L’Encyclopédie/1re édition/COURTISAN

◄  COURTINE
COURTISANE  ►

COURTISAN, (Morale.) que nous prenons ici adjectivement, & qu’il ne faut pas toûjours confondre avec homme de la cour ; c’est l’épithete que l’on donne à cette espece de gens que le malheur des rois & des peuples a placés entre les rois & la vérité, pour l’empêcher de parvenir jusqu’à eux, même lorsqu’ils sont expressement chargés de la leur faire connoître : le tyran imbécille écoute & aime ces sortes de gens ; le tyran habile s’en sert & les méprise ; le roi qui sait l’être, les chasse & les punit, & la vérité se montre alors ; car elle n’est jamais cachée que pour ceux qui ne la cherchent pas sincerement. J’ai dit qu’il ne falloit pas toûjours confondre courtisan avec homme de la cour, sur-tout lorsque courtisan est adjectif ; car je ne prétens point, dans cet article, faire la satyre de ceux que le devoir ou la nécessité appellent auprès de la personne du prince : il seroit donc à souhaiter qu’on distinguât toûjours ces deux mots ; cependant l’usage est peut-être excusable de les confondre quelquefois, parce que souvent la nature les confond ; mais quelques exemples prouvent qu’on peut à la rigueur être homme de la cour sans être courtisan ; témoin M. de Montausier, qui desiroit si fort de ressembler au misantrope de Moliere, & qui en effet lui ressembloit assez. Au reste, il est encore plus aisé d’être misantrope à la cour, quand on n’y est pas courtisan, que d’y être simplement spectateur & philosophe ; la misantropie est même quelquefois un moyen d’y réussir, mais la philosophie y est presque toûjours déplacée & mal à son aise. Aristote finit par être mécontent d’Alexandre. Platon, à la cour de Denis, se reprochoit d’avoir été essuyer dans sa vieillesse les caprices d’un jeune tyran, & Diogene reprochoit à Aristippe de porter l’habit de courtisan sous le manteau de philosophe. En vain ce même Aristippe, qui se prosternoit aux piés de Denis, parce qu’il avoit, disoit-il, les oreilles aux piés, cherchoit à s’excuser d’habiter la cour, en disant que les philosophes doivent y aller plus qu’ailleurs, comme les medecins vont principalement chez les malades : on auroit pû lui répondre que quand les maladies sont incurables & contagieuses, le medecin qui entreprend de les guérir ne fait que s’exposer à les gagner lui-même. Néanmoins (car nous ne voulons rien outrer) il faut peut-être qu’il y ait à la cour des philosophes, comme il faut qu’il y ait dans la république des lettres des professeurs en Arabe, pour y enseigner une langue que presque personne n’étudie, & qu’ils sont eux-mêmes en danger d’oublier, s’ils ne se la rappellent sans cesse par un fréquent exercice. (O)