L’Encyclopédie/1re édition/CROYANCE, FOI
CROYANCE, FOI, (Gramm. & Syn.) ces deux mots different en ce que le dernier se prend quelquefois solitairement, & désigne alors la persuasion où l’on est des mysteres de la religion. La croyance des vérités révélées constitue la foi. Ils different aussi par les mots auxquels on les joint. Les choses auxquelles le peuple ajoute foi, ne méritent pas toûjours que le sage leur donne sa croyance. (O)
Croyance, s. f. (Théol.) ce terme dans sa signification naturelle, veut dire une persuasion ou le consentement absolu que l’esprit donne à une proposition quelconque.
Ainsi l’on dit, croyance fondée sur les sens, sur l’évidence, sur l’autorité ; & quoique la foi ne s’introduise pas par la voie du raisonnement, elle peut néanmoins être fondée sur tous les motifs dont nous venons de parler : car il n’est pas nécessaire que toutes les vérités qui sont l’objet de la foi, soient absolument & indispensablement quelque chose d’obscur. L’existence de Dieu comme créateur est fondée sur l’évidence, & elle est cependant de foi, puisqu’elle est aussi fondée sur la révélation. On croit l’immortalité de l’ame, parce que cette vérité paroît évidente ; mais la foi qu’on a de ce point de doctrine n’en est pas moins une foi proprement dite, quand on est dans la disposition de le croire sur l’autorité seule de Dieu, supposé même qu’on n’eût pas des raisons invincibles & péremptoires sur cette matiere.
Croyance, dans le sens moral & chez les Théologiens, est employé pour signifier cette sorte de consentement qui est fondé seulement sur l’autorité ou le témoignage de quelques personnes qui assûrent la vérité d’un fait, & c’est ce qu’on appelle évidence de témoignage : en ce sens la foi n’est pas fondée sur le même motif que la science ou connoissance qui a pour base l’évidence de l’objet ; c’est-à-dire celle qui développe d’une maniere claire & distincte la convenance ou la disconvenance qui se trouve entre le sujet & l’attribut d’une proposition. Par exemple celle ci, deux fois deux font quatre, est évidente d’une évidence d’objet, parce qu’on voit clairement le rapport de proportion qu’il y a entre deux fois deux & quatre : au lieu que cette proposition, Jesus-Christ est ressuscité, n’est évidente que d’une évidence de témoignage, parce qu’elle nous a été attestée par les apôtres, témoins oculaires, véridiques, qui n’ont pû ni être trompés, ni avoir intérêt de tromper en publiant ce fait. L’adhésion d’esprit que nous y donnons s’appelle proprement croyance.
De même nous ne pouvons pas dire, nous croyons que la neige est blanche, ou que le tout est égal à sa partie, mais que nous voyons & que nous connoissons que cela est ainsi. Ces autres propositions, les trois angles d’un triangle sont égaux à deux angles droits, tout corps se meut naturellement en ligne droite, ne sont pas des choses de croyance, mais de science ; c’est-à-dire que nous les croyons d’après l’expérience, & non d’après la foi. Voyez Évidence, Foi, &c.
Lors donc qu’une proposition ne tombe pas sous nos sens ni sous notre entendement livré à ses seules lumieres, qu’elle n’est point évidente d’une évidence d’objet, ni liée clairement & nécessairement avec sa cause, enfin qu’elle ne tire sa source d’aucun argument réel, ni d’aucune vérité clairement manifestée ; que néanmoins elle paroît vraie, non par évidence, mais par une attestation de fait, non par elle-même, mais par le témoignage qu’on en a porté : alors cette proposition est censée de foi, & le consentement qu’on y donne est une adhésion de confiance ou de foi.
L’évêque Pearson & la plûpart des théologiens pensent que la croyance contenue dans le symbole, est de cette derniere espece. Le docteur Barrow au contraire soûtient qu’elle est de la premiere espece, & que nous en croyons les articles d’après la persuasion intime que nous avons de la vérité de chaque proposition prise en elle-même, & non d’après les motifs d’autorité, ajoûtant que nous sommes seulement fondés sur des raisons propres à persuader les différens points que nous suivons ; c’est, dit-il, en ce sens que le mot πιστεύειν, credere, est employé dans l’Ecriture, & qu’il est dit que S. Thomas a cru parce qu’il a vû : donc, conclut-il, dans cette occasion la foi étoit fondée sur les sens. Ajoûtez que Jesus-Christ lui-même ne demandoit point aux Juifs ni à ses disciples de s’en fier uniquement à son propre témoignage pour le connoître, mais de se servir de leurs lumieres pour juger de ses œuvres, afin d’appuyer leur croyance sur leur raison. Ainsi S. Jacques dit, que les démons croyent qu’il y a un Dieu ; mais comment le croyent-ils ? Ils le connoissent par l’expérience &, si l’on veut, par la sagacité de leur génie, & non par révélation ou par témoignage. D’ailleurs la croyance de l’existence d’un Dieu ne peut être fondée seulement sur l’autorité ; car l’autorité humaine seule ne peut en donner des preuves, & c’est l’autorité divine qui est la principale base de cette croyance. Enfin on ne peut pas dire que la foi des premiers Chrétiens ait été fondée purement sur l’autorité, car elle l’étoit en partie sur les principes de la raison, & en partie sur le témoignage des sens. Telle étoit la connoissance qu’ils avoient de la sincérité & de la pureté des mœurs du Sauveur, dont ils étoient convaincus par sa conversation, par la sagesse & la majesté de ses discours. Telle étoit l’opinion qu’ils en pouvoient avoir, en considérant la sainteté de sa doctrine, la grandeur de son pouvoir, l’éclat & la force de ses miracles : toutes ces considérations avoient leur poids aussi bien que son propre témoignage ; il semble même que Jesus-Christ ait insinué, vû leurs dispositions à l’incrédulité, que son propre témoignage étoit insuffisant, & pouvoit être révoqué en doute. Les apôtres eux-mêmes employent ce motif pour fonder la certitude du témoignage qu’ils vont rendre de J. C. Quod audivimus, quod vidimus oculis nostris, quod perspeximus, & manus nostræ contrectaverunt de verbo vitæ… Quod vidimus & vidimus, annuntiamus vobis. Joan. epist. I. c. j. v. 1. & 3. Ainsi c’étoit en formant ce raisonnement que les premiers Chrétiens croyoient à Jsus-Christ : celui dont les paroles, les actions, le caractere, en un mot toute la vie, sont si admirables, si conformes à ce qu’en ont prédit les prophetes ; celui-là, disoient-ils, ne peut être accusé de faux, & nous pouvons nous fier à ses paroles : or, continuoient-ils, nous savons par expérience que Jesus est puissant en œuvres & en paroles, qu’il a fait un grand nombre de miracles éclatans, &c. donc nous pouvons croire toutes les vérités qu’il nous annonce. Tel est le système du docteur Barrow.
Mais en conclure que notre foi doit avoir le même fondement, c’est une conséquence visiblement dangereuse ; car par rapport à nous la chose est fort différente. La mineure de cet argument qui étoit évidente pour les premiers Chrétiens, d’une évidence de fait, n’est évidente parmi nous que d’une évidence de témoignage & d’autorité, c’est-à-dire que nous nous y confions par les histoires qui sont passées jusqu’à nous, qui sont confirmées par une tradition si constante & appuyées de circonstances si miraculeuses, que l’on n’en voit aucunes si fortes dans aucune matiere de fait. Or, cela est suffisant pour fonder une certitude qui rende notre croyance raisonnable. Les objets de la foi en eux-mêmes, ses mysteres qui sont l’objet de notre croyance, ne sont pas évidens ; mais les motifs de crédibilité le sont. Il y a une très-grande différence entre cette proposition, ce que l’on doit croire est évident, & celle-ci, il est évident qu’on doit croire telle chose. la premiere suppose essentiellement une évidence d’objet ; & la seconde ne suppose nécessairement qu’une évidence de témoignage, soit que ce témoignage établisse une chose claire en elle-même, soit qu’il dépose en faveur d’une chose incompréhensible. Pour avoir une croyance parfaite, il est nécessaire d’avoir une pleine évidence de la certitude du témoignage des hommes, ou de l’infaillibilité du témoignage de Dieu & du fait de la révélation. Or nous avons sur la premiere, c’est-à-dire sur le témoignage des apôtres, une certitude au-dessus de toute certitude historique ; & sur la seconde, nous avons toutes les preuves de raison & d’autorité qu’on peut desirer : ce n’est pas à dire pour cela que notre croyance soit fondée sur la raison, celle-ci y prépare les voies ; mais en dernier ressort, elle est appuyée sur l’autorité humaine & sur la véracité de Dieu. Voyez Véracité. De-là il s’ensuit qu’en matiere de croyance, ce n’est point-la raison seule qu’on doit écouter, mais aussi qu’on n’en doit point exclure l’usage dans la discussion des points de croyance ; il ne s’agit que de la regler & de la soûmettre à l’autorité, sur-tout quant aux objets qui surpassent sa portée, tels que sont les mysteres. Pour la discussion des faits, l’usage de la raison est très-permis ; car rien n’empêche qu’on ne soit persuadé d’un fait par son évidence, & qu’on ne le croye en même tems par le motif de l’autorité. (G)