L’Encyclopédie/1re édition/DÉPORT

DÉPORT, s. m. (Jurisprudence.) est de plusieurs sortes.

Déport en matiere bénéficiale, est une espece de droit d’annate dont les évêques ou leurs archidiacres, archiprêtres, ou grands vicaires, & en quelques endroits les chapitres jouissent, tant sur les cures que sur les prébendes, & autres bénéfices.

Ce droit paroît avoir la même origine que les annates dont on attribue l’invention à Jean XXII. lequel en son extravagante suscepti de elect. reçoit ex laudabili consuetudine privilegio statuto annalia, qui étoient les fruits de la premiere ou de la seconde année des bénéfices vacans.

On s’est souvent récrié contre ces droits de déport, aussi-bien que contre les annates qui furent abolies par les conciles de Constance & de Bâle, & défendues par un decret de la pragmatique sanction. Yves de Chartres en son épitre xcjv, Dumoulin, part. VII. styli parlam. arrêt 108, les condamnent formellement.

Cependant le concordat ayant en quelque sorte abrogé la pragmatique, le pape jouit du droit d’annate sur les grands bénéfices ; & à l’égard de l’annate ou dépôt des collateurs ordinaires, cette coûtume a été appellée loüable par le clergé, & comme telle admise dans le droit canon, & confirmée par plusieurs arrêts ; mais l’usage n’est pas par-tout uniforme, & dépend des titres & de la possession.

Dans le ressort du parlement de Paris, les archidiacres jouissent du déport sur les cures seulement, & non sur d’autres bénéfices.

En Normandie la plûpart des chapitres ont le droit de déport sur leurs prébendes.

Le déport n’a lieu qu’en deux cas ; l’un est pendant la vacance de la cure, l’autre est pendant le litige.

Dans le premier cas, l’archidiacre a soin de faire desservir la cure qui est vacante ; & c’est sans doute par cette considération qu’on lui a attribué les fruits de la cure pendant la vacance.

Dans le cas de litige, il ne joüit des fruits que jusqu’au jour que l’un des contendans est maintenu en possession ; & celui qui a donné lieu au déport par sa mauvaise contestation, doit être condamné à rendre à l’autre la valeur des fruits qu’il lui a fait perdre. Voyez la glose de la pragmatique in verbo consuetudinis in fine ; Probus, tr. des régales, quæst. 51 ; les recherche de la Fr. par Pasquier, liv. III. chap. xxv ; Ragueau, en son glossaire, au mot déport ; Chopin, liv. I. de sacra polit. tit. viij. num. 18. 19. & seq. Le Maître, traité des fiefs, chap. jv. sur la fin ; Rebuffe, sur le concordat, tit. de collat §. volumus, verbo beneficium ; Loüet, let. D. num 62. code des curés, arrêt du 30 Août 1706, aux privileges définit canon, au mot. déport. Voyez ci-après Dépouille. (A)

Déport, signifie quelquefois délai ; sans déport, c’est-à-dire sans délai, ou plûtôt sans desemparer, quand on prononce une amende & qu’on ajoute payable sans déport, il faut qu’elle soit payée sur le champ, sous peine de prison. (A)

Déport d’un Juge, d’un Arbitre, d’un Expert, ou autre officier commis par le juge, est l’acte par lequel le juge ou autre officier déclare qu’il n’entend point connoître de l’affaire qui étoit devant lui pour quelque raison particuliere qui l’en empêche, comme pour cause de parenté ou alliance, ou parce qu’il a une affaire semblable en son nom : il est beaucoup plus séant à un juge de se déporter lui-même que d’attendre qu’on le recuse. (A)

Déport de minorité dans les coûtumes d’Anjou & du Maine, est un droit seigneurial consistant dans la jouissance qui appartient au seigneur dominant des fruits d’une année pour son droit de rachat du fief d’un mineur, à la charge néanmoins d’en donner le tiers au mineur pour sa nourriture.

Ce droit a été introduit pour récompenser le seigneur du soin qu’il doit avoir de faire pouvoir de curateur à son vassal mineur quand les pere & mere auquel le bail ou garde est déféré par la coûtume s’abstiennent & se déportent du bail ; mais si le pere ou la mere en qualité de bail ont fait la foi & hommage, & qu’ils s’abstiennent du bail acceptant seulement la tutelle, le seigneur ne peut plus prétendre le déport parce que le fief est couvert.

Quelques seigneurs ont voulu étendre ce droit, prétendant qu’il avoit lieu pour tous héritages féodaux échûs à des mineurs ; mais il n’est dû que quand la foi & hommage n’est pas faite.

Suivant l’art. II. des arrêtés de M. de la Moignon, tit. de la garde, le droit seigneurial de déport devoit être abrogé ; & par le refus du pere ou de la mere survivant d’accepter la garde, les enfans ne devoient plus tomber en la garde du seigneur. Voyez la coûme d’Anjou, art. 107 & suiv. & celle du Maine, art. 119. & les commentateurs sur ces articles ; Renusson, du droit de garde, chap. ij. journal du palais, arrêt du 30 Mars 1695. (A)