L’Encyclopédie/1re édition/EGOISME

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EGOISME, s. m. (Morale.) défaut de ces personnes qui, pleines de leur mérite, & croyant joüer un rôle dans la société, se citent perpétuellement, parlent d’elles avec complaisance, & rapportent tout, grossierement ou finement, à leur individu.

Ce défaut tire son origine d’un amour propre desordonné, de la vanité, de la suffisance, de la petitesse d’esprit, & quelquefois d’une mauvaise éducation. Il suffit d’en indiquer les sources, pour juger de son ridicule, & du mépris qu’il mérite.

On y tombe de deux manieres, par ses discours & par ses écrits ; mais ce défaut est inexcusable dans des ouvrages, quand il vient de la présomption & d’une pure vanité d’auteur, qui ne doit parler de lui, qu’autant que l’exige la matiere qu’il traite, ou la défense de ses sentimens, de ses biens, de sa conduite.

MM. de Port-royal ont généralement banni de leurs écrits l’usage de parler d’eux-mêmes à la premiere personne, dans l’idée que cet usage, pour peu qu’il fût fréquent, ne procédoit que d’un principe de vaine gloire & de trop bonne opinion de soi-même. Pour en marquer leur éloignement, ils l’ont tourné en ridicule sous le nom d’égoïsme, adopté depuis dans notre langue, & qui est une espece de figure inconnue à tous les anciens rhéteurs.

Pascal portoit cette regle générale de MM. de Port-royal, jusqu’à prétendre qu’un chrétien devoit éviter de se servir du mot je ; & il disoit sur ce sujet que l’humilité chrétienne anéantit le moi humain, & que la civilité humaine le cache & le supprime.

Cependant cette sévérité poussée jusqu’au scrupule, seroit extrème, & quelquefois ridicule ; car il y a plusieurs rencontres où la gêne de vouloir éviter ces mots je ou moi, seroit mal placée ou impossible.

On est fâché de trouver perpétuellement l’égoïsme dans Montagne ; il eût sans doute mieux fait de puiser ses exemples dans l’histoire, que d’entretenir ses lecteurs de ses inclinations, de ses fantaisies, de ses maladies, de ses vertus, & de ses vices.

Il est vrai qu’il tâche, autant qu’il peut, d’éloigner de lui le soupçon d’une vanité basse & populaire, en parlant librement de ses défauts aussi-bien que de ses bonnes qualités ; mais, on l’a dit avant moi, en découvrant ses défauts ou ses vices, il semble n’agir ainsi, que parce qu’il les regardoit comme des choses à-peu-près indifférentes.

Si l’égoïsme est excusable, soit en conversation, par lettres, ou par écrit, c’est seulement quand il s’agit d’un très-grand objet qui a roulé sur nous, & qui intéressoit le salut de la patrie. Cependant quelques contemporains de Cicéron étoient mêmes blessés (quoique peut-être à tort) de l’entendre répéter d’avoir sauvé la république ; & ils remarquoient que Brutus n’auroit pas eu moins de droit de parler des ides de Mars, sur lesquelles il gardoit le silence, que le consul de Rome pouvoit en avoir de rappeller l’époque des nones de Décembre. Le lecteur sait bien qu’il s’agit ici des deux grandes époques de la conjuration de Catilina & de la mort de César. Art. de M. le Chevalier de Jaucourt.