L’Encyclopédie/1re édition/CUIRASSE

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CUIRASSE, s. f. (Littér. Art milit.) en latin lorica. On la définit dans le dictionnaire de l’académie Françoise, la principale partie de l’armure qui est ordinairement de fer fort battu, & qui couvre le corps par-devant & par-derriere, depuis les épaules jusqu’à la ceinture.

Dans le fameux tableau de Polygnote de la prise de Troie, dont Pausanias nous a laissé la description, on voyoit sur un autel la représentation d’une cuirasse d’airain composée de deux pieces, l’une desquelles couvroit le ventre & l’estomac, l’autre couvroit le dos & les épaules ; la partie antérieure étoit concave, & les deux pieces se joignoient ensemble par deux agrafes.

Chez les Grecs & les Romains on connoissoit de trois sortes de cuirasses. Il y en avoit qui n’étoient faites que de toile & de drap battu & piqué : quelques-unes étoient de cuir, & les autres de fer. Pour ce qui est des premieres, Pline (lib. VIII. c. xlviij.) assûre qu’elles étoient composées de plusieurs doubles, battus & piqués ensemble : telle étoit la cuirasse d’Alexandre, au rapport de Dion de Nicée ; & celle de Galba, dont il est fait mention dans Suétone, qui parlant de la sédition qu’excita à Rome la révolte d’Othon, dit : Loricam tamen induit linteam, quam haud dissimulant parùm adversus tot mucrones profuturam. Saumaise, dans ses observations sur Lampridius, remarque qu’on avoit autrefois inventé cette armure pour le soulagement des soldats : on peut ajoûter qu’il y a bien de l’apparence que ces cuirasses de lin & de toile n’empêchoient pas qu’on ne mît par-dessus des cuirasses de fer ; on peut même croire que les anciens avoient donné aux premieres le nom de subarmale, mais il n’étoit pas toûjours nécessaire d’avoir d’autres cuirasses que celles de lin & de toile, puisqu’il y en avoit de si bien faites, qu’elles étoient à l’épreuve des traits. Nicétas, dans la vie de l’empereur Isaac I. rapporte que l’empereur Conrad combattit long-tems sans bouclier, couvert seulement d’une cuirasse de linge.

La seconde espece de cuirasse étoit de cuir, & c’est celle que Varron appelle pectorale corium. Tacite (hist. liv. I. ch. lxxjx.) nous apprend que les chefs des Sarmates s’en servoient quelquefois : Id principibus ac nobillissimo cuique tegmen, ferreis laminis aut prædurio corio concertum.

Cependant le fer étoit la matiere la plus ordinaire des cuirasses. Les Perses appelloient les soldats qui portoient ces sortes de cuirasses, clibanarios, du mot clibanum, qui signifioit une tuile de fer, apparemment parce que ces cuirasses étoient faites d’une plaque fort épaisse de ce métal : mais leur trop grande pesanteur fit qu’on les changea bientôt pour des cuirasses composées de lames de fer, couchées les unes sur les autres, & attachées sur du cuir ou de la toile. A celles-ci on substitua dans la suite la cotte de maille & l’haubergeon ; terme qui ne signifie qu’une armure plus ou moins longue, faite de chaînettes de fer ou de mailles entrelacées. Il paroît par ce que rapportent les anciens, que la cuirasse ne passoit pas la ceinture, quoique la frange dont elle étoit bordée descendît jusqu’aux genoux.

On mettoit la cotte-d’armes sur la cuirasse ; la cotte-d’armes a passé de mode, la cuirasse subsiste toûjours. Autrefois le droit de la porter étoit un titre d’honneur, dont on étoit privé, lorsqu’ayant douze métairies on manquoit au service que l’on devoit au Roi, comme il est décidé dans les capitulaires, où la cuirasse est appellée brunia.

Il n’y a plus guere à-présent que les officiers généraux & les officiers de cavalerie qui portent des cuirasses ; elles doivent être au moins à l’épreuve du pistolet. A l’égard des brigadiers, gendarmes, chevaux-legers, & cavalerie, ils portent un plastron de fer qui leur couvre le devant seulement. Ils doivent la porter dans tous les exercices, revûes, marches, &c. Il est au moins à l’épreuve du pistolet. Il est ordonné aux officiers & ingénieurs de porter des cuirasses, à peine d’être cassés. Extrait de l’hist. de l’acad. des Inscript. & Belles-Lettres, tome II. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.