L’Encyclopédie/1re édition/COUVRE-FEU

COUVREPIÉ  ►

Couvre-feu, s. m. (Hist. mod.) nom de la cloche qu’on sonnoit tous les soirs en Angleterre au commencement de la nuit, du tems de Guillaume le conquérant. Cette coûtume, & le nom de cette cloche, vinrent de ce prince qui après être monté sur le throne d’Angleterre, ordonna en 1068, qu’au son de la cloche qui sonneroit à sept heures du soir chacun se tînt renfermé dans sa maison, qu’on éteignît la lumiere, & qu’on couvrît le feu ; le tout à peine d’une grosse amende pour chaque contrevenant. Le son de cette cloche, qu’on appella le couvre-feu, devint un sujet de grandes vexations, auxquelles les Anglois furent très-sensibles ; car pour peu qu’ils manquassent d’exactitude dans l’observation de cet ordre nouveau, ils étoient assurés d’en être punis rigoureusement.

Je conviens, avec M. de Voltaire, que la loi du couvre-feu étoit une police ecclésiastique en usage dans presque tous les anciens cloîtres des pays du Nord ; mais ce n’étoit pas du moins une police civile qui eût lieu en Normandie. Aussi Polydore Virgile remarque que l’une des polices dont Guillaume I. s’avisa, fut de desarmer les Anglois, de leur défendre de sortir de leurs maisons depuis les sept heures du soir, & de leur ordonner de couvrir leur feu, dont ils auroient avis par la cloche que l’on sonneroit. « Qu’il eût emprunté cette coûtume de nous, dit Pasquier, je ne le vois, que nous la tenions de lui, je ne le crois : mais il y a grande apparence, ajoûte-t-il, que le couvre-feu fut introduit parmi nous du tems de Charles VI. lors de la faction des Bourguignons & des Armagnacs ; car cet usage subsistoit sous le regne de Charles VII ». Quoi qu’il en soit, la cloche du couvre-feu établie avec rigueur chez les Anglois, étoit comme un signal qui se renouvellant tous les jours, ne leur permettoit pas d’oublier l’état de leur esclavage. Mais cette oppression ne dura pas long-tems chez un peuple prêt à tout sacrifier pour sa liberté. Henri II. abolit le couvre-feu en 1100, c’est-à-dire trente-deux ans après son établissement. Les Anglois n’ont connu depuis que le son des cloches des églises, qui ne marquent aucune servitude. Art. de M. le Chevalier de Jaucourt.