L’Encyclopédie/1re édition/DISCOBOLE

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DISCOBOLE, s. m. (Hist. greq. & rom.) athletes qui faisoient profession de l’exercice du disque, & qui en disputoient le prix dans les jeux de la Grece. Indiquons, à l’exemple de M. Burette, & d’après ses mémoires, l’origine de cet exercice, ses progrès, ses regles, son utilité, l’équipage des discoboles, pour disputer le prix, leur maniere de jetter le disque, en un mot les généralités les plus curieuses sur ce sujet, dont nous ne prendrons que la fleur. Ceux qui aiment l’érudition péniblement entassée, en trouveront de reste dans Mercurial, dans Faber, dans les autres auteurs gymniques, & finalement dans nos dictionnaires d’antiquités. Voyez Disque.

Les premiers commencemens de l’exercice du disque, remontent aux tems fabuleux. On y trouve Apollon se dérobant du ciel, & abandonnant le soin de son oracle de Delphes, pour venir à Sparte joüer au disque avec le bel Hyacinthe. On y voit ce jeune homme blessé mortellement au visage par le disque lancé de la main du dieu, & les autres circonstances de cette avanture, qu’Ovide raconte avec tant d’agrément dans le X. livre de ses métamorphoses. Mais sans recourir à une origine si douteuse, contentons-nous d’attribuer, avec Pausanias, l’invention du disque à Persée fils de Danaé. Nous apprendrons de cet historien grec, le malheur qu’eut ce jeune héros de ruer involontairement d’un coup fatal de son palet son ayeul Acrise, & les suites de cet évenement.

Malgré les deux accidens funestes dont on vient de parler, l’exercice du disque ne laissa pas de faire fortune dans les siecles suivans ; & il étoit déjà fort en vogue du tems de la guerre de Troie, s’il en faut croire Homere. C’étoit un des jeux auquel se divertissoient les troupes d’Achille sur le rivage de la mer, pendant l’inaction où les tenoit le ressentiment de ce héros contre le roi d’Argos & de Mycenes. Dans les funérailles de Patrocle, décrits dans le XIII. liv. de l’Iliade, on voit un prix proposé pour cet exercice, & ce prix est le palet même que lancent, l’un après l’autre, quatre concurrens, & qui devient la récompense du vainqueur. Ulysse dans l’Odissée, liv. VIII. trouve cette espece de jeu tout établi à la cour d’Alsinoüs roi des Phéaciens ; & c’est un des combats gymniques, dont ce prince donne le spectacle à son nouvel hôte pour le régaler, & auquel le roi d’Itaque veut bien lui-même prendre part, en montrant à ses antagonistes combien il leur est supérieur en ce genre. Pindare, dans la I. ode des Istmioniques, célébrant les victoires remportées aux jeux publics par Castor & par Jolaüs, n’oublie pas leur dextérité à lancer un disque : ce qui fait voir que dès les tems héroïques, cet exercice étoit du nombre de ceux pour lesquels on distribuoit des prix dans les solennités de la Grece.

Les discoboles jettoient le disque en l’air de deux manieres ; quelquefois perpendiculairement, pour essayer leurs forces, & c’étoit comme le prélude du combat ; d’ordinaire en avant, & dans le dessein d’atteindre le but qu’ils se proposoient : mais de quelque façon qu’ils lançassent cet instrument, ils le tenoient en sorte que son bord inférieur étoit engagé dans la main, & soutenu par les quatre doigts recourbés en-devant, pendant que sa surface postérieure étoit appuyée contre le pouce, la paume de la main & une partie de l’avant-bras. Lorsqu’ils vouloient pousser le disque, ils prenoient la posture la plus propre à favoriser cette impulsion, c’est-à-dire qu’ils avançoient un de leurs piés sur lequel ils courboient tout le corps ; ensuite balançant le bras chargé du disque, ils lui faisoient faire plusieurs tours presque horisontalement, pour le chasser avec plus de force ; après quoi ils le poussoient de la main, du bras, & pour ainsi dire de tout le corps, qui suivoit en quelque sorte la même impression ; & le disque échappé s’approchoit de l’extrémité de la carriere, en décrivant une ligne plus ou moins courbe, suivant la détermination qu’il avoit reçûe en partant de la main du discobole. Properce peint ce mouvement du disque en l’air, quand il dit,

Missile nunc disci pondus in orbe rotat.

Eleg. XII. lib. III.

J’oubliois d’avertir que les athletes avoient soin de frotter de sable ou de poussiere le palet & la main qui le soûtenoit, & cela en vûe de le rendre moins glissant & de le tenir plus ferme.

Les Peintres & les Sculpteurs les plus fameux de l’antiquité s’étudierent à représenter au naturel l’attitude des discoboles, pour laisser à la postérité divers chef-d’œuvres de leur art. Le peintre Taurisque, au rapport de Pline, & les sculpteurs Nancydes & Myron, se signalerent par ces sortes d’ouvrages. Quintilien, liv. II. ch. xiij. vante extrèmement l’habileté de ce dernier dans l’exécution d’une statue de ce genre. On connoît la belle statue du lanceur de disque, qui appartient au grand-duc de Toscane ; mais on ignore le nom du statuaire. Au reste on ne peut douter qu’il n’entrât beaucoup de dextérité dans leur maniere de lancer le disque, puisqu’on tournoit en ridicule ceux qui s’en acquittoient mal, & qu’il leur arrivoit fréquemment de blesser les spectateurs par leur mal-adresse.

Pindare nous a conservé le nom de l’athlete qui le premier mérita le prix du disque dans les jeux olympiques : ce fut Lincée. Mais dans la suite, quand les exercices athlétiques furent rétablis en Grece dans la xviiie olympiade, on n’y couronna plus que les athletes qui réunissoient les talens nécessaires pour se distinguer dans les cinq sortes d’exercices qui composoient ce que les Grecs appelloient le pentathle, savoir la lutte, la course, le saut, l’exercice du disque, & celui du javelot.

On prescrivoit aux discoboles dans les jeux publics, certaines regles auxquelles ils devoient s’assujettir pour gagner le prix ; ensuite celui-là le remportoit, qui jettoit son disque par-delà ceux de ses concurrens : c’est de quoi les descriptions de ce jeu qui se lisent dans Homere, dans Stace, dans Lucien & ailleurs, ne nous permettent pas de douter. On regardoit la portée d’un disque poussé par une main robuste, comme une mesure suffisamment connue ; & l’on désignoit par-là une certaine distance, de même qu’en françois nous en exprimons une autre par une portée de mousquet.

Nous apprenons encore d’Homere & de Stace, qu’on avoit soin de marquer exactement chaque coup de disque, en y plantant un piquet, une fleche, ou quelque chose d’équivalent ; ce qui prouve qu’il n’y avoit qu’un seul palet pour tous les antagonistes, & c’est Minerve elle-même sous la figure d’un homme, qui chez les Phéaciens rend ce service à Ulysse, dont la marque se trouve fort au-delà de toutes celles des autres discoboles. Enfin Stace nous fournit une autre circonstance singuliere touchant cet exercice, & qui ne se rencontre point ailleurs : c’est qu’un athlete à qui le disque glissoit de la main dans le moment qu’il se mettoit en devoir de le lancer, étoit hors de combat par cet accident, & n’avoit plus de droit au prix.

On demande si les discoboles, pour disputer ce prix, étoient nuds, ainsi que les autres athletes, & l’affirmative paroît très-vraissemblable. En effet, il semble d’abord que l’on peut inférer la nudité des discoboles, de la maniere dont Homere dans l’Odyssée s’explique à ce sujet ; car en disant qu’Ulysse, sans quitter sa robe, sauta dans le stade, prit un disque des plus pesans, & le poussa plus loin que n’avoient fait ses antagonistes, ce poëte fait assez entendre que les autres athletes étoient nuds, en relevant par cette circonstance la force & l’adresse de son héros. De plus, l’exercice du disque n’ayant lieu dans les jeux publics que comme faisant partie du pentathle, où les athletes combattoient absolument nuds, il est à présumer que pour lancer le palet ils demeuroient dans le même état, qui leur étoit d’ailleurs plus commode que tout autre. Enfin, comme ils faisoient usage des onctions ordinaires aux autres athletes, pour augmenter la force & la souplesse de leurs muscles, d’où dépendoit leur victoire, ces onctions eussent été incompatibles avec toute espece de vêtement. Ovide, qui sans doute n’ignoroit pas les circonstances essentielles aux combats gymniques, décrivant la maniere dont Apollon & Hyacinthe se préparent à l’exercice du disque, les fait dépouiller l’un & l’autre de leurs habits, & se rendre la peau luisante en se frottant d’huile avant le combat :

Corpora veste levant, & succo pinguis olivi
Splendescunt, latique ineunt certamina disci.


Faber qui n’est pas de l’avis que nous embrassons, & qui pense que les discoboles étoient toûjours vêtus de tuniques, ou portoient du moins par bienséance une espece de caleçon, de tablier ou d’écharpe, allegue pour preuve de son opinion les discoboles représentés sur une médaille de l’empereur Marc-Aurele, frappée dans la ville d’Apollonie, & produite par Mercurial dans son traité de l’art gymnastique ; mais 1°. cette médaille est très-suspecte, parce qu’on ne la trouve dans aucun des cabinets & des recueils que nous connoissons : 2°. quelque vraie qu’on la suppose, elle ne peut détruire ni la vraissemblance ni les autorités formelles que nous avons rapportées en faveur de la nudité des discoboles ; & elle prouveroit tout au plus que dans quelques occasions particulieres, dans certains lieux & dans certains tems on a pû déroger à la coûtume générale.

On se proposoit différens avantages de l’exercice du disque ; il servoit à rendre le soldat laborieux & robuste : aussi lisons-nous qu’Achille irrité contre Agamemnon, & s’étant séparé de l’armée des Grecs avec ses Myrmidons, les exerçoit sur le bord de la mer à lancer le disque & le dard, pour les empêcher de tomber dans l’oisiveté, qui ne manque jamais de saisir pendant la paix les personnes accoûtumées aux travaux de la guerre. Animés par la gloire, par l’honneur ou par la récompense, ils fortifioient leurs corps en s’amusant, & se rendoient redoutables aux ennemis. Un bras accoûtumé insensiblement & par degrés à manier & à lancer un fardeau aussi pesant que l’étoit le disque, ne rencontroit dans les combats rien qui pût résister à ses coups ; d’où il paroît que l’art militaire tiroit un secours très-important & très-sérieux de ce qui dans son origine n’étoit qu’un simple divertissement, & c’est ce dont tous les auteurs conviennent. Enfin Galien, Ætius & Paul Eginete, mirent aussi le disque entre les exercices utiles pour la conservation de la santé. Art. de M. le Chevalier de Jaucourt.