L’Encyclopédie/1re édition/DÉESSE

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DÉESSE, s. f. (Myth.) fausse divinité du sexe féminin. Voyez Dieu.

Les anciens avoient presque autant de déesses que de dieux : telles étoit Junon, Diane, Proserpine, Vénus, Thétis, la Victoire, la Fortune, &c. Voyez Fortune.

Ils ne s’étoient pas contentés de se faire des dieux femmes, ou d’admettre les deux sexes parmi les dieux ; ils en avoient aussi d’hermaphrodites : ainsi Minerve, selon quelques savans, étoit homme & femme, appellée Lunus & Luna. Mithra chez les Perses, étoit dieu & déesse ; & le sexe de Vénus & de Vulcain, étoit aussi douteux. De-là vient que dans leurs invocations ils disoient : si vous êtes dieu, si vous êtes déesse, comme Aulugelle nous l’apprend. Voyez Hermaphrodite.

C’étoit le privilége des déesses d’être représentées toutes nues sur les médailles : l’imagination demeuroit dans le respect en les voyant. Dictionnaire de Trévoux & Chambers.

Les déesses ne dédaignoient pas de s’unir quelquefois avec des mortels. Thétis épousa Pelée, & Vénus aima Anchise, &c. Mais c’étoit une croyance commune, que les hommes honorés des faveurs des déesses ne vivoient pas long-tems ; & si Anchise paroît avoir été excepté de ce malheur, il en fut, dit-on, redevable à sa discrétion. (G)

Déesses-meres, (Litt. Antiq. Insc. Myth. Hist.) divinités communes à plusieurs peuples, mais particulierement honorées dans les Gaules & dans la Germanie, & présidant principalement à la campagne & aux fruits de la terre. C’est le sentiment de M. l’abbé Banier, qu’il a étayé de tant de preuves dans le VI. volume des mémoires de l’académie des Belles-Lettres, qu’on ne peut s’y refuser.

Les surnoms que les déesses-meres portent dans les inscriptions, semblent être ceux des lieux où elles étoient honorées : ainsi les inscriptions sur lesquelles on lit matribus Gallaicis, marquoient les déesses-meres de la Galice ; ainsi les Rumanées sont celles qui étoient adorées à Rhumaneim dans le pays de Juliers, &c.

Leur culte n’étoit pas totalement borné aux choses champêtres, puisqu’on les invoquoit non-seulement pour la santé & la prospérité des empereurs & de leur famille, mais aussi pour les particuliers.

Les déesses-meres étoient souvent confondues, & avoient un même culte que les Suleves, les Commodeves, les Junons, les Matrones, les Sylvatiques, & semblables divinités champêtres. On le justifie par un grand nombre d’inscriptions qu’ont recueillies Spon, Gruter, Reynesius, & autres antiquaires.

Il n’est pas vraissemblable que les déesses-meres tirent leur origine des Gaules ou des Germains, comme plusieurs savans le prétendent, encore moins que leur culte ne remonte qu’au tems de Septime Sévere. On a plusieurs inscriptions qui prouvent que ces déesses étoient connues en Espagne & en Angleterre ; & il est probable que les uns & les autres avoient reçu le culte de ces déesses, soit des Romains, soit des autres peuples d’Italie, qui de leur côté le devoient aux Grecs, tandis que ceux-ci le tenoient des Egyptiens & des Phéniciens par les colonies qui étoient venues s’établir dans leurs pays. Voilà la premiere origine des déesses-meres, & de leur culte : en effet il paroît par un passage de Plutarque, que les Crétois honoroient d’un culte particulier, même dès les premiers tems, les déesses-meres, & personne n’ignore que les Crétois étoient une colonie phénicienne.

C’est donc de la Phénicie que la connoissance des déesses-meres s’est répandue dans le reste du monde. Si l’on suit les routes des fables & de l’idolatrie, on les trouvera partir des peuples d’Orient qui en se dispersant altérerent la pureté du culte qu’ils avoient reçu de leurs peres. D’abord ils rendirent leurs hommages à ce qui parut le plus parfait & le plus utile, au Soleil, & aux astres ; de leur adoration, on vint à celle des élémens, & finalement de toute la nature. On crut l’univers trop grand pour être gouverné par une seule divinité ; on en partagea les fonctions entre plusieurs. Il y en eut qui présiderent au ciel, d’autres aux enfers, d’autres à la terre ; la mer, les fleuves, la terre, les montagnes, les bois, les campagnes, tout eut ses divinités. On n’en demeura pas là : chaque homme, chaque femme, eurent leurs propres divinités, dont le nombre, dit Pline, excédoit finalement celui de la race humaine. Les divinités des hommes s’appelloient les Génies, celles des femmes les Junons.

Ainsi se répandit la tradition parmi presque tous les peuples de la terre, que le monde étoit rempli de génies ; opinion, qui après avoir tant de fois changé de forme, a donné lieu à l’introduction des fées, aux antres des fées, & s’est enfin métamorphosée en cette cabale mystérieuse, qui a mis à la place des dieux, que les anciens nommoient Dusii & Pilosi, les Gnomes, les Sylphes, &c. Voyez Genie, &c.

Il n’est guere douteux que c’est du nombre de ces divinités, en particulier des Junons & des Génies, que sortoient les déesses-meres, puisqu’elles n’étoient que les génies des lieux où elles étoient honorées, soit dans les villes, soit dans les campagnes, comme le prouvent toutes les inscriptions qui nous en restent.

On leur rendoit sans doute le même culte qu’aux divinités champêtres ; les fleurs & les fruits étoient la matiere des sacrifices qu’on offroit en leur honneur ; le miel & le lait entroient aussi dans les offrandes qu’on leur faisoit.

Les Gaulois en particulier qui avoient un grand respect pour les femmes, érigeoient aux déesses-meres des chapelles nommées cancelli, & y portoient leurs offrandes avec de petites bougies ; ensuite après avoir prononcé quelques paroles mystérieuses sur du pain ou sur quelques herbes, ils les cachoient dans un chemin creux ou dans un arbre, croyant par-là garantir leurs troupeaux de la contagion & de la mort même. Ils joignoient à cette pratique plusieurs autres superstitions, dont on peut voir le détail dans les capitulaires de nos rois, & dans les anciens rituels qui les défendent. Seroit-ce de-là que vient la superstition singuliere pour certaines images dans les villes & dans les campagnes ? Seroit-ce encore de-là que vient parmi les villageois la persuasion des enchantemens & du sort sur leurs troupeaux, qui subsiste toûjours dans plusieurs pays ? C’est un spectacle bien frappant pour un homme qui pense, que celui de la chaîne perpétuelle & non interrompue des mêmes préjugés, des mêmes craintes, & des mêmes pratiques superstitieuses. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.