L’Encyclopédie/1re édition/DISTRACTION
* DISTRACTION, s. f. (Morale.) application de notre esprit à un autre objet que celui dont le moment présent exigeroit que nous continuassions de nous occuper. La distraction a sa source dans une excellente qualité de l’entendement, une extrème facilité dans les idées de se réveiller les unes les autres. C’est l’opposé de la stupidité qui reste sur une même idée. L’homme distrait les suit toutes indistinctement à mesure qu’elles se montrent ; elles l’entraînent & l’écartent de son but ; celui au contraire qui est maître de son esprit, jette un coup-d’œil sur les idées étrangeres à son objet, & ne s’attache qu’à celles qui lui sont propres. Un bon esprit doit être capable de distractions, mais ne doit point être distrait. La distraction est presque toûjours un manque d’égards pour ceux avec qui nous nous entretenons. Elle leur fait entendre très-clairement que ce qui se passe dans notre ame nous intéresse plus que ce qu’ils nous disent. On peut avec un peu d’attention sur soi-même, se garantir de ce libertinage d’esprit, qui fait tenir tant de discours déplacés, & commettre tant d’actions ridicules. L’homme dans la distraction perd de vûe tout ce qui l’environne ; & quand il revient de son délire, il agit comme si rien n’avoit changé autour de lui ; il cherche des objets où ils ne sont plus ; il s’entretient de choses dont il n’est plus question ; il se croit à tout & il n’est plus à rien ; parce que la distraction est une absence dont souvent on ne s’apperçoit pas, & dont on ne connoît presque jamais exactement la durée. Il n’y a qu’un moyen d’apprétier l’intervalle de la distraction ; c’est d’en pouvoir rapporter le commencement & la fin à deux instans différens d’une action continue, dont la durée nous soit connue par expérience.
Distraction, (Jurisprud.) signifie en général la séparation d’une chose d’avec une autre ; il y a plusieurs sortes de distractions, sçavoir :
Distraction de dépens, est la faculté que le procureur demande de toucher ses frais & salaires sur les dépens adjugés à sa partie, comme les ayant avancés pour elle.
Le procureur est en droit de former cette demande malgré sa partie ; & dès qu’elle est signifiée à la partie qui a succombé, elle tient lieu de saisie ; & lorsque le procureur a obtenu la distraction, elle opere la décharge de sa partie envers lui.
Celui qui a été condamné aux dépens envers un autre, & qui est en état de lui opposer quelque compensation, ne peut pas l’opposer au procureur qui demande la distraction des dépens ; mais si cette partie a fait saisir entre ses mains avant que la demande en distraction sût formée, la saisie prévaudroit sur cette demande. (A)
Distraction de Jurisdiction ; c’est quand on ôte à un juge la connoissance d’une affaire pour la donner à un autre ; ce qui arrive en différentes manieres, comme par des attributions, commissions, évocations, que le roi accorde ou par des renvois en vertu de privileges de committimus, garde gardienne. (A)
Distraction de ressort, c’est lorsque le roi par des lettres patentes distrait un lieu du ressort ordinaire ou d’appel d’une justice, & l’annexe à une autre justice : ces sortes de distractions arrivent lors de l’érection des terres en duchés-pairies, marquisats, comtés, baronies, &c. la distraction de ce ressort ne se fait qu’à la charge d’indemniser les justices dont on démembre quelque portion. (A)
Distraction d’une saisie réelle, c’est ce qui retire d’une saisie réelle quelque héritage qui n’a pas dû y être compris.
Voyez Opposition à fin de distraire. (A)