L’Encyclopédie/1re édition/DÉPILATOIRE

DÉPILATOIRE, s. m. terme de matiere Médicale externe ; c’est le nom qu’on donne aux médicamens qui ont la vertu de faire tomber le poil. Tous, les moyens dont on use pour se dépiler, ne sont pas à proprement parler dépilatoires ; tels sont ceux qui arrachent le poil, ils n’ont cette propriété que par accident. On dit dans le dictionnaire de Trévoux au mot dépilatoire, que les anciens se servoient de résine pour dépiler ; & l’on cite à ce sujet Juvenal, qui s’exprime ainsi dans sa satyre IXe.

Nullus totâ nitor in cute, qualem
Præstabat calidi circumlita fascia visci.

Voici la traduction de Martignac sur ces vers : Vous ne prenez aucun soin d’avoir la peau nette par tout le corps, comme lorsque vous usez d’un dépilatoire de poix chaude… Ce sens n’a pas été admis par les traducteurs modernes : il est vrai que la dépilation faisoit paroître frais & dodu. Leduchat, notes sur Rabelais. C’est probablement ce qui a donné lieu à la coûtume de se faire raser ; car on peut douter si le soin qu’exigeoit une longue barbe, étoit plus incommode que l’assujettissement à se faire raser. Quoi qu’il en soit, les remedes qui arrachent le poil par leur vertu agglutinative, ne sont pas plus dépilatoires que des pincettes ; ils agissent de même, quoique par un procedé un peu différent : ils procurent la dépilation, mais ils ne l’operent point. Un vrai dépilatoire agit sur le poil & le détruit, depilatorium medicamentum quod pilos corrumpit (lexic. medic. Castello-Brunonian). On met au rang des plus doux l’eau de persil, le suc d’acacia, la gomme de lierre : les œufs de fourmis sont un peu plus forts ; on en compose un dépilatoire assez puissant de la maniere suivante.

Prenez de la gomme de lierre, une once ; de l’orpiment, des œufs de fourmis, & de la gomme arabique, de chacun un gros : réduisez le tout en poudre, & en faites un liniment avec suffisante quantité de vinaigre.

Au rapport du docteur Turner, dans son traité des maladies de la peau, le suc de tithymale mêlé avec de l’huile, fait le même effet. La dissolution de la gomme de cerisier empêche, selon quelques-uns, les poils de croître.

Ambroise Paré donne la composition suivante comme un fort bon dépilatoire. Prenez de la chaux-vive, trois onces ; de l’orpiment, une once : faites dissoudre la chaux dans l’eau, & ajoûtez-y quelque chose d’odoriférant. L’auteur dit qu’il ne faut tenir ce remede que fort peu de tems sur la partie, de crainte qu’il ne la brûle ; on le doit appliquer chaudement. S’il avoit écorché la partie, on usera, dit-il, de l’onguent rosat ou autre semblable.

On voit que l’usage de ces remedes, & sur-tout des plus forts, demande beaucoup de circonspection, tant par rapport aux parties où on les applique, qu’au tems qu’on les y laisse. Paré recommande de faire boüillir dans de l’eau commune de la chaux-vive, de l’orpiment, de l’amidon, & de la litharge pour dépiler. On connoîtra, dit-il, que la cuisson est parfaite, lorsque la barbe d’une plume d’oie mise dans la décoction tombera immédiatement. N’y a-t-il pas à craindre, si l’on n’usoit d’une grande attention, que les particules corrosives d’un pareil médicament en pénétrant trop profondément ne laissent une plus grande difformité que celle qu’on se seroit proposé d’emporter ?

C’est une beauté parmi les femmes Juives d’avoir le front fort haut & dégarni de cheveux. Elles procurent cet avantage à leurs petites filles, en leur serrant le front avec une bandelette de drap. Je les ai vû communément préférer le drap écarlate : mais il y a apparence que la couleur contribue moins à cet effet que la nature de l’étoffe. Voilà un dépilatoire fort simple, & dont l’usage n’a rien de dangereux.

Parmi nous les Baigneurs en font usage dans les bains de propreté. Les Orientaux appellent leur dépilatoire, rusma ; les femmes du serrail s’en servent très-fréquemment. Les matieres dont on se sert ordinairement sont, comme on vient de le dire, la chaux-vive & l’orpiment ; c’est en variant les proportions de ces deux substances qu’on peut rendre l’effet du dépilatoire plus ou moins violent. En voici différentes doses.

1°. Sur 8 onces de chaux-vive mettez une once d’orpiment : après avoir réduit ces deux matieres en une poudre très-fine, vous les mêlerez bien exactement, puis vous les passerez par un tamis, en prenant garde de ne point respirer la poussiere qui s’éleve en tamisant.

2°. Ou bien sur 12 onces de chaux-vive vous mettrez 2 onces d’orpiment, en observant les mêmes précautions qui viennent d’être dites.

3°. Ou enfin joignez à 15 onces de chaux-vive 3 onces d’orpiment, & procédez comme on a dit. En se servant de cette derniere dose, on aura un dépilatoire très-violent, & dont l’effet sera très-prompt. On conservera cette poudre dans une bouteille bien bouchée.

Quand on voudra faire usage de cette poudre, on y mêlera un septieme ou un huitieme de farine de seigle ou d’amidon pour corriger la trop grande activité du dépilatoire : on verse sur le tout un peu d’eau tiéde, & l’on en forme une pâte, que l’on applique sur les endroits dont on veut faire tomber le poil : on y laisse séjourner cette pâte pendant quelques minutes : on a soin de l’humecter un peu afin qu’elle ne seche point trop promptement, & l’on essaye si le poil se détache aisément & sans résistance, pour lors on l’emporte avec de l’eau tiéde ; la pâte s’en va avec le poil, & l’opération sera faite. Il faut avoir soin de ne point laisser séjourner la pâte sur la peau plus long-tems qu’il n’est nécessaire, de peur qu’elle ne l’endommage & ne la cautérise : il seroit aussi dangereux de faire un usage trop fréquent du dépilatoire. (Y)