui ne sauroient lui permettre de changer de situation ; heureux si on ne l’a pas serré au point de l’empêcher de respirer, & si on a eu la précaution de le coucher sur le côté, afin que les eaux qu’il doit rendre par la bouche puissent tomber d’elles-mêmes, car il n’auroit pas la liberté de tourner la tête sur le côté pour en faciliter l’écoulement.

Les Siamois, les Japonois, les Indiens, les Negres, les sauvages du Canada, ceux de Virginie, du Bresil, & la plupart des peuples de la partie méridionale de l’Amérique, couchent les enfans nuds sur des lits de coton suspendus, ou les mettent dans des especes de berceaux couverts & garnis de pelleteries ; ils se contentent de couvrir & de vêtir ainsi leurs enfans sans les emmaillotter. Je ne déciderai point si leur usage conviendroit également aux nations européennes ; je crois seulement qu’il a moins d’inconvéniens que le nôtre, qu’il est plus simple, plus judicieux, & plus raisonnable : j’ajoûte que les peuples qui le suivent s’en trouvent très-bien, & qu’en général la nature réussit mieux dans cette occasion, que toutes nos sages-femmes & nos nourrices.

En effet notre méthode d’emmaillotter a de grands inconvéniens, & plusieurs desavantages. 1°. On ne peut guere éviter en emmaillottant les enfans, de les gêner au point de leur faire ressentir quelque douleur. Les efforts qu’ils font pour se débarrasser, sont alors plus capables de corrompre l’assemblage de leur corps, que les mauvaises situations où ils pourroient se mettre eux-mêmes s’ils étoient en liberté. Les bandages du maillot peuvent être comparés aux corps de baleine que l’on fait porter aux filles dans leur jeunesse : cette espece de cuirasse, ce vêtement incommode qu’on a imaginé pour soûtenir la taille & l’empêcher de se déformer, cause cependant plus d’incommodités & de difformités, qu’il n’en prévient. Bonne remarque de MM. Winslou & de Buffon.

2°. Si le mouvement que les enfans veulent se donner dans le maillot peut leur être funeste, l’inaction dans laquelle cet état les retient, peut aussi leur être nuisible. Le défaut d’exercice est capable de retarder l’accroissement des membres, & de diminuer les forces du corps. Ainsi les enfans qui ont la liberté de mouvoir leurs membres à leur gré, doivent être plus forts que ceux qui sont emmaillottés : c’est pour cette raison que les Péruviens laissoient les bras libres aux enfans dans un maillot fort large ; lorsqu’ils les en tiroient, ils les mettoient dans un trou fait en terre & garni de quelque chose de doux, dans lequel trou ils les descendoient jusqu’à la moitié du corps : de cette façon ils avoient les bras en liberté, & ils pouvoient mouvoir leur tête & fléchir leur corps à leur gré, sans tomber & sans se blesser.

3°. La position naturelle des épaules, des bras, & des mains d’un enfant qu’on emmaillotte, celle des piés, des jambes, & des genoux, se dérange très souvent, parce que l’enfant ne cesse de remuer ; de sorte que quelque attention que les nourrices ayent de bien placer & de bien contenir ces parties, il peut arriver, & il n’arrive que trop souvent que les piés se trouvent l’un sur l’autre, de même que les jambes & les genoux : alors ces membres étant mal posés, on les serre, on les bande dans cette position, de maniere que la grande compression que l’on fait sur des parties encore molles, tendres, & délicates, dérange leur ordre, change leur figure & leur direction, empêche leur extension naturelle, & par là donne occasion à des difformités qu’on éviteroit, si on laissoit à la nature la liberté de conduire & de diriger elle-même son ouvrage sans peine & sans contrainte.

4°. Cette compression forte sur des parties susceptibles d’impression & d’accroissement, telles que sont les membres d’un enfant nouveau-né, peut causer plusieurs autres accidens. Des embarras dans les visceres, des obstructions dans les glandes, des engorgemens dans les vaisseaux, sont souvent les tristes suites de cette compression. Combien de poitrines foibles & d’estomacs débiles, parce que les vaisseaux qui distribuent les liqueurs dans ces visceres, sont privés de leur ressort pour avoir été trop comprimés dans le maillot ?

5°. Les enfans nouveaux-nés, comme le remarque encore M. de Buffon, dorment la plus grande partie du jour & de la nuit dans les premiers tems de leur vie, & semblent n’être réveillés que par la douleur & par la faim : aussi les plaintes & les cris succedent presque toûjours à leur sommeil. Obligés de demeurer dans la même situation, & toûjours contraints par les entraves du maillot, cette situation leur devient fatigante & douloureuse après un certain tems ; ils sont mouillés & souvent refroidis par leurs excrémens, dont l’âcreté offense leur peau qui est fine & délicate, & par conséquent très-sensible. Dans cet état les enfans ne font que des efforts impuissans ; ils n’ont dans leur foiblesse que l’expression des gémissemens, pour demander du soulagement ; si on les abandonne, si on leur refuse un prompt secours, alors ces petits infortunés entrent dans une sorte de desespoir, ils font tous les efforts dont ils sont capables, ils poussent des cris qui durent autant que leurs forces ; enfin ces excès leur causent des maladies, ou du moins les mettent dans un état de fatigue & d’abattement, qui dérange leur constitution, & qui peut même influer sur leur caractere.

C’est un bonheur quand la nourrice est assez tendre & assez active pour secourir un peu fréquemment l’enfant gémissant confié à ses soins ; mais le nombre & la longueur des bandages, la peine que trouve cette nourrice à défaire & à remettre perpétuellement ces bandes, l’empêche de visiter, de remuer, de changer ce malheureux enfant aussi souvent que le besoin l’exige ; devenue par l’habitude insensible à ses cris, elle le laisse long-tems dans ses ordures, & se contente de le bercer pour l’endormir. En un mot, il n’y a que la tendresse maternelle qui soit capable de cette vigilance continuelle, & de ces sortes d’attentions, qui sont ici si nécessaires : peut-on l’espérer dans les villes & dans les campagnes, de nourrices grossieres & mercenaires, qui prennent à l’enfant un médiocre intérêt ? peut-on même s’en flater toûjours dans sa maison & dans son domestique ?

Il faudroit donc prévenir sérieusement les accidens que je viens de détailler, en tâchant de suppléer au maillot par de meilleures ressources ; & ce n’est pas une chose indifférente à la société, qu’une recherche de cette espece : en attendant qu’un digne citoyen s’y dévoue, indiquons au moins quelques sages précautions qu’on doit suivre dans la méthode ordinaire de l’emmaillottement.

Pour bien emmaillotter un enfant, il convient d’abord de lui coucher le corps en ligne directe, puis lui étendre également les bras & les jambes, ensuite tourner autour du corps les langes & les bandes en petit nombre sans les trop tirer, car il faut qu’elles ne fassent que contenir simplement ce qu’elles environnent, sur-tout la poitrine & l’estomac qui doivent être à leur aise. Souvent les vomissemens & la difficulté de respirer des enfans, viennent de ce que dans le maillot on leur serre trop la région de ces deux visceres ; il est difficile pour lors que les vomissemens ne succedent, parce que le foie proportionnellement plus grand dans les enfans que dans les adultes, étant comprimé, presse le fond de l’estomac & en produit le renversement convulsif ; il est difficile aussi que les poumons s’étendent convenablement pour la respiration.

Quand on emmaillotte un enfant, il est bon de tourner chaque jour les bandes d’une maniere différente de celle dont on les a tournées le jour précédent, c’est-à-dire les tourner un jour de droite à gauche, & l’autre jour de gauche à droite, afin d’éviter dans la taille & dans les extrémités une conformation vicieuse.

Je conseille encore beaucoup d’avoir soin de placer les membres d’un enfant dans une situation droite à chaque tour de bande, pour éviter les inconvéniens qui résulteroient d’une fausse position ; inconvéniens qui peuvent influer sur sa santé, & qui influent certainement sur la conformation du corps. Plusieurs enfans ne sont souvent cagneux, & n’ont les piés en-dedans, que par la mal-façon de l’emmaillottement. Par exemple, les nourrices en emmaillottant les enfans, leur fixent d’ordinaire les piés pointe contre pointe, au lieu de les fixer plûtôt talon contre talon, comme elles pourroient faire aisément par le moyen d’un petit coussin, engagé entre les deux piés de l’enfant, & figuré en forme de cœur, dont la pointe seroit mise entre les deux talons de l’enfant, & la base entre les deux extrémités des piés.

Il est aussi très-essentiel de changer souvent les bandes & les langes, pour éviter la malpropreté & conserver à l’enfant sa gaieté & sa santé. La longueur des langes & la multiplicité de leurs tours, est une méthode qui entraîne plusieurs inconvéniens, & ne produit aucun avantage : on ne sauroit trop simplifier une opération dont l’exécution doit être répétée perpétuellement nuit & jour, en tous lieux, & par toutes sortes de mains.

Enfin quand l’enfant est emmaillotté avec le soin & les reserves que nous venons d’indiquer, il y a deux précautions principales à avoir ; l’une, lorsqu’on le pose dans le berceau ; & l’autre, lorsqu’on le tient entre les bras. La premiere précaution est de le coucher de maniere que son corps ne porte point à faux ; sans cela on expose la taille de l’enfant à contracter quelque bosse. La seconde est de le porter tantôt sur un bras, tantôt sur l’autre, de peur qu’étant toûjours porté sur un même bras, il ne se panche toûjours d’un même côté, ce qui peut lui rendre la taille de travers. Je ne dis rien ici que de simple & de facile à concevoir, mais je parle de choses utiles & qui intéressent tout le monde. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.