L’Encyclopédie/1re édition/DAIRI ou DAIRO

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DAIRI ou DAIRO (le), s. m. Hist. du Jap. c’est aujourd’hui le souverain pontife des Japonois, ou comme Kœmpfer l’appelle, le monarque héréditaire ecclésiastique du Japon. En effet, l’empire du Japon a présentement deux chefs ; savoir, l’ecclésiastique qu’on nomme dairo, & le séculier qui porte le nom de kubo. Ce dernier est l’empereur du Japon, & le premier l’oracle de la religion du pays.

Les grands prêtres sous le nom de dairi, ont été long tems les monarques de tout le Japon, tant pour le spirituel que pour le temporel. Ils en usurperent le throne par les intrigues d’un ordre de bonzes venus de la Corée, dont ils étoient les chefs. Ces bonzes faciliterent à leur dairi le moyen de soûmettre toutes les puissances de ce grand empire. Avant cette révolution il n’y avoit que les princes du sang ou les enfans des rois, qui pussent succéder à la monarchie : mais après la mort d’un des empereurs, les bonzes ambitieux éleverent à cette grande dignité un de leurs grands-prêtres, qui étoit dans tout le pays en odeur de sainteté. Les peuples qui le croyoient descendu du soleil, le prirent pour leur souverain. La religion de ces peuples est tout ce qu’on peut imaginer de plus fou & de plus déplorable. Ils rendirent à cet homme des hommages idolatres : ils se persuaderent que c’étoit résister à Dieu même, que de s’opposer à ses commandemens. Lorsqu’un roi particulier du pays avoit quelque démêlé avec un autre, ce dairi connoissoit leurs différends avec la même autorité que si Dieu l’eût envoyé du ciel pour les décider.

Quand le dairi regnoit au Japon, & qu’il marchoit, dit l’auteur de l’ambassade des Hollandois, il ne devoit point toucher la terre ; il falloit empêcher que les rayons du soleil ou de quelqu’autre lumiere ne le touchassent aussi ; c’eût été un crime de lui couper la barbe & les ongles. Toutes les fois qu’il mangeoit, on lui préparoit ses repas dans un nouveau service de cuisine qui n’étoit employé qu’une fois. Il prenoit douze femmes, qu’il épousoit avec une grande solennité, & ses femmes le suivoient d’ordinaire dans leurs équipages. Il y avoit dans son château deux rangs de maisons, six de chaque côté pour y loger ses femmes. Il avoit de plus un sérail pour ses concubines. On apprêtoit tous les jours un magnifique souper dans chacune de ces douze maisons : il sortoit dans un palanquin magnifique, dont les colonnes d’or massif étoient entourées d’une espece de jalousie, afin qu’il pût voir tout le monde sans être vû de personne. Il étoit porté dans ce palanquin par quatorze gentilshommes des plus qualifiés de sa cour. Il marchoit ainsi précédé de ses soldats, & suivi d’un grand cortége, en particulier d’une voiture tirée par deux chevaux, dont les housses étoient toutes semées de perles & de diamans : deux gentilshommes tenoient les rênes des chevaux, pendant que deux autres marchoient à côté ; l’un d’eux agitoit sans cesse un éventail pour rafraîchir le pontife, & l’autre lui portoit un parasol. Cette voiture étoit destinée pour la premiere de ses femmes ou de ses concubines, &c.

Nous supprimons d’autres particularités semblables qui peuvent être suspectes dans des relations de voyageurs ; il nous suffit de remarquer que le culte superstitieux que le peuple rendoit au dairo, n’étoit guere différent de celui qu’ils portoient à leurs dieux. Les bonzes dont le nombre est immense, montroient l’exemple, & gouvernoient despotiquement sous leur chef. C’étoit autant de tyrans répandus dans les villes & dans les campagnes : enfin leurs vices & leurs cruautés aliénerent les esprits des peuples & des grands ; un prince qui restoit encore du sang royal forma un si puissant parti, qu’il souleva tout l’empire contr’eux. Une seconde révolution acheva d’enlever aux dairos la souveraineté qu’ils avoient usurpée, & les fit rentrer avec les bonzes dans leur état naturel. Le prince royal remonta sur le throne de ses ancêtres, & prit vers l’an 1600 le titre de kubo qui lui est encore affecté. Ses descendans ont laissé au dairo ses immenses revenus, quelques hommages capables de flatter sa vanité, avec une ombre d’autorité pontificale & religieuse pour le consoler de la véritable qu’il a perdue ; c’est à quoi se bornent les restes de son ancienne splendeur : Méaco est sa demeure ; il y occupe une espece de ville à part avec ses femmes, ses concubines, & une très-nombreuse cour. L’empereur ou le kubo réside à Yedo capitale du Japon, & jouit d’un pouvoir absolu sur tous ses sujets. Voyez. L’article du dairo qu’on lit dans le dictionnaire de Trévoux a besoin d’être rectifié. Consultez Kœmpfer & les recueils des voyages de la compagnie des Indes orientales au Japon, t. V. Art. de M. le Ch. de Jaucourt.