L’Encyclopédie/1re édition/ELISION

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ELISION, s. f. (Belles-Lettres.) dans la prosodie latine, figure par laquelle la consonne m & toutes les voyelles & diphtongues qui se trouvent à la fin d’un mot, se retranchent lorsque le mot suivant commence par une voyelle ou diphtongue, comme dans ce vers :

Quod nisi & assiduis terram insectabere rastris,


qu’on scande de la sorte :

Quod nis’ & | assidu | is ter | r’insec | tabere | rastris.

Quelquefois l’élision se fait de la fin d’un vers au commencement de l’autre, comme dans ceux-ci :

Quem non incusavi amens hominumque deorumque,
Aut quid in eversâ vidi crudelius urbe,


qu’on scande ainsi :

Quem non |incu | sav’a | mens homi | numque de | orum
Qu’aut quid in | ever | sâ, &c.

On doit éviter les élisions dures, & elles le sont ordinairement au premier & au sixieme pié.

Quelques-uns prétendent que l’élision est une licence poétique ; & d’autres, qu’elle est absolument nécessaire pour l’harmonie.

Les anciens Latins retranchoient aussi l’s qui précédoit une consonne, comme dans ce vers d’Ennius :

Cur volito vivu’ (pour vivus) per ora virûm.


L’s & l’m leur paroissoient dures & rudes dans la prononciation, aussi les retrancherent-ils quand leur poésie commença à se polir. La même raison a déterminé les François à ne pas faire sentir leur e féminin, ou, pour mieux dire, muet, devant les mots qui commencent par une voyelle, afin d’éviter les hiatus. Voyez Hiatus & Baillement. (G)

Dans notre poésie françoise nous n’avons d’autre élision que celle de l’e muet devant une voyelle, tout autre concours de deux voyelles y est interdit ; regle qui peut paroître assez bisarre, peur deux raisons : la premiere, parce qu’il y a une grande quantité de mots au milieu desquels il y a concours de deux voyelles, & qu’il faudroit donc aussi par la même raison interdire ces mots à la poésie, puisqu’on ne sauroit les couper en deux : la seconde, c’est que le concours de deux voyelles est permis dans notre poésie, quand la seconde est précédée d’une h aspirée, comme dans ce héros, la hauteur ; c’est-à-dire que l’hiatus n’est permis que dans le cas où il est le plus rude à l’oreille. On peut remarquer aussi que l’hiatus est permis lorsque l’e muet est précédé d’une voyelle, comme dans immolée à mes yeux ; & que pour lors la voyelle qui précede l’e muet est plus marquée. Immolé à mes yeux n’est pas permis en poésie, & cependant est moins rude que l’autre : nouvelle bisarrerie.

Nous ignorons si dans la prose latine l’élision des voyelles avoit lieu ; il y a apparence néanmoins qu’on prononçoit la prose comme la poésie, & il est vraissemblable que les voyelles qui formoient l’élision en poésie, n’étoient point prononcées, ou l’étoient très-peu ; autrement la mesure & l’harmonie du vers en auroit souffert sensiblement. Mais pour décider cette question, il faudroit être au fait de la prononciation des anciens ; matiere totalement ignorée.

Dans notre prose les hiatus ne sont point défendus : il est vrai qu’une oreille délicate seroit choquée, s’ils étoient en trop grand nombre ; mais il seroit peut-être encore plus ridicule de vouloir les éviter tout-à-fait : ce seroit souvent le moyen d’énerver le style, de lui faire perdre sa vivacité, sa précision & sa facilité. Avec un peu d’oreille de la part de l’écrivain, les hiatus ne seront ni fréquens ni choquans dans sa prose.

On assûre que M. Leibnitz composa un jour une longue piece de vers latins, sans se permettre une seule élision : cette puérilité étoit indigne d’un si grand homme, & de son siecle. Cela étoit bon du tems de Charles-le-Chauve ou de Louis-le-Jeune, lorsqu’on faisoit des vers léonins, des vers latins rimés, des pieces de vers dont tous les mots commençoient par la même lettre, & autres sottises semblables. Faire des vers latins sans élision, c’est comme si on vouloit faire des vers françois sans se permettre d’e muet devant une voyelle. M. Leibnitz auroit eu plus d’honneur & de peine à faire les vers bons, supposé qu’un moderne puisse faire de bons vers latins. Voyez Latinité. (O)