L’Encyclopédie/1re édition/DAMAS
* DAMAS, s. m. (Manufact. en soie.) Le dictionnaire de Savari définit le damas une étoffe en soie dont les façons sont élevées au-dessus du fond, une espece de satin mohéré, une mohere satinée, où ce qui a le grain par-dessus l’a de mohere par-dessous, dont le véritable endroit est celui où les fleurs sont relevées & satinées, & dont l’autre côté n’est que l’envers, & qui est fabriquée de soie cuite tant en trame qu’en chaîne. On verra bien-tôt par la fabrication de cette étoffe dont nous allons donner le détail, ce qu’il peut y avoir de vrai & de défectueux dans cette définition. Nous nous contenterons d’observer seulement ici, 1°. que la seule définition complette qu’on puisse donner d’une étoffe, & peut-être d’un ouvrage de méchanique en général, c’est d’exposer tout au long la maniere dont il se fait : 2°. que le damas ne fait point gros-de-tours ; car pour faire gros-de-tours ou le grain de cette espece, il faut baisser la moitié de la chaîne, au lieu qu’on n’en leve ou baisse au damas que la cinquieme partie ; le grain du damas seroit plûtôt grain de serge : mais il n’est ni grain de serge ni gros-de-tours. Les damas de Lyon ont tous d’aulne de large.
On distingue les damas en damas ordinaires pour robes, en damas pour meubles, en damas liséré, & en damas broché.
Tous les damas en général sont montés sur cinq lisses de satin & cinq de rabat, auxquelles il en faut ajoûter cinq de liage quand ils sont lisérés ou brochés.
Les damas ordinaires pour meubles lisérés & brochés, sont fixés en France par les réglemens à 90 portées. A Turin, ceux pour meubles, à 96 ; & à Gênes, à 100 ; & ils sont plus étroits que les nôtres.
Les armures des satins à cinq lisses sont une prise & deux laissées, comme dans les satins à huit lisses. Voyez l’article Satin. Il ne s’agit ici que du rabat.
Les cinq lisses de rabat contiennent la même quantité de mailles que les cinq lisses de satin, de maniere que chaque fil de chaîne passé sur une lisse de satin est passé sous une de rabat, afin de baisser après que la tireuse a fait lever la soie.
La distribution des fils doit être telle, que celui qui passe sur la premiere lisse du fond passe aussi sur la premiere lisse du rabat, & ainsi des autres. Voici l’armure du damas ordinaire, tant pour le satin ou le fond, que pour le rabat.
Le damas n’a point d’envers, si ce n’est le côté qui représente le dessein : ce qui fait damas d’un côté fait satin de l’autre, & réciproquement. Quand il arrive que la figure du damas est trop pesante, pour lors on tire le fond qu’on fait tire pour cela, & le damas se trouve dessus ; & quand on a lié la figure, le damas se trouve dessous. D’où l’on voit que l’on n’a, de quelque côte qu’on envisage le damas, que satin & damas ; mais qu’en travaillant on a dessus ou dessous le satin ou le damas à discrétion.
Il n’est pas possible que le rabat du damas soit armé autrement que nous venons de le montrer ; parce que dans le cas où on voudroit en varier l’armure, il arriveroit que la lisse du rabat seroit précisément celle qui répondroit à la lisse du satin, & qui par conséquent feroit baisser les mêmes fils que la lisse de satin leveroit ; ce qui ne produiroit rien, l’une des lisses détruisant ce que l’autre lisse feroit. On voit que l’armure du rabat est précisément celle du satin, c’est-à-dire une prise & deux laissées.
Quant au liage, il n’est pas nécessaire de suivre un autre ordre en le passant que de cinq & six ; & comme il faut deux coups de navettes ou deux marches pour une de liage, & qu’il faut deux courses de satin pour une course de liage, il faut nécessairement commencer à faire baisser la lisse du milieu ou la troisieme, ensuite la quatrieme, puis la cinquieme, la premiere, & finir par la seconde ; sans quoi il arriveroit au fil qui auroit levé au coup de navette, d’être contraint de baisser ; ce qui occasionneroit un défaut dans l’étoffe qui la rendroit mauvaise & non marchande, toutes les parties liées par un fil de cette espece étant totalement ouvertes & éraillées.
Cette étoffe travaillée à cinq marches de satin & à cinq de liage, demande que le course complet soit conduit comme nous allons l’exposer.
Premier lac. Le premier coup de navette passe sous la premiere lisse ; le second sous la quatrieme que la seconde marche fait lever. On baisse pour le brocher la premiere marche de liage, dont le fil répond à la troisieme lisse. Second lac. On baisse la troisieme marche qui fait lever la seconde lisse, & la quatrieme marche qui fait lever la cinquieme lisse ; après quoi on baisse pour lier la seconde marche qui fait baisser le fil qui se trouve sur la quatrieme lisse. Troisieme lac. On baisse la cinquieme marche qui fait lever la troisieme lisse, & on reprend la premiere marche qui fait lever la premiere lisse ; après quoi on fait baisser la troisieme marche de liage qui fait baisser le fil de la cinquieme lisse. Quatrieme lac. On fait baisser la seconde marche qui fait lever la quatrieme lisse, & la troisieme qui fait baisser la seconde ; on fait ensuite baisser la quatrieme marche qui fait baisser le fil qui répond à la premiere lisse. Cinquieme lac. On fait baisser la 4e marche de liage qui fait lever la cinquieme lisse, & la cinquieme marche qui fait lever la troisieme ; après quoi on fait baisser, pour lier, la cinquieme marche qui fait baisser le fil qui répond à la seconde lisse, &c.
On voit par les différentes combinaisons de mouvemens de cette manœuvre, qu’il faut la régularité la plus grande, tant dans le passage des fils quand on monte le métier, que dans le course quand on travaille l’étoffe ; & que s’il arrivoit qu’une lisse se mût à contre-tems, ou qu’un fil fût irrégulierement placé, il s’ensuivroit dans l’étoffe un vice trop réitéré pour n’être pas apparent.
Passons maintenant à l’armure d’un damas liséré, ou rebordé, & broché.
Cette étoffe est composée de quinze marches ; cinq pour les lisses de satin, cinq pour le liséré, & cinq pour le liage. Dans ces étoffes, les marches du liséré doivent être plus courtes d’un demi-pié au moins que celles du satin ; parce que l’ouvrier étant obligé de faire baisser successivement deux marches de satin pour une de liséré, & chacune des marches du liséré suivant une marche du satin, si elles étoient de même longueur, l’ouvrier auroit trop d’embarras de sauter la lisse du liséré, pour prendre la seconde du satin : au lieu que celle du liséré étant plus courte, il va de suite de l’une à l’autre ; & quand il veut passer son coup de liséré, pour lors il prend la marche plus courte avec la pointe du pié seulement & passe ensuite son coup de navette.
On voit clairement par la disposition de cette armure, que la premiere lisse du liséré est la quatrieme dans l’ordre des marches, & qu’elle fait baisser la même lisse de liage qui se rencontre sur la premiere marche de ce même liage ; que la seconde marche du liséré est la huitieme dans l’ordre des marches, & qu’elle fait baisser la même lisse qui se trouve sur la seconde marche ; que la troisieme marche du liseré est la seconde dans l’ordre des marches, & qu’elle fait baisser la même lisse qui se trouve sur la troisieme marche de liage ; que la quatrieme marche de liséré est la sixieme dans l’ordre des marches, & qu’elle fait baisser la même lisse qui se trouve sur la quatrieme marche de liage ; que la cinquieme marche de liséré est la sixieme dans l’ordre des marches, & qu’elle fait baisser la même lisse qui se trouve sur la cinquieme marche de liage : ce qui acheve le course.
Si les satins sont sur fil, ils se font comme les autres, & se trament seulement de fil au lieu de soie.
Observations sur le damas. Toutes les manufactures de damas qui sont en Europe, ne le fabriquent pas de même. La soie qu’elles y employent est différente, soit en quantité, soit en qualité, sur-tout dans les chaînes. Nous allons entrer dans quelque détail là-dessus, & examiner notre main-d’œuvre & nos réglemens. Nous exhortons nos fabriquans à refléchir sur ce qui suit, & à achever de remporter sur l’étranger par la bonté de l’étoffe & la perfection du travail, un avantage qu’ils ont déjà obtenu par le goût du dessein.
Le réglement du 1 Octobre 1737 ordonne, article 68, que les damas ne pourront être faits à moins de 90 portées de chaîne, & chaque portée de 80 fils. Et l’article 1 du réglement du 8 Avril 1724, pour la manufacture de Turin, veut 1o. que les damas soient faits avec une chaîne de 96 portées, & chaque portée de 80 fils, dans un peigne de 24 portées, afin qu’il se trouve 8 fils par dent ; 2o. qu’il ne soit employé à l’ourdissage de ces étoffes que des organsins du poids de six octaves au moins chaque ras, étant teints : ce qui revient au poids d’une once & demie chaque aune de chaîne de ceux qui s’ourdissent en France.
D’où l’on voit que la quantité de soie ordonnée par notre réglement devroit être plus considérable, & que d’un autre côté on n’y parle point de la qualité qu’il n’étoit pas moins important de fixer que la qualité.
La fixation du poids seroit inutile, si le nombre des portées n’étoit pas désigné ; parce qu’on pourroit diminuer le nombre des portées, & augmenter la grosseur de l’organsin, si sa qualité n’étoit déterminée, afin que le poids se trouvât toûjours le même à la chaîne : ce qui donneroit lieu à un défaut d’autant plus considérable, que ce n’est ni le fil le plus gros ni le plus pesant qui fait la plus belle toile ; mais le plus fin & le plus leger, comme tout le monde sait ; la quantité nécessaire étant supposée complette. Les Piémontois ont eu l’attention de fixer & le nombre des portées, & la qualité de la soie, & le poids, & le peigne.
Les Génois font de 100 portées leurs moindres damas meubles. Leur peigne est de 25 portées, & ils ont 8 fils par dent ; ce qui doit donner une étoffe plus parfaite que si elle n’étoit que de 90 portées.
Si ces étrangers ont fixé le poids des chaînes, c’est qu’ils ont craint d’un autre côté qu’un organsin trop fin ne garnissant pas assez, la qualité de l’étoffe affamée, comme disent les ouvriers, ne fût altérée. Il faut que le filage de la matiere soit proportionné à la nature de l’ouvrage.
Les Génois ont encore des damas pour meubles de 120 portées, & faits avec 30 portées de peigne, pour avoir encore 8 fils par dent. On ne distingue ces damas des autres que par la lisiere ou cordon qu’ils appellent cimosse. Voyez l’art. Cimosse.
Cette lisiere est faite en gros-de-tours, non en taffetas, c’est-à-dire que les deux coups de la navette dont la trame sert à former l’étoffe & qui sont passés à chaque lac, passent aussi par le cordon sous un même pas, & font un parfait gros-de-tours, & une lisiere très-belle & très-particuliere. La façon de travailler cette lisiere ou cordon du damas en gros-de-tours, ainsi que la cordeline, est si ingénieuse qu’on peut assûrer que des dix mille fabriquans qui remplissent nos manufactures, il n’y en a peut-être pas dix qui pussent sur le champ en entendre & démontrer la manœuvre, peut-être même quand on leur laisseroit le tems de l’étudier : ce sont cependant des paysans très-grossiers qui en ont été les inventeurs, qui l’exécutent tous les jours, & qui font les plus beaux damas & les plus beaux velours.
Les chaînes des étoffes façonnées qui se fabriquent à Lyon ne reçoivent l’extension forte qu’elles doivent avoir pendant la fabrication, que d’une grosse corde qui est arrêtée par un bout au pié du métier ; fait trois ou quatre tours sur le rouleau qui porte la chaîne, & a son autre bout passé dans un valet ou une espece de bascule de la longueur d’un pié & demi, plus ou moins, dont une partie enveloppe le rouleau. On suspend à son extrémité un poids d’une grosseur proportionnée à la longueur de la bascule ; on tient la toile tendue en tournant le rouleau opposé, sur lequel l’étoffe se plie à mesure qu’on la travaille, & au moyen d’une roue de fer & d’une gachette dont l’extrémité entre dans les dents de la roue : quand on a forcé le rouleau de derriere à se devider, on tient la chaîne toûjours tendue.
Cette maniere d’étendre la chaîne des étoffes façonnées est très-commode, sur-tout pour les étoffes riches dont la chaîne est continuellement chargée d’une quantité de petites navettes ; mais n’est-elle pas sujette à un inconvénient, en ce que les grandes secousses que les cordes donnent à la chaîne pendant le travail de l’étoffe, jointes aux coups de battant, & à la liberté que la bascule accorde au rouleau de derriere de devider, sont à chaque instant lâcher un peu plus ou un peu moins la chaîne, qui perdant de son extension, la fait perdre également à l’étoffe fabriquée, d’où naît le défaut qu’on remarque à certains damas qui paroissent froissés en quelques endroits, lorsqu’ils sont levés de dessus le rouleau, ce qui s’appelle en manufacture griper ; gripure qui n’a point lieu quand on s’y prend autrement pour tendre la chaine.
Les Génois n’ont ni corde, ni bascule, ni chien, ni gâchette pour tendre les chaînes ; ils n’employent à cela que deux chevilles de bois ; l’une de deux piés de longueur ou environ entre dans un trou de deux pouces en quarré fait au rouleau de devant qui est percé en croix en deux endroits de part en part, & attaché par le bout à une corde qui tient au pié du métier. Le rouleau de derriere est percé de même ; & quand il s’agit d’étendre la chaîne, on fiche dans une des quatre ouvertures des deux trous qui traversent de part en part le rouleau & qui se croisent, une cheville longue de trois piés & demi au moins, à l’aide de laquelle on donne l’extension qu’on veut à la chaîne, en attachant le bout de la cheville à une corde placée au-dessus de l’endroit où répond le bout de la cheville. Des manufacturiers habiles m’ont assûré que cette façon de tenir la chaîne tendue n’étoit sujette à aucun inconvénient ; qu’on ne donnoit à la chaîne que ce qu’elle demandoit d’extension ; que la sécheresse & l’humidité n’avoient plus d’action qu’on ne pût réparer sur le champ ; qu’on n’appercevoit plus dans l’étoffe ni froissement, ni gripure ; que l’effet des secousses étoit autant anéanti qu’il étoit possible ; & que ce moyen donnoit même lieu à une espece d’aprêt que la chaîne recevoit pendant la fabrication, & qu’on ne remarquoit qu’aux damas de Genes & autres fabriqués de la même maniere.
Cela supposé, il ne faudroit pas attribuer seulement la différence des damas de Gênes & de Lyon, à la différence des soies : nous pouvons avoir, & nous avons même d’aussi bonnes soies ; nos ouvriers ne le cedent en rien aux leurs ; nous avons plus de goût : il ne s’agit donc que de conformer nos métiers aux leurs, tant pour le velours que pour le damas. Quelque legere que puisse paroître cette observation sur l’extension des chaînes, il faut considérer qu’elle a lieu depuis le commencement du travail jusqu’à sa fin.
Nous n’avons fait aucune mention jusqu’à présent du nombre de brins dont l’organsin doit être composé ; mais on conçoit bien que les damas faits avec des organsins à trois brins, doivent être plus beaux que ceux qui ne sont fabriqués qu’avec des organsins à deux brins.
Outre les damas dont nous avons parlé ci-dessus, il y en a encore d’autres sortes dont nous allons dire un mot.
Il y a le damas caffart ; étoffe qui imite le vrai damas, dont la trame est ou poil, ou fleuret, ou fil, ou laine, ou coton, & qui se fabrique de différentes largeurs. Le damas de la Chine ou des Indes ; il y en a de toutes couleurs ; ils sont meilleurs que les nôtres ; ils conservent leur beauté après le dégraissage ; les nôtres la perdent ; ils prennent aussi beaucoup mieux la teinture. Le damas d’Abbeville, qui se travaille comme le damas de soie, qui a fond & fleur, mais dont la chaîne & la trame sont fil. Le damas de Caux, qui ne differe du damas d’Abbeville qu’en ce qu’il est à raie & non à fleurs. Il y a encore le damas de Hollande, qui n’est qu’une étoffe en soie plus legere que nos damas.
Damas, s. m. On appelle ainsi un sabre d’un acier très-fin, très-bien trempé, & fort-tranchant. Les premiers ont été faits à Damas en Syrie, d’où est venu leur nom.
Damas, (Géog. mod.) ville d’Asie, capitale de la Syrie. Elle est renommée par ses raisins, ses manufactures en soie, ses sabres, & ses couteaux : elle est située sur la riviere de Paradi. Long. 54. 53. lat. 33.