L’Encyclopédie/1re édition/COULEUVRE

COULEUVRE, s. f. coluber, (Hist. nat. zoolog.) On a donné ce nom à plusieurs especes de serpens qui se trouvent en différens pays. Quelques auteurs en ont même fait une dénomination générale & synonyme à celle de serpens, serpula, anguis, &c. Nous appellons communément du nom de couleuvre, la plus grande espece de nos serpens ; c’est, pour ainsi dire, notre serpent domestique. Il y a une autre espece qui porte le nom de couleuvre à collier. Voyez la description de l’un & de l’autre au mot Serpent. (I)

* Couleuvre, (Myth.) reptile consacré à Esculape qui s’étoit caché plusieurs fois sous cette forme, & adoré à Rome & dans Epidaure, où on lui éleva des temples.

Couleuvre, (Bois de) s. m. Botaniq. exot. Le bois de couleuvre, ou le bois couleuvré, en latin lignum colubrimum des boutiques, est un bois des Indes orientales, ou plûtôt une racine ligneuse, dure, compacte, pesante, de la grosseur du bras, d’un goût âcre & amer, sans aucune odeur. Cette racine est couverte d’une écorce de couleur de fer, parsemée de taches cendrées ; on nous l’apporte des îles de Soloo & de Timoo : il est bon de la connoître.

Commelin assûre que la noix vomique & le bois de couleuvre prennent naissance du même arbre ; mais Herman prétend au contraire que cette noix tire son origine d’une toute autre plante. Lequel faut-il croire ? Peut-être qu’ils disent vrai tous les deux, & qu’on nous apporte diverses especes de noix vomiques plus ou moins grosses, qui viennent d’arbres différens.

Quelques loüanges que certains auteurs ayent donné à ce bois contre la morsure des serpens, les vers & la fievre quarte, le docteur Antoine de Heyde a découvert par ses observations, qu’il avoit une vertu somnifere, affectant les nerfs, causant le tremblement & la stupeur : qualités très-vénéneuses dans un végétal, qui doivent en faire rejetter l’usage. En vain répondroit-on qu’il ne faut s’en servir que lorsqu’il est vieux ; le meilleur est de ne s’en point servir du tout, & de le bannir de la Pharmacie, comme un remede dangereux, parce que le plus grand bien qu’on en puisse attendre, c’est que par le hasard de sa vétusté il ne produise aucun mauvais effet : la pratique de la Medecine court assez d’autres hasards sans celui-là. Par M. le Chevalier de Jaucourt.

Couleuvre, machine singuliere dont les Caraïbes se servent pour exprimer & séparer le suc du magnoc. C’est une espece de panier à-peu-près de la forme d’une chausse ou gros boyau long de cinq à six piés sur trois pouces & plus de diametre ; il est tissu de façon qu’il prête & s’élargit à proportion de la quantité de substance qu’on y met, sans pour cela que les aiguillettes d’écorce dont il est construit, s’écartent les unes des autres ; il ne peut cependant s’étendre en largeur, qu’il ne diminue considérablement en longueur. A la partie supérieure, qui est toûjours ouverte, est une espece d’anse très-forte, servant à le suspendre à quelque chose de solide au haut de la case ; l’extrémité inférieure est fermée, se terminant en pointe, au bout de laquelle est une forte boucle de la même matiere que tout le reste de cette sorte de panier. V. Magnoc.

Usage de la couleuvre. On la remplit de rapure de magnoc, qu’un Sauvage presse & refoule de sa main autant qu’il le peut. On conçoit par ce qui a été dit, que dans cette action du Sauvage la couleuvre doit s’élargir, & par conséquent diminuer de longueur. Lorsqu’elle est totalement remplie, le Sauvage la suspend par l’anse au milieu de la case : cela fait, il met un bâton dans la boucle inférieure ; & le passant entre ses jambes par-dessous ses fesses, il s’abandonne dessus, pour faire porter à la couleuvre tout le poids de son corps, de façon qu’elle est contrainte de s’allonger en diminuant de diametre ; & la rapure de magnoc qu’elle contient, se trouve pour lors tellement resserrée & comprimée, que le suc s’en échappe & tombe à terre. Lorsque le Sauvage s’apperçoit qu’il ne découle plus rien, il décroche la couleuvre, & en retire la rapure qu’il fait cuire sur une platine, pour en former la cassave dont il se nourrit.

La tradition n’a point transmis chez les Caraïbes le nom de l’inventeur de la couleuvre ; cela n’a rien d’étonnant, puisque nous ignorons aujourd’hui l’auteur de ces utiles machines qui préparent le grain dont nous faisons l’essentiel de notre subsistance. Art. de M. le Romain.