L’Encyclopédie/1re édition/DIASTOLE
DIASTOLE, s. f. διαστολὴ, (Physiologie.) est un terme grec formé du verbe διαστέλλειν, séparer, employé par les Medecins pour signifier la dilatation, la distension d’un vaisseau, d’une partie cave quelconque dans le corps humain, de laquelle les parois s’écartent en tous sens pour en augmenter la cavité : c’est pour exprimer ce changement que l’on dit du cœur, des arteres, des oreillettes, des membranes du cerveau, &c. que ces organes sont susceptibles de se dilater, qu’ils se dilatent de telle maniere, dans tel tems.
Le mouvement par lequel ces différens organes sont dilatés, est opposé à celui par lequel ils sont contractés, c’est-à-dire par lequel leurs parois se rapprochent ; cet autre changement dans l’état de ces parties, est appellé par les Grecs systole, συστολὴ, constriction. Voyez Systole.
La dilatation du cœur consiste dans l’écartement des parois de cet organe, selon l’idée qui vient d’être donnée de la diastole ; la capacité de cet organe doit augmenter dans toutes ses dimensions.
Le cœur étant un véritable muscle creux, n’a rien en lui-même qui puisse le dilater, dit M. Senac dans son excellent traité de la structure de cet organe ; ses ressorts ne peuvent que le resserrer ; une puissance étrangere qui éloigne les parois du cœur du centre de sa cavité, est donc une puissance nécessaire ; or cette puissance est dans le sang, qui est porté par les veines dans les ventricules : plus elle a de force, plus la dilatation est grande en général ; car un concours de causes étrangeres peut donner lieu à des exceptions : les parois du cœur peuvent être plus ou moins resserrées : or le resserrement concourant avec l’action qui tend à dilater, s’oppose à la dilatation : l’action des nerfs peut-être plus ou moins prompte ; si dans l’instant que le cœur frappe l’intérieur du ventricule, cette action survient, les parois n’auront pas le tems de s’écarter, elles pourront être arrêtées dès le premier instant de leur écartement.
Mais est-il certain, continue M. Senac, que les parois du ventricule soient des instrumens purement passifs dans la dilatation du cœur ? elles sont entierement passives dans leur écartement, puisqu’elles cedent à une force étrangere qui les pousse du centre vers la circonférence ; nul agent renfermé dans leur tissu ne les force à s’éloigner : car dans ces parois, il n’y a d’autre force que la force de la contraction musculaire ; or la contraction doit nécessairement rapprocher du centre toutes les parties du cœur.
Bien loin d’avoir en elles-mêmes une force dont l’action les écarte, ces parois résistent à la dilatation par la contractilité naturelle aux fibres qui les composent ; elles ont une force élastique que la mort même ne détruit pas : l’esprit vital qui met en mouvement les parties, leur donne encore une force supérieure qui les resserre dans le corps animé : or ces forces résistant à la force étrangere qui les dilate, une telle résistance augmente par gradation ; il peut entrer une certaine quantité de sang dans les cavités du cœur, dont les parois laissent toûjours un espace entr’elles, parce qu’elles ne peuvent jamais se rapprocher au point de se toucher ; mais cet espace n’étant jamais vuide, la puissance qui continue à pousser le sang, le détermine contre la surface intérieure du cœur ; la résistance commence, elle augmente ensuite à proportion des divers degrés d’action contre les parois : la résistance est donc plus grande quand cet action finit que quand elle commence ; le cœur est cependant dilaté en tous sens dans le même instant, c’est-à-dire que l’écartement de ses parois se fait en même tems de la base à la pointe comme dans toute la circonférence : c’est ce qu’on éprouve en injectant de l’eau dans la cavité de cet organe ; l’effort se communique en même tems à toutes ses parties selon toutes ses dimensions.
On n’aura plus recours à la raréfaction du sang imaginée par Descartes, ni à la copule explosive de Willis, pour expliquer comment se fait la dilatation du cœur, depuis que ces causes prétendues ont été démenties par l’expérience : Lower les a combattues avec succès ; d’autres en ont démontré le ridicule de maniere à en bannir l’idée de l’esprit de tous les Philosophes sensés. Extrait du traité du cœur de M. Senac. Voyez Circulation du sang.
Quand on ouvre un chien vivant, on voit dans le cœur de cet animal & dans les vaisseaux qui en dépendent, deux mouvemens principaux : les arteres se resserrent aussi-bien que les oreillettes : dans le tems que le cœur se dilate, celles-là poussent le sang vers le cœur de l’animal, celui-ci le reçoit : si l’on coupe la pointe du cœur de l’animal vivant, & que l’on le tienne élevé, on voit jaillir le sang dans le tems de sa dilatation, sans qu’il paroisse dans ce fluide aucune apparence d’ébullition, d’effervescence, ni d’explosion, mais il répand une fumée qui a une odeur desagréable, âcre ; il s’y fige en se refroidissant dès qu’il est laissé en repos ; & lorsque le cœur se contracte à son tour, on voit les arteres & les oreillettes se dilater en même tems, parce que celles-ci reçoivent plus de sang qui écarte leur parois à proportion de la quantité qui est poussée dans leur cavité par le cœur qui se vuide de celui qui est contenu dans les siennes.
Ces deux mouvemens opposés qui arrivent, l’un par la contraction, l’autre par la dilatation de ces organes, donnent lieu à ce qu’on appelle pulsation, parce que pendant que leurs parois s’écartent, ils se portent vers les corps contigus & les frappent : une suite de ces pulsations est ce qu’on appelle pouls, qui se fait sentir plus particulierement lorsque l’on touche une artere qui frappe plusieurs fois le doigt dans l’espace d’une minute : c’est le mouvement de diastole qui produit la pulsation ; la repétition de la diastole produit le pouls. Voyez Pouls.
L’état naturel du cœur, s’il pouvoit rester en repos, livré à lui-même, à son élasticité, seroit bien approchant de celui de systole ; mais tant qu’il se contracte par l’influence du fluide nerveux, il se resserre au-delà de ce qu’il pourroit faire par la seule contractilité de ses fibres ; & tant qu’il reçoit le sang poussé par ses vaisseaux, il est dilaté au-delà de ce qu’il paroît être dans le relâchement, ainsi il est toûjours dans un état violent tant que la vie dure ; il l’est même après la mort, parce que toutes les arteres par leur élasticité, aidées du poids de l’atmosphere, expriment le sang qu’elles contiennent & le poussent dans les veines & le cœur qui cede à ces forces combinées, & se laisse dilater plus que ne comporte sa force de ressort naturel.
C’est le propre de tous les muscles de se contracter sans le secours d’aucune puissance étrangere jusqu’à un certain point : jusqu’à ce qu’ils soient parvenus à se raccourcir, à se resserrer à ce point, ils peuvent être regardés comme dans un état violent : le cœur étant dilaté après la mort au-delà de ce qu’il seroit si le sang ne l’y forçoit pas, est donc aussi dans un état violent contre lequel il résiste autant qu’il peut : ainsi dans quelque situation que soit le cœur pendant la vie & après la mort, les systoles & les diastoles sont toûjours violentes ; il est toûjours en-deçà ou en-delà de la situation qu’il affecteroit selon sa tendance naturelle. Voyez Cœur, Muscle, Circulation.
Diastole du cerveau. Les mouvemens de diastole, & par conséquent de systole du cerveau, sont connus depuis long-tems : les plus anciens Anatomistes ont observé que ce viscere paroît se resserrer & se dilater alternativement : les fractures du crane, les caries de cette boîte osseuse, le trépan appliqué, même à dessein, leur ont fourni l’occasion de faire cette observation sur les hommes & sur les animaux.
Cette vérité n’a cependant pas été reçue généralement : il s’est trouvé des observateurs qui ont voulu la détruire par les mêmes moyens dont on s’étoit servi pour l’établir ; d’autres en convenant de l’apparence des mouvemens du cerveau, ont soutenu qu’ils ne lui sont point propres, mais qu’ils dépendent de la pûlsation du sinus longitudinal ou de celle des arteres de la dure-mere, ou enfin du repos & de l’action alternative de cette membrane.
Les auteurs ne sont pas moins partagés au sujet de l’ordre, que suivent ces mouvemens comparés à ceux du cœur : plusieurs ont pensé que la contraction du cœur & la dilatation du cerveau se fait en même tems : quelques-uns ont prétendu précisément le contraire. Voyez Dure-mere, Meninges.
D’autres, mais en petit nombre, jusqu’à présent, ont cru remarquer quelque rapport entre les mouvemens du cerveau & ceux de la respiration. M. Schligting l’avoit soupçonné, & avoit établi son doute à cet égard dans un mémoire qu’il a donné sur les mouvemens du cerveau, inséré dans le premier volume des mémoires présentés à l’académie des Sciences de Paris, par des savans étrangers. M. Haller l’avoit simplement indiqué dans une lettre à M. de Sauvages, célébre professeur en Medecine de l’université de Montpellier, lorsque M. de la Mure, aussi professeur très-distingué de la même université, & directeur de la société royale des Sciences de la même ville, à qui cette lettre de M. Haller fut communiquée dans le tems, a entrepris de faire des recherches sur ce sujet, avec toute la sagacité qui le caractérise dans les différentes expériences qu’il a faites, au grand avantage de la physique du corps humain.
C’est dans le cours de l’année 1752 qu’il a commencé & continué celles qui étoient nécessaires pour pénétrer plus profondément le secret, que la nature s’étoit réservé jusqu’à ce tems, sur les mouvemens du cerveau : & pour ne pas tomber dans l’inconvénient des personnes quelquefois trop crédules, qui mettent leur esprit à la torture, pour expliquer des phénomenes qui n’ont jamais existé ; il a cherché d’abord à s’assurer de la réalité des mouvemens du cerveau, & à se confirmer ensuite la correspondance qu’ils ont avec ceux de la respiration, avant que de travailler à en découvrir la cause : il est parvenu à se satisfaire au-dela de son attente sur tous ces points, & à résoudre ces trois problèmes, au moyen de plusieurs expériences faites sur des chiens vivans & morts, répétées avec tout le soin possible, qui lui ont fourni la matiere d’un mémoire que l’académie de Montpellier a envoyé à celle de Paris, comme un gage de l’union qui doit subsister entr’elles, comme ne faisant qu’un même corps, pour être inséré dans le volume des mém. de l’académie royale des Sciences de la présente année, conformément à ce qui se pratique annuellement.
Le précis de ce qu’a établi dans son mémoire M. de la Mure, peut être rendu par cette seule expérience, d’où on peut inférer ce qu’il contient de plus essentiel.
Si l’on ouvre avec le trépan le crâne d’un chien vivant attaché convenablement sur une table, & qu’ayant aussi ouvert le bas-ventre, on découvre la veine-cave, on observe ce qui suit.
Dans le tems que le chien inspire, le thorax étant dilaté, les côtes étant écartées les unes des autres, le cerveau s’affaisse & s’éloigne en-dedans du crane, de l’orifice fait par le trépan : soit que la dure-mere enveloppe la substance corticale, ou qu’elle ait été enlevée, toutes les veines considérables, comme les jugulaires, les caves, les iliaques s’affaissent en même tems, de même que les petites veines, telles que celles qui rampent dans l’épaisseur de la pie-mere ; ce qui n’est cependant pas aussi sensible : & lorsque le chien fait ses expirations, qu’il crie ; le thorax étant alors resserré, le cerveau s’enfle, s’applique fortement au crane, toutes les veines se dilatent & reprennent la figure cylindrique.
M. de Sauvages a été témoin de cette expérience, & de plusieurs autres faites à ce sujet.
M. de la Mure établit d’après ces faits, qu’il rend de la derniere évidence, par la maniere dont il les expose ; que le mouvement de diastole & de systole, qu’on observe dans toute la masse du cerveau est incontestablement démontré ; qu’il se forme pendant la systole un espace entre le cerveau & le crâne, que le reflux du sang vers le cerveau est la véritable cause du mouvement de l’élévation de ce viscere ; que ce reflux est l’effet de la pression des poumons sur les troncs veineux renfermés dans le thorax ; que cette pression fait enfler également les veines inférieures & les veines supérieures ; que cette pression a lieu pendant l’expiration, soit qu’elle se fasse librement, soit qu’elle soit suspendue, parce que le thorax comprime les poumons, qui sont pleins d’air qui résiste à son expulsion, se raréfie de plus en plus, & réagit sur tous les corps ambians, ne pouvant pas sortir librement par la glotte, qui ne lui laisse qu’une très-petite issue à proportion de son volume ; que cette pression produit un véritable mouvement rétrograde du sang dans toutes les veines mentionnées : mouvement que l’œil peut suivre ; que l’affaissement du cerveau n’est dû qu’à la facilité avec laquelle le sang se porte vers les gros vaisseaux de la poitrine dans le tems de l’inspiration, parce que ses parois fuyant, pour ainsi dire, devant les poumons, en s’écartant pour dilater le thorax, laissent pénétrer librement & le sang & l’air : qu’en imitant le jeu de la respiration, l’animal étant mort, on apperçoit les mêmes phénomenes que dans le vivant par la seule pression du thorax sur les poumons : que les mouvemens du cerveau n’ont pas lieu dans le fœtus, par le défaut de respiration : que le premier mouvement qu’éprouve ce viscere, doit être celui du resserrement par l’effet de la premiere inspiration, qui rend plus libre l’évacuation des veines, en diminuant la résistance occasionnée par la pression des troncs veineux sur le thorax ; que les mouvemens que l’on observe dans le cerveau, s’observent aussi dans le cervelet ; qu’il y a lieu de penser qu’ils s’étendent à toute la moëlle épiniere, quoiqu’on ne puisse pas s’en assûrer dans l’animal vivant.
M. de la Mure, après avoir donné la solution de toutes les difficultés qui se présentent d’abord contre les conséquences qu’il tire de ses expériences faites sur les animaux, en fait l’application au corps humain, & la confirme par plusieurs observations faites sur des sujets humains, que rapporte M. Schligting, qui répondent parfaitement à ce qu’il avoit vû dans les animaux.
La cause de ces mouvemens, c’est-à-dire le reflux du sang dans les troncs des veines, paroît également avoir lieu dans l’homme. Il est très-sensible dans les fortes expirations, sur-tout lorsqu’elles sont un peu soûtenues, que l’on crie, que l’on chante : lors même que l’on parle avec vivacité, les veines jugulaires se gonflent évidemment.
D’ailleurs la structure anatomique de l’homme n’offre point de différence assez considérable, pour que cette cause n’y agisse pas ainsi que dans les animaux.
On peut appliquer également au corps humain toutes les conséquences qui se présentent en foule, d’après les observations faites à ce sujet.
On conçoit clairement, par exemple, pourquoi l’action de parler augmente le mal de tête, pourquoi la toux produit le même effet, en rendant plus fort le reflux du sang vers les membranes du cerveau, qui doivent conséquemment être plus distendues & plus irritées : on a même vû le crane si fort enflé par l’effet d’une toux violente, que les tégumens cicatrisés, qui tenoient lieu d’une portion du crane, en avoient été déchirés. Dans les fractures des os de la tête, après l’application du trépan, on fait retenir son haleine au malade avec effort (comme dans le cas des selles difficiles), on le fait souffler, expirer fortement, ce qui se fait dans la vûe de procurer une évacuation plus prompte & plus abondante des matieres contenues entre la dure-mere & le crane, en faisant gonfler le cerveau qui les exprime par l’issue qui se présente.
Toutes ces observations font sentir l’importance des effets que peut produire le reflux du sang. Toutes les expériences dont s’est servi l’auteur du mémoire dont il s’agit, pour expliquer les mouvemens du cerveau, peuvent encore fournir des corollaires qui ne sont pas d’une moindre conséquence. Elles établissent l’usage des valvules dans les veines, la raison de la différence de ces valvules & de leur position ; elles font connoître pourquoi elles ne se trouvent pas dans tous les vaisseaux veineux.
Ces mêmes faits jettent les fondemens d’une théorie nouvelle de la saignée. Ils établissent ultérieurement l’importance des effets que produit la respiration pour le mouvement du sang. Ils donnent lieu à des idées qui pourroient paroître paradoxes au sujet des causes de la circulation & de la progression du chyle, mais qui n’en sont pas moins vraies, ni moins solidement établies : ils peuvent servir à l’explication d’un grand nombre de phénomenes dans l’état de santé & dans bien des maladies, sur-tout celles de la poitrine : tout cela ne peut être développé que dans un second mémoire que l’auteur se propose de donner, comme une suite de celui dont il est ici question.
Au reste M. de la Mure, en rapportant ce qui est favorable à son systême, n’a pas laissé sous silence ce qui pouvoit fournir matiere à des difficultés, ce qui a pû l’entretenir pendant quelque tems dans des doutes, & même dans des erreurs ; le récit fidele de ses différentes tentatives est utile en cela même, qu’il fait sentir combien il est nécessaire de varier les recherches & de réitérer les expériences, avant que d’en pouvoir rien conclure avec certitude. Cet article concernant la nouvelle découverte sur les mouvemens du cerveau, est extrait d’une copie du mémoire de M. de la Mure, que l’on tient de sa main[1]. Voyez Respiration. (d)
- ↑ Le mémoire de M. de la Mure dont il est parlé dans cet article, a été imprimé en 1754 à la fin des mémoires de 1749 de l’académie des Sciences.